Après des années de pratiques, les fermes communautaires de Froidevaux aimeraient progressivement passer à la notion d'écovillage. Un processus en pleine expérimentation.
Dans une boucle du Doubs, à deux pas de la frontière française, Jacques et Michelle Froidevaux ont hérité d'une ferme familiale en 1980. Il y a 58 hectares dont 28 de forêts. Ils décident de favoriser le développement d'une vie communautaire et, après des années de débats sur la question de la propriété, la propriété de la férme passe sous le contrôle d'une fondation, "Les bergers de Froidevaux". Une association, "les Amis des bergers de Froidevaux", en est locataire et permet la gestion des lieux. Le premier projet tourne autour de l'élevage du mouton, une originalité pour la région. Une bergerie est construite dans le cadre d'un chantier international de jeunes. Du matériel de tannerie est récupéré pour développer cette activité. A l'origine, les parts de la fondation appartiennent au trois donateurs : Michèle, Jacques et sa compagne Irène. La Fondation touche un loyer de l'association qui lui permet de rembourser des emprunts puis d'acheter de nouveaux bâtiments. Pour entrer dans la Fondation, il faut vivre sur place depuis plus de six mois et y travailler plus de la moitié du temps. L'association adopte dans son fonctionnement des principes repris à l'agriculture biodynamique ; les décisions s'y prennent à l'unanimité. Si tout nouvel adhérent peut participer aux discussions, il faut six mois d'ancienneté pour participer aux décisions. Il n'y a aucune hiérarchie, mais un partage des tâches. Il y a donc un pouvoir de faire. Une dizaine de personnes vivent alors en permanence sur place, plus pendant l'été.
Une deuxième fermeEn 1991, la Fondation peut, grâce à un nouvel emprunt, acheter une deuxième ferme avec 75 hectares, une maison d'alpage, une écurie sur la commune de Rossinière. Lactivité ovine est complétée par un important jardin, quelques vaches, une basse-cour. La laine est troquée avec la filature de Chantemerle, des coopératives de Longo Mai. Les personnes qui vivent sur place acceptent la mise en commun de leurs ressources, en échange du travail, elles sont logées, nourries et disposent d"'argent de poche" (un peu plus de 100 € par mois).
Earticulation entre la Fondation et l'association s'avère un bon équilibre : il permet d'accueillir et de voir repartir des personnes sans que cela n'ait de grandes conséquences financières (1).
Education non-violenteVers la fin des années 90, autour de la deuxième ferme, se développe un projet un peu différent. Est créée une association, Epidaure, qui devient locataire de la fondation. Pendant plusieurs années, le groupe qui y réside fait le choix du végétarisme et développe une activité d'accueil pour jeunes en difficulté. Jacques et Irène y participent. L'arrivée de jeunes en révolte dans un système communautaire ne se fait pas sans remise en question de leur fonctionnement. Sur place, il y avait toujours entre 6 et 10 enfants et les parents animaient une petite école selon la pédagogie Steiner. Les jeunes, surtout urbains, qui arrivaient là découvraient un nouveau monde. Si certains adoptaient ce modé de Repas collectif. vie, ce n'était pas
toujours le cas. Si le travail du bois passait généralement bien, certains étaient rétifs aux médecines naturelles, à l'enseignement différent, au végétarisme... Le groupe a commencé à souffrir de l'investissement que cela demandait au quotidien. Ils ont alors diminué le nombre de jeunes accueillis passant de 5 à 3. Des essais d'éducation sans punition ont été tentés avec discussion sur la notion de liberté, débat sur les conséquences de ses actes, recherche de communication, expression du ressenti, vertus du dialogue... Le groupe espérait déboucher ainsi sur une institution alternative avec un nouveau cadre juridique. En 2001, une maison a été achetée à Saint-Ursanne, une commune plus importante (800 habitants) qui est desservie par le train et qui permet aux jeunes d'aller plus facilement en ville, une de leurs demandes. La maison comprend six appartements et était envisagée comme lieu possible pour une future école alternative.
L'expérience a été suspendue en 2003 quand l'administration a réservé l'accueil des jeunes à des familles d'accueil ayant certains diplômes. Irène s'est lancée dans une formation pour obtenir ces diplômes, mais cela prend quatre ans et il faudra attendre 2007 pour relancer le processus.
La nouvelle réglementation ne reconnaît plus la possibilité d'accueil collectif, mais uniquement les familles. E association Epidaure, responsable de la deuxième ferme, deviendrait alors prestataire de services pour des familles d'accueil.
En 2003, le groupe se replie sur la maison de Sainte-Ursanne et la deuxième ferme est louée à un nouveau groupe d'origine hollandaise à vocation spirituelle. Ce troisième groupe, qui essaie de retrouver les valeurs ancestrales des Indiens, pratique la sweat-lodge (tente de sudation), anime des stages et des formations sur place. Ils refusent de constituer un collectif unique et au bout de deux ans, en 2005, s'installent dans une autre ferme voisine.
Vers un éco-villageA partir de 2000, des débats commencent sur la notion d'éco-villages. Des trois groupes, c'est l'association Epidaure où se trouvent Jacques et Irène, qui est la plus intéressée par ce concept. Les deux autres groupes ont des approches un peu différentes. Les bergers de Froidevaux, dans la première ferme, entendent continuer à privilégier l'aspect communautaire. Le troisième groupe revendique son indépendance.
Nicolas, qui est arrivé dans la région en 1999 et qui a acheté sa propre ferme à Masesselin - une dizaine d'hectares de terres plates le long du Doubs, est lui intéressé par cette nouvelle approche sans remettre en cause les notions de propriété, l'éco-village peut permettre des synergies et des formes d'entraide dans des domaines variées : aide pour la construction de nouveaux bâtiments avec des chantiers collectifs, aide aux gros travaux agricoles, possibilités de développer des activités communes comme une école alternative, la gestion des biens communaux, etc.
Des contacts sont pris avec un architecte qui étudie les synergies possibles et propose début 2004 un avant-projet. Très vite se pose l'alternative possible entre recherche d'éco-village et village écologique (2) : pourquoi ne pas essayer de convaincre l'ensemble de la commune de s'engager dans ce concept ? Nicolas se présente aux élections et se retrouve vice maire de la commune. Une deuxième famille s'installe sur sa ferme et, en 2005, Martina, sa compagne, y commence une école .Montessori pour les plus jeunes enfants. Plusieurs enfants venant des différents lieux y participent. Neuf au total, entre 2 et 6 ans. C'est une première initiative concrète écovillageoise. Le bâtiment de Saint-Ursanne est toujours envisagé pour créer une école alternative pour les plus grands. Nicolas, qui maîtrise la charpente, propose d'encadrer des chantiers collectifs.
Les obstacles pour passer à la pratique restent nombreux. Le premier obstacle est d'apprendre à concilier des personnes qui, bien que souvent sensibles à l'écologie, ont des perceptions fort différentes de ce que cela peut signifier concrètement. Deuxièmement, il manque de monde pour bon nombre de projets. Beaucoup de personnes ne disposent pas du temps nécessaire pour participer aux débats, se contentant de gérer leur vie quotidienne. Globalement, sur les quatre lieux, dont trois appartiennent à la Fondation, il y a entre 30 et 40 personnes, mais pour faire avancer le concept d'écovillage, il n'y, en a qu'une dizaine, et avec de nombreux désaccords. Ces dernières espèrent toutefois avancer sur les modes de décision et convaincre d'autres personnes de venir renforcer les alternatives locales.
Michel Bernard
• Association Epidaure, chemin du Bel-Oiseau 120, CH 2882 Saint-Ursanne, tel : 0041 (0)32 461 32 14.
• Nicolas, tel : 00 41 (0)32 955 17 04.
• Bergers de Froidevaux, CH 2887 Soubey.
(1)Un article plus important sur cette première période a été publié dans le n°226-227 de Silence, janvier 1998.
(2)Voir ce débat déjà présenté dans "Village écolo ou éco-village ?", n°331 de silence, janvier 2006.
S!lence #341 décembre 2006
à 14:48