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La Banque et le FMI ont tenté dès le début de se soustraire largement
aux obligations auxquelles sont tenues les organisations membres du
système des Nations unies. En ce qui concerne la Banque, alors que sa
mission d’aide au développement aurait dû l’amener à rechercher un
rapprochement avec l’ONU, ses dirigeants ont travaillé avec succès à la
mettre hors de portée de celle-ci. La Banque et le FMI ont joué un rôle
actif dans la guerre froide et plus tard dans la réaction des
dirigeants des pays les plus industrialisés face à la montée en
puissance des PED qui revendiquaient un Nouvel ordre économique
international.
Ne disposant pas de Plan Marshall, les PED proposent la création d’un nouvel organe onusien, c’est-à-dire basé sur le système « un pays, une voix » facilitant les prêts à leurs industries : le SUNFED. Les pays industrialisés s’y opposent farouchement, et font triompher une contre-proposition. L’Association internationale de développement (AID), branche de la Banque, enterre le SUNFED.
Retour sur le début des relations
En mars 1946, lors de la première réunion des gouverneurs de la Banque
mondiale et du FMI, le président du Conseil économique et social de
l’ONU [1]
(connu sous l’abréviation anglaise ECOSOC) remet une lettre à la
direction de la Banque lui demandant d’établir des mécanismes de
liaison avec son organisation. La Banque reporte la discussion à la
réunion des directeurs exécutifs qui doit se tenir en mai 1946. En
réalité, il y a tellement peu d’empressement de la part de la Banque
qu’il faut attendre novembre 1947 pour arriver à un accord entre les
parties concernées. Selon Mason et Asher, historiens de la Banque,
durant tout ce temps, les négociations n’ont pas été particulièrement
cordiales [2].
La première lettre d’ECOSOC n’ayant pas reçu de réponse, une deuxième
est envoyée à laquelle les directeurs exécutifs de la Banque répondent
qu’une rencontre, selon eux, est prématurée. Entre temps, les Nations
unies ont déjà conclu des accords de collaboration avec l’Organisation
internationale du travail, l’UNESCO et la FAO.
En juillet 1946, au cours d’une troisième tentative, le secrétaire général de l’ONU propose à la Banque et au FMI d’entamer les négociations en septembre 1946. Les dirigeants du FMI et de la Banque se réunissent et décident qu’il n’est toujours pas opportun de tenir une telle réunion. Mason et Asher commentent ces manœuvres dilatoires de la manière suivante : « La Banque craignait très fort qu’en devenant une agence spécialisée de l’ONU, elle soit soumise à un contrôle ou à une influence politique indésirable et que cela fasse du tort à sa notation (credit rating) à Wall Street... » [3]. Finalement, la Banque adopte un projet à soumettre à la discussion avec les Nations unies qui est plus une déclaration d’indépendance qu’une déclaration de collaboration. Elle donne lieu à une journée de discussion au quartier général de l’ONU au cours de laquelle le président de la Banque, John J. McCloy, accepte de mettre un peu d’eau dans son vin.
Bien qu’accepté par le comité de négociation d’ECOSOC, l’accord intervenu soulève un tollé au sein d’ECOSOC et à l’Assemblée générale. Lors de la session de 1947 d’ECOSOC, le représentant de l’Union soviétique qualifie le projet d’accord de violation flagrante d’au moins quatre articles de la Charte de l’ONU. Plus gênante pour les responsables de la Banque et, derrière eux, les Etats-Unis, est l’attaque lancée par le représentant de la Norvège (pays d’où provenait le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Trygve Lie). Il déclare que la Norvège ne peut accepter que de tels privilèges soient accordés à la Banque et au Fonds car cela minerait l’autorité des Nations unies. A quoi le représentant des Etats-Unis rétorque que rien ne minerait plus les Nations unies qu’une incapacité à se mettre d’accord avec la Banque et le Fonds. Finalement, ECOSOC adopte (13 pour, 3 contre et 2 abstentions) le projet qui est ratifié en septembre 1947 par le conseil des gouverneurs de la Banque (le gouverneur représentant la Yougoslavie s’abstenant). L’accord fut approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies en novembre 1947.
Cet accord ratifie le statut d’organisation spécialisée de l’ONU mais, à la demande de la Banque, lui permet de fonctionner comme une « organisation internationale indépendante ». Dans le même sens, il autorise la Banque à juger elle-même quelles sont les informations utiles à communiquer à ECOSOC, ce qui est de fait une dérogation à l’article 17 alinéa 3 et à l’article 64 de la Charte des Nations unies (l’article 64 donnait le droit à ECOSOC d’obtenir des rapports réguliers de la part des agences spécialisées). Il y a aussi de fait une dérogation à l’article 70 qui prévoit une représentation réciproque à chaque délibération. Or, la Banque et le Fonds se réservent le droit de n’inviter des représentants des Nations unies qu’à la réunion du Conseil des gouverneurs. Dans leur jugement, les historiens de la Banque déclarent que cet accord était insatisfaisant aux yeux du secrétariat des Nations unies mais qu’il a dû se résigner à l’accepter. Ils ajoutent que « le président de la Banque McCloy ne pouvait pas être classé comme un admirateur des Nations unies et Garner (vice-président de la Banque) était considéré comme anti-ONU » [4].
La création de la SFI et de l’AID [5]
Dès le début des activités de la Banque
mondiale, les gouvernements des pays en développement, à commencer par
ceux d’Amérique latine suivis ensuite par l’Inde, critiquent le fait
qu’il n’existe pas pour eux de facilités équivalentes au plan Marshall,
lequel est limité à l’Europe. En effet, les prêts de la Banque sont
accordés au taux d’intérêt du marché tandis que l’aide du plan Marshall
est principalement attribuée sous forme de don. Une partie mineure de
l’aide du Plan Marshall consiste en prêts sans intérêt ou à des taux
d’intérêt inférieurs à ceux du marché.
Dès 1949, un économiste indien propose la création d’une nouvelle
organisation internationale dans le cadre de l’ONU. Il envisage de
l’appeler « Administration des Nations unies pour le développement
économique ». Quelques années plus tard, l’idée émerge à nouveau au
sein d’ECOSOC : le SUNFED (Special United Nations Fund for Economic Development)
est alors mis en place. De 1950 à 1960, plusieurs pays du Tiers Monde
ainsi que l’URSS et la Yougoslavie mènent systématiquement campagne au
sein de l’ONU afin de donner corps au SUNFED, puis de le renforcer. Le
gouvernement des Etats-Unis et ceux des autres grandes puissances
industrielles, eux, ne veulent pas entendre parler d’un fonds spécial
contrôlé par l’ONU et séparé de la Banque mondiale.
Parmi les raisons qui poussent les PED à exiger la mise en place d’une
agence spécialisée de l’ONU pour financer leur développement, figure la
question du droit de vote en son sein. Ils veulent une agence de l’ONU
de manière à garantir l’application de la règle « un pays, une voix »
par opposition à la règle de type censitaire appliquée à la Banque.
C’est pour la même raison, mais en sens inverse, que les Etats-Unis et
les autres puissances s’opposent frontalement à la proposition : les
quelques pays riches veulent éviter d’être mis en minorité.
Selon les historiens officiels de la Banque, Mason et Asher, et plus tard Catherine Gwin, les Etats-Unis lancent en 1954 une première contre-proposition qui est mise en pratique dès 1956 par la Banque avec la création de la Société financière internationale (SFI), destinée à accorder des prêts aux entreprises privées des PED [6]. La création de la SFI ne règle pas le contentieux et la campagne des PED en faveur du SUNFED redouble : en 1958, ce Fonds spécial des Nations unies est habilité à financer les pré-investissements dans les PED.
Malheureusement, le camp des pays du Tiers Monde se divise rapidement. L’Inde, qui au départ soutenait le SUNFED, change de camp et devient favorable à la deuxième contre-proposition des Etats-Unis. Celle-ci consiste en la création d’une Association internationale de développement (AID) liée à la Banque mondiale, comme alternative au SUNFED [7]. Le lobby indien pro-Washington est persuadé que l’Inde sera avantagée par l’AID car les grandes puissances qui dominent les institutions de Bretton Woods comprendront la nécessité de privilégier l’Inde en raison de la place stratégique qu’elle occupe. Et l’Inde voit juste : dès la première année de l’existence de l’AID, elle reçoit 50% de ses prêts.
Le gouvernement des Etats-Unis, en
proposant la fondation de l’AID, veut faire d’une pierre deux coups :
d’une part, empêcher les Nations unies de poursuivre le renforcement du
SUNFED et de répondre ainsi aux besoins des PED ; d’autre part, trouver
un moyen d’utiliser les réserves en monnaies des PED que le Trésor
états-unien avait accumulées depuis 1954 grâce à la vente de ses
surplus agricoles dans le cadre de la loi 480 [8].
Plusieurs auteurs s’accordent à considérer que c’est le sénateur Mike
Monroney de l’Oklahoma qui lança l’idée le premier : il soumet une
résolution au Sénat qui propose l’établissement de l’AID en coopération
avec la Banque et propose que les réserves en monnaies non convertibles
soient versées à cette agence afin d’accorder des prêts à long terme et
à bas taux d’intérêt, remboursables eux-mêmes en monnaie locale. Un des
objectifs est de fournir des prêts à des pays pauvres afin que ceux-ci
puissent acheter des surplus agricoles nord-américains [9]. Le président de la Banque Eugène Black déclarera plus tard : « En réalité, l’AID était une idée conçue pour contrer le désir d’un SUNFED » [10]. Il vaut la peine ici de citer Mason et Asher qui affirment : « En
tant qu’organisation internationale affiliée à la Banque mondiale,
l’AID est une fiction sophistiquée. Appelée « association » et dotée de
statuts, de fonctionnaires, de membres de gouvernements à profusion et
de tous les signes extérieurs des autres agences internationales, elle
n’est, pour le moment, qu’un fonds administré par la Banque mondiale » [11].
Les Etats-Unis apportent au départ 42% des fonds de l’AID, ce qui leur assure là-aussi la prédominance.
Parallèlement à la création de l’AID, le CAD (Comité d’aide au Développement de l’OCDE) est mis en place à Paris. Il s’agit de la structure qui « coordonne » l’aide au développement bilatérale des Etats les plus industrialisés. Le SUNFED est alors définitivement enterré, les Etats-Unis ont imposé les institutions qu’ils sont assurés de contrôler.
Financement de l’AID
L’AID n’emprunte pas sur les marchés financiers. L’argent qu’elle prête
provient de dons fournis régulièrement par les pays membres
(principalement les pays industriels les plus riches auxquels s’ajoute
l’OPEP depuis les années 1970) et des remboursements qu’elle perçoit.
Tous les trois à quatre ans, les pays contributeurs reforment la
cagnotte : c’est l’occasion de discussions de marchands de tapis. C’est
surtout l’enjeu de gros débats au Congrès états-unien car c’est lui qui
décide du montant accordé. Cela fait l’objet de nombreux marchandages
entre le Congrès, le gouvernement de Washington et la présidence
états-unienne de la Banque mondiale/AID. Pourtant, les montants en jeu
sont très modestes. L’intérêt de l’affaire est de s’assurer que
l’argent prêté par l’AID revienne aux donateurs sous forme d’achats
(aide liée) [12].
Le refus de la Banque mondiale de se conformer aux demandes de l’ONU en ce qui concerne le Portugal et l’Afrique du Sud
A partir de 1961, alors que la plupart des pays coloniaux ont obtenu leur indépendance et sont devenus membres de l’ONU, l’Assemblée générale adopte à plusieurs reprises des résolutions de condamnation du régime de l’apartheid en Afrique du Sud ainsi que de celui du Portugal qui maintient son joug sur plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. En 1965, devant la poursuite du soutien financier et technique de la Banque et du FMI à ces régimes, l’ONU demande formellement : « A toutes les agences spécialisées des Nations Unies et en particulier la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et le Fonds monétaire international [...] de s’abstenir d’octroyer au Portugal toute aide financière, économique ou technique tant que le gouvernement portugais n’aurait pas renoncé à sa politique coloniale qui constitue une violation flagrante des dispositions de la Charte des Nations unies » [13]. Elle fait de même en ce qui concerne l’Afrique du Sud.
La direction de la Banque se réunit pour prendre position et une majorité des directeurs exécutifs décide de poursuivre les prêts. Justification avancée : l’article 4, section 10 de ses statuts [14] lui interdit de faire de la politique ! Tous les pays les plus industrialisés, appuyés par un certain nombre de pays latino-américains, votent en faveur de la poursuite des prêts. En 1966, la Banque approuve un prêt de 10 millions de dollars pour le Portugal et de 20 millions pour l’Afrique du Sud. Par la suite, sous une pression redoublée, la Banque n’accorde plus de nouveaux prêts. Néanmoins une structure des Nations unies, le Comité de décolonisation (Decolonization Committee), continuera de dénoncer pendant plus de 15 ans le fait que la Banque permette à l’Afrique du Sud et au Portugal de se porter candidats pour obtenir des financements de la Banque pour des projets dans d’autres pays. De plus, la Banque courtise l’Afrique du Sud pour que celle-ci fasse des dons à l’AID [15].
[1] Le Conseil économique et social de l’ONU fait des recommandations en vue de coordonner les programmes et activités des institutions spécialisées des Nations unies (article 58 de la Charte des Nations unies). A cet effet, ECOSOC dispose des pouvoirs qui lui sont attribués aux termes du Chapitre X de la Charte. L’article 62 paragraphe 1 dispose ce qui suit : "Le Conseil économique et social peut faire ou provoquer des études et des rapports sur des questions internationales dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique et autres domaines connexes et peut adresser des recommandations sur toutes ces questions à l’Assemblée générale, aux Membres de l’Organisation et aux institutions spécialisées intéressées".
[2] Mason Edward S. et Asher, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, The Brookings Institution, Washington, D.C., p.55.
[3] Idem, p.56.
[4] Ibid., p.59.
[5] Cette partie est écrite sur la base de Van de Laar, Aart. 1980. The World Bank and the Poor, Martinus Nijhoff Publishing, Boston/The Hague/London, 1980, p. 56-59 ; Mason Edward S. et Asher, Robert E. 1973. The World Bank since Bretton Woods, The Brookings Institution, Washington, D.C., pp. 380-419 ; Gwin, Catherine. “U.S. relations with the World Bank, 1945-1992”, in Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, pp.205-209 ; Rich, Bruce. 1994. Mortgaging the Earth, Earthscan, London, p.77.
[6] Mason Edward S. et Asher, Robert E. 1973. p.384-385 ; Gwin, Catherine. in Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. p.206 ; Van de Laar, Aart. 1980. p.57.
[7] Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1, p. 1127
[8] Van de Laar, Aart. 1980. p.57 ; Gwin, Catherine , in Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. p.206 ; Mason Edward S. et Asher, Robert E. 1973. p.386-387.
[9] Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1, p. 1128
[10] “IDA was really an idea to offset the urge for SUNFED”, Mason et Asher, p.386.
[11] Mason et Asher, p.380-381.
[12] Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1, p. 1149.
[13] UN Doc. A/AC.109/124 and Corr. 1 (June 10, 1965).
[14] L’art. IV section 10 stipule : “La Banque et ses responsables n’interféreront pas dans les affaires politiques d’un quelconque membre et il leur est interdit de se laisser influencer dans leurs décisions par le caractère politique du membre ou des membres concernés. Seules des considérations économiques peuvent influer sur leurs décisions et ces considérations seront soupesées sans parti pris, en vue d’atteindre les objectifs (fixés par la Banque) stipulés dans l’art. I ”. Voir le chapitre 6.
[15] Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1, p. 692
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