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Le 2 octobre prochain sortira en librairie un « Dictionnaire de l’anarchie » concocté par Michel Ragon.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’internationalisation du marxisme semblait mettre l’anarchie dans les oubliettes de l’histoire.
Mais rien n’est jamais sûr. L’impensable faillite du communisme en URSS et dans les pays européens écrasés par le bolchevisme a fait resurgir la pensée libertaire.
Original par rapport aux théories socialistes ou libérales, anti-étatiste, dénonçant toute dictature, fût-elle prolétarienne, l’anarchisme a même suscité d’étonnants revirements d’idées chez des intellectuels aussi engagés avec le Parti communiste qu’André Breton et Jean-Paul Sartre « Pourquoi, déclarait André Breton au début des années 1950, pourquoi une fusion organique n’a-t-elle pu s’opérer à ce moment (lors de la naissance du surréalisme) entre éléments anarchistes proprement dits et éléments surréalistes ? J’en suis encore, vingt-cinq ans après, à me le demander. »
Et Sartre, à la fin de sa vie, disant ne plus se reconnaître dans le marxisme : « J’aime bien rappeler les origines un peu anarchistes de ma pensée. J’ai toujours été en accord avec les anarchistes, qui sont les seuls à avoir conçu un homme complet, à constituer par l’action sociale, et dont le principal caractère est la liberté. »
On croit rêver.
D’aberration en aberration, l’anarchie est devenue une mode. Un flacon de parfum s’est même, voilà peu, baptisé Anarchiste. Guy Sorman, auteur de « La Révolution conservatrice américaine », prône un « conservatisme libertaire ». Emmanuel Le Roy Ladurie se dit « libéral-libertaire », et Alain Touraine « socialo-libertaire ». En mars 1983, dans le « Magazine littéraire », Jean-Jacques Brochier consacrait un long article à « Sollers anarchiste », et, en avril, un non moins long article à « l’anarchiste cérébral » Georges Simenon.
La méthode est bien connue. Cajolons l’adversaire pour mieux l’étouffer.
L’anarchie a une longue histoire et, au début du XIXe siècle, William Godwin et Charles Fourier peuvent être considérés comme des précurseurs de l’anarchisme. Pourtant, le véritable théoricien de l’anarchie, c’est Proudhon. Proudhon se proclame anarchiste et élabore une doctrine qui demeurera à jamais concurrente de celle de son contemporain et ennemi Karl Marx.
Pourtant, à la mort de Proudhon, en 1865, il n’existait aucun mouvement anarchiste, ni en France ni ailleurs. Bien que les ouvriers parisiens qui firent la Commune de 1871 fussent, selon l’expression de Karl Marx, « infectés de proudhonisme ».
L’anarchie, comme mouvement politique, ne commence que vers 1880, et l’ancêtre, « le père de tous les anarchismes », c’est Bakounine exclu en tant que tel par Marx de l’Internationale.
L’anarchie se situe en dehors des partis et les récuse tous. Bien que la politique ouvrière française, à la fin du XIXe siècle, ait été foncièrement anarchiste, débouchant sur l’anarchosyndicalisme.
La difficulté de cerner l’anarchisme, c’est justement qu’il n’est pas un parti, mais l’association, parfois tumultueuse, de nombreuses tendances.
Quoi de commun entre l’anarchisme individualiste, qui va de Stirner à Émile Armand, et le communisme libertaire de Kropotkine sinon une opposition totale à l’embrigadement étatique ? Rien de commun entre le pacifisme intégral de Louis Lecoin et sa défense des objecteurs de conscience, et le nihilisme teinté de terrorisme. Rien de commun entre l’antipatriotisme, l’antimilitarisme, qui sont l’un des aspects les plus connus de l’anarchisme, et un patriote ukrainien anarchiste, valeureux guerrier, comme Makhno.
Rien de commun… Eh bien si, malgré des oppositions aussi vives, nous verrons que l’esprit libertaire se trouve aussi bien chez des hommes de guerre comme Makhno et Durruti, que chez des pacifistes comme Stirner ou Thoreau. Le mouvement anarchiste n’est pas un parti politique. Sa doctrine est floue, parfois contradictoire. Avec néanmoins des constantes.
Par exemple la négation de l’autorité, de toute autorité.
« Il y a plusieurs variétés d’anarchistes, écrit Sébastien Faure dans l’Encyclopédie anarchiste, mais tous ont un trait commun qui les sépare de toutes les autres variétés humaines. Ce point commun, c’est la négation du principe d’autorité dans l’organisation sociale et la haine de toutes les contraintes qui procèdent des institutions fondées sur ce principe. Ainsi, quiconque nie l’autorité et la combat est anarchiste. »
Négation de l’autorité et révolte.
Dans sa « Lettre aux anarchistes » (12 décembre 1899), Fernand Pelloutier écrit :
« Nous sommes des révoltés de toutes les heures, des hommes vraiment sans dieu, ni maîtres, sans patrie, les ennemis irréconciliables de tout despotisme moral ou matériel, individuel ou collectif, c’est-à-dire des lois ou des dictatures (y compris celle du prolétariat) et les amants passionnés de la culture de soi même. »
La révolte peut amener la violence, dont Sébastien Faure disait qu’elle était une « nécessité douloureuse ». Si la violence est aujourd’hui rejetée par les fédérations anarchistes (la violence des années 1970-1980 n’est plus le fait des anarchistes devenus non violents et pacifistes, mais de groupuscules marxistes-léninistes : bande à Baader en Allemagne, Brigades rouges en Italie, Action directe en France), l’histoire de l’anarchie comporte cependant une tradition de la violence.
Les courants libertaires sont aujourd’hui multiples et touchent le monde entier. Toujours importants en Italie, en Espagne et en France, nombreux en Amérique latine, c’est sans doute aux États-Unis que l’anarchisme connaît sa plus féconde activité théorique, par sa présence dans les universités (Murray Bookchin, Noam Chomsky) et dans le monde du spectacle (du Living Theater à John Cage).
L’anarchisme aux États-Unis demande une étude spécifique, ce que Ronald Creagh a d’ailleurs réalisé par sa thèse de doctorat en 1978.
L’anarchisme a resurgi en Grèce, en Turquie, en Yougoslavie et dans les pays scandinaves. Et, bien sûr, en Russie et en Ukraine, délivrés du joug bolchevique.
Dans sa préface au livre d’Alain Pessin, « La Rêverie anarchiste » (1982), Gilbert Durand met l’accent sur la nouvelle pratique sociologique qui se refuse à considérer l’anarchiste comme un marginal. « Le mouvement anarchiste, écrit-il, se situe dans ces phénomènes de marginalisation qui, selon nous – mais déjà selon Marx dans son analyse de la société de la première moitié du XIXe siècle –, sont le sel fécond de toute société. »
Dans les dernières décennies du XXe siècle, la sociologie et la philosophie universitaires se sont emparées de la pensée libertaire, même (et c’est souvent le cas pour les vedettes) lorsqu’elles ne citent pas leurs sources. Les études sur l’histoire et l’actualité de l’anarchie sont aujourd’hui nombreuses. Pessin, Manfredonia, Creagh, Onfray ont donné à la pensée libertaire de nouvelles perspectives, même si celles-ci effarouchent parfois le militantisme traditionnel.
Gaetano Manfredonia souligne que « la composition sociale des militants [est] de plus en plus issue des classes moyennes salariées » et que le mythe du Grand Soir « ne fait plus recette ». « Ne fait plus recette », mais galvanise néanmoins encore les jeunes militants.
L’idée même d’une révolution sociale insurrectionnelle, poursuit Manfredonia, demeure plus un mythe qu’une éventualité évidente, quand cette perspective était ancrée au plus profond des espérances anarchistes au début du XXe siècle.
Car si la philosophie anarchiste n’a jamais été « ouvriériste », si ses principaux théoriciens (à part Proudhon) n’étaient pas des hommes du peuple (Bakounine et Kropotkine aristocrates, Fénéon intellectuel bourgeois, Élisée Reclus savant géographe), la majorité des militants furent néanmoins et, pendant longtemps, des artisans : cordonniers, imprimeurs… Symboliquement, la couverture de la revue de Pouget, Le Père Peinard, célébrait un cordonnier à son établi.
En 1894, la police lyonnaise fichait cent cinquante-deux anarchistes. Parmi ceux-ci, 55 % étaient des artisans : trente-neuf cordonniers, seize tisserands, onze plâtriers, huit teinturiers. Les marxistes n’accusaient-ils pas les anarchistes d’être des produits de métiers en voie de disparition ? Mais le travail de ces métiers artisanaux permettait la rêverie. On sait que les cordonniers, notamment, étaient de grands lecteurs.
L’industrialisation de la cordonnerie et du tissage a balayé cette culture ouvrière. L’échec de toutes les révolutions populaires a mis à mal le messianisme.
Les nouveaux penseurs de l’anarchie se livrent à une complète reformulation des théories.
Subsistent, subsisteront toujours le rejet de l’État, du pouvoir (de tous les pouvoirs) et la fringale de liberté (de toutes les libertés).
Mais que sont aujourd’hui les États nationaux dans le contexte du capitalisme mondial ? Les anarchistes participent évidemment aux manifestations antimondialistes et écologistes. On les retrouve dans l’épopée du Larzac, dans les rassemblements contre les sites nucléaires, parmi les arracheurs de maïs transgénique.
Le situationnisme, les provos d’Amsterdam, Solidarnosc, autant de sursauts libertaires et revendiqués comme tels.
L’activité des militants anarchistes se retrouve aujourd’hui dans la critique des bureaucraties syndicales, dans la solidarité avec les objecteurs de conscience et les insoumis, dans les critiques de l’enfermement psychiatrique et de l’indigence carcérale, dans l’aide aux sans-papiers, aux sans-logis, aux SDF, aux expropriés.
On les retrouve encore parmi les théoriciens de la décroissance et les adversaires du matraquage de la publicité (les Déboulonneurs de pub).
On les retrouve toujours dans les luttes féministes. Toujours, puisque les anarchistes se sont démarqués des partis ouvriéristes en préconisant, dès le début du XXe siècle, des réformes fondamentales : moyens contraceptifs, droit à l’avortement, sexualité consciente, limitation des naissances, union libre.
Combien ont été condamnés à la prison pour propagande interdite, aujourd’hui normale ?
Les anarchistes ont prôné, malgré la malédiction qui les poursuivait, ce qui est devenu le planning familial.
Enfin, Internet donne une puissance nouvelle à l’Internationale anarchiste puisqu’il permet un contact permanent, de pays à pays, de continent à continent. Les liens internationaux sont devenus plus faciles, plus immédiats et la propagande plus directe.
Le capitalisme dénoncé par Marx était absolument sordide. Mais il n’était qu’une préface malhabile à ce qui est devenu le capitalisme mondial d’aujourd’hui.
Face à celui-ci, que dire, que faire, sinon espérer ce que Jean Préposiet énonçait dans son excellente « Histoire de l’anarchisme » (1993) :
« Sans l’aiguillon libertaire, le pouvoir ne douterait jamais de lui-même. L’anarchisme reste la mauvaise conscience de l’autorité. »
[Michel Ragon] dans « Le Monde libertaire » du 25/09 au 01/10/08
Commentaires :
Rakshasa |
"Le situationnisme, les provos d’Amsterdam, Solidarnosc, autant de sursauts
libertaires et revendiqués comme tels."
On se demande ce que peut apporter un dictionnaire qui ne sait pas que le "situationnisme" n'existe pas (ou qui emploie ce terme sciemment ?). Les situationnistes ont clairement défini le situationnisme comme n'existant pas et comme mot et concept créé par "l'ennemi" afin de figer des pratiques et des pensées dans une idéologie. Répondre à ce commentaire
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leslibertaires 26-09-08
à 16:43 |
Retour de "mode" pour l'anarchieL ' auteur (m ragon ) travaille avec l' agité du bocage vendéen , ph de Villiers (avec qui il est en très bon terme , au point d'apparître comme sa caution "libertaire" dans les revues de
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panik 26-09-08
à 18:55 |
Re: Retour deSalut! voir aussi "la mémoire des vaincus"d'ailleurs que nous continuerons à être, à la lecture des deux premiers commentaires...
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Rakshasa 26-09-08
à 21:52 |
Re: Retour deEuh...panik... ce qui te laisse présager que nous continuerons à être des vaincus, c'est la lecture de Ragon ou les critiques qu'en font les deux commentaires auxquels tu fais référence ?
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panik 27-09-08
à 14:00 |
Re: Retour deUn livre en premier lieu se lit, ensuite vient l'appréciation voire la critique, un article dans un canard résume en aucune façon la qualité du livre.
Ragon est un historien, et a écrit nombres de volumes consacrés à la Vendée, ainsi que d'autres à l'histoire de l'art et de l'anarchie, il m'est difficile en fait de lire vos commentaires sans avoir une réaction, surtout parce que vous ne connaissez pas le contenu du livre puisque il ne parait que le 02 octobre. Ayant lu quelques bouquins de Ragon, j'ai toujours retrouvé une écriture saine, sans ambiguïté et surtout compréhensible par le commun des mortels, ce qui n'est pas toujours le cas de vos commentaires souvent alambiqués. On parle souvent d'éducation des masses sur le site de l'En dehors, je pense que les livres de Ragon permettent aux néophytes de se cultiver et de comprendre l'évolution du mouvement ouvrier et de l'anarchisme en l'occurrence. Voilà où je voulais en venir avec mon commentaire. Bien à vous. Répondre à ce commentaire
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Rakshasa 27-09-08
à 14:19 |
Re: Retour deSauf, qu' a priori, c'est bien des extraits de l'introduction qui sont présentés ici. Or, une intro d'un dictionnaire de l'anarchisme qui contient déjà une erreur énorme, ne dit rien de bon qui vaille quant au sérieux de l'ouvrage, qui plus est un dictionnaire qui se veut donc une référence. On peut douter de la qualité du reste avec une telle introduction.
Pour ma part, j'ai lu de Ragon, "Histoire de l'architecture et de l'urbanisme moderne", très bon dans mes souvenirs, ce n'est pas pour autant que je plonge sur la "nouveauté" toute ragonienne qu'elle soit, surtout si cela me paraît peu fiable. Répondre à ce commentaire
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ElVirolo 27-09-08
à 16:43 |
Re:à Rakshasa : est-ce parce que les situs ont affirmé que le situationnisme n'existait pas que c'est le cas ? Il est de bon ton de montrer, quand on est pro-situ, qu'on a lu les définitions de l'IS (souvent la seule chose qu'on a lue, comme la seule chose qu'ont lue les marxistes est le Manifeste) et qu'on défend la vraie, l'authentique tradition situationniste.
Je suis de ceux qui, tout en étant très influencé par les situs, persiste à dire qu'il y a un situationnisme (de fait, du moins). Debord était très autoritaire, et l'IS très rigide. Il se complaisait dans le mépris de tout, surtout de ce qui lui était le plus proche, pour montrer que sa pensée, sa personne étaient uniques, origniales et inaccessible pour quiconque. Le souci de distinction de l'IS est, pour moi, une preuve de l'existence d'un "situationnisme". Répondre à ce commentaire
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Rakshasa 28-09-08
à 00:03 |
Re:Oui, il y a bien le situationnisme des "pro-situ" et "post-situ" (éventuellemnt le nashisme ?) mais on peut pas vraiment dire que le texte ci-dessus parle de manière critique de la dérive dénoncée par les situ. Ici, le situationnisme est défini comme un "sursaut libertaire". C'est une bien mauvaise définition du situationnisme qui n'est pas un sursaut mais plutôt un râle d'agonie, une récupération par les "ennemis" des théories et pratiques situ. Donc un dictionnaire avec de mauvaises définitions (c'est le comble !), j'ai un doute sur le sérieux de l'ouvrage et des recherches menées pour le réaliser.
Pour ma part, la personne de Debord, j'en ai rien à carrer. Et l'histoire de l'IS, c'est juste un exemple pour moi de ce qu'il ne faut pas faire ou refaire. C'est une avant-garde parmi les autres, elle a juste eu le mérite (entre-autres) d'annoncer qu'elle était la dernière. Et pour ce qui est des théories situ, en lisant un peu de Marx, de Pannekoek et de Lukacs, le tout mâtiné d'un peu d'histoire de l'art concernant le projet anarchiste des dadas (détruire l'art pour le fusionner avec la vie), ni Debord, ni les autres situs ne sont réellement difficiles à comprendre. C'est certain que Debord écrit avec ses propres références, de là à entretenir un mythe de l'hermétisme des écrits de Debord... Debord est accessible, il faut juste comprendre de quels courants de pensées il est issu. Par contre, je trouve qu'il est d'un ennuyeux avec sa nostalgie... (je te dis ça du haut de mon bac et de mon certificat agricole...c'est dire si la contrainte est grande pour lire du Debord...) Répondre à ce commentaire
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revolte 30-09-08
à 09:10 |
Re:M.Ragon,personnage ambigu et opportuniste qui bouffe a tous les rateliers de la politique politicienne. Vous avez dit anarchisme? Sans commentaires.... Répondre à ce commentaire
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à 21:57