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Une Guelaguetza Policière: réalisée par les Offices de tourisme et le Gouvernement répresseur, pour des touristes en sueur
Durant tous les lundis de Juillet, se déroulent dans la ville de Oaxaca, Etat de Oaxaca, Mexique, des festivités qui voient se rassembler les différents peuples des vallées, des montagnes et de la côte de Oaxaca. On trouve des renseignements sur cette fête gigantesque ("La plus grande du continent américain" selon l'Office de Tourisme de la ville...) dans tous les guides touristiques, des hordes viennent donc tous les ans mirer les danses traditionnelles, en buvant des bières et en se gavant de tacos dans les restos chers qui forment une couronne autour du Zocalo, place centrale de Oaxaca.
Quand je suis arrivé dans la ville (que j'avais traversée plus d'un mois avant avec des amis, le temps d'une escale sur la route du Chiapas) j'ai été frappé par les transformations et les aménagements prévues pour les touristes. Confort visuel tout d'abord: aucun tag politique ou presque à l'horizon, tous les murs du centre-ville jusqu'au terminal d'autobus sont couverts d'une peinture verdâtre à l'endroit où quelques semaines avant on pouvait lire "URO Assassin" (URO est l'acronyme de Ulises Ruiz Ortiz, gouverneur de l'Etat de Oaxaca), "Le peuple ne sera jamais vaincu", "Nous ne voulons pas de prisonniers politiques, mais les politiques en prison", "Boycot de la Guelaguetza Policière"... etc. Sécurité maximale dans les quartiers fréquentés par les étrangers: on ne peut pas faire un pas sans croiser du regard un ou une flique, avec un dépliant touristique dans la main gauche et un tonfa dans la droite.
Pour un pékin de base, sans curiosité aucune, Oaxaca est une étape importante dans son tour de 3 semaines "à la découverte du Mexique". Il y verra des églises monumentales, un Zocalo verdoyant, des places ensoleillées et les ruines de Monte Alban, site archéologique d'envergure. Il aura peut-être vaguement entendu parlé qu'en 2006, les touristes comme lui avaient du renoncer à tout ça à cause "du conflit", "d'une grève avec des professeurs", "de terroristes"... mais tout ceci est bien derrière lui. Oaxaca est revenue au calme.
D'ailleurs, dans sa tête, Pekin Moyen pense que le Mexicain est un être très calme, qui porte un sombrero ainsi qu'une moustache et qu'il fait souvent la sieste. C'est un peu emmerdant pour Pékin Moyen, ce calme des Mexicains parce que parfois, Pékin Moyen doit attendre des bus en retard.
"Danse des pavés", folklore traditionnel de la Ville de Oaxaca. Regardez bien ces jolis costumes.
Cette danse s'effectue avec moults accessoires contondants.
Ne
vous inquiétez pas, si vous n'avez point le billet pour aller la voir
se dérouler là-bas, c'est ici en France que sont formés les zigotos de
la Police Fédérale Préventive...
Pékin Moyen marche dans la rue piétonne et il est trop occupé à affiner le réglage de son appareil photo numérique pour s'occuper des affiches collées sur les murs qui annoncent l'imminence de la Guelaguetza Populaire. Pas celle du fric. Pas celle des assassins. Pas celle du gaz lacrymogène. Pas celle des mafias politiques de "gauche" comme de droite. Pas celle qui veut voir la culture indienne dans les musées et dans quelques défilés payants.
Pékin Moyen, je te plains. Mais pas trop longtemps, j'ai d'autres trucs à faire.
Une Guelaguetza populaire : réalisée par le peuple et pour le peuple
J'arrive un peu en avance, au départ d'une longue journée de
procession au sein de la ville. En grignotant une quesadilla (grande
tortilla fourrée de fromage de Oaxaca, curieux aliment à la forme
improbable de noeud), je vois quelques familles se trimballer des
personnages en papier maché et en carton, chargés de pétards. Je me
demande combien nous serons une heure plus tard. Le chiffre exact; je
ne l'ai jamais su, mais ce que j'ai constaté et ressenti, c'était que
la "calenda" (déambulation festive) était une vague qui ne s'arrêtait
jmais d'enfler. Nous avons traversé un nombre incalculables de petits
quartiers périfériques. Pékin Moyen et sa famille ne vont jamais par
ici, "ca fait trop bidonville".
Au milieu de cette vague, des gens
de tout l'Etat de Oaxaca, depuis les côtes du Pacifique jusqu'à la
Sierra Mazatèque. On m'aborde fréquemment car nous, les guer@s
("blanc-he-s) ne sommes pas très nombreux. Guère une vingtaine qui
marche au sein de la calenda. Les dégustations de Mezcal sont
fréquentes, puisque chaque délégation de chaque région souhaite bien me
prouver que leur production est la meilleure.
Assurément, vers 5h
de l'aprem, en plein soleil, le ventre vide suite à une indigestion la
veille, je ne marche pas très droit. Ca tombe bien car durant cette
Guelaguetza il convient de danser, de bouger d'un groupe à l'autre, de
se laisser porter au gré des rencontres. Aux discours politiques
succèdent les danses traditionnelles. Puis à nouveau les discours,
chaque orateur-ice marquant, avec détermination, leur volonté de
poursuivre la lutte engagée depuis longtemps contre le gouverneur.
Ulises Ruiz est partout durant cette calenda... mais partout sous des formes différentes. Tantôt il est un gigantesque ver, ou bien un insecte répugnant. Très souvent il possède un corps de porc. Ou bien un uniforme nazi. Sur les pochoirs qui recouvrent les murs (là où les services de nettoyage ne sont pas passé), il a un gigantesque étron à la place du cerveau.
Pékin Moyen trouverait ça sans doute vulgaire. Pas très "typique mexicain". Ce qui est "typique mexicain", c'est la Corona, les mariachis et le guacamole.
La
tronche de Ulises Ruiz, gouverneur de l'Etat de Oaxaca, au bout d'un
long ver porté lors de la calenda du Samedi précédent le dimanche de la
Guelaguetza Populaire.
Vers 8h du soir, la calenda converge vers le Zocalo, place où se
rassemble le peuple en cas de problème ou bien de fête... la veille, au
même endroit, j'avais assisté à une calenda similaire, mais avec des
danseur-euse-s "officiel-le-s"... la différence est criante. Hier il
n'y avait quasiment personne, comparé à la marée humaine qui vient se
masser autour des installations pyrotechniques. Quand la nuit sera
tombée, tout aura brûlé en faisant le plus de boucan possible. J'ai la
trouille des pétards mais je n'aurais pas le choix. Encore des appels
vibrants à la foule et une pensée permanente pour celles et ceux qui ne
peuvent pas être là ce soir... on parle bien entendu des mort-e-s et
des prisonnier-e-s.
Lorsque tout s'embrase, je ne sais pas trop où
me mettre. Alors je me met aux premières loges. Histoire de voir le
fragile édifice de plusieurs mètres cramer peu à peu. A son sommet,
dernier clin d'oeil en forme de coup de pied au cul à Ulises Ruiz: un
hélicoptère (SON hélico, avec lequel il avait survolé la ville en
grève...) qui s'enflamme et qui part en vrille avant de finir sa course
en percutant le mur de la cathédrale voisine.
Feux d'artifices, offerts par la Seccion 22 du SNTE (Sindicato Nacional de lxs Trabajadorxs de la Education)
Pékin Moyen, si tu passais par là, tu as dû trouver le feu d'artifice très joli, mais tu n'as pas dû comprendre pourquoi tout le monde chantait cette chanson: "Nous vaincrons". Mais c'est bien connu, un Mexicain Typique, dès que ça chope une guitare, ça se met à chanter n'importe quoi. Ils ont ça dans le sang.
Des milliers de personnes reprennent en choeur les refrains...
... notamment "El pueblo unido jamas sera vencido" du groupe chilien Quilapayun
« Il faut que le Mexique et le Monde entier sachent qu’ici, il y a deux ans, a eu lieu un massacre »
Le lendemain est une autre journée, peut-être moins "impressionnante" pour moi que le défilé de la veille... mais tout de même, c'est le coeur de la Guelaguetza: une journée complète de danses dans un stade entièrement sous contrôle de la APPO (pas de flics ni de vigiles, juste de nombreuses personnes avec des badges de la APPO pour parer aux éventualités, très souvent des femmes ou des jeunes... aucune "montagne de muscle" comme c'est fréquent dans les services d'ordre). On bouffe pour pas cher (les emplacements des cuisines ne sont pas payants, la nourriture reste donc à un prix accessible... Pékin Moyen, tu viens de rater une jolie affaire!) et on discute très facilement de tout et de rien... Malin comme un singe, ce jour-là je portais un T-shirt adéquat: une phrase de Ricardo Flores Magon sur le féminisme ("Lorsqu'une femme avance, cela n'implique pas qu'un homme recule") qui m'a fait gagner le cœur des cuisinières et des quesadillas gratuites.
Danse au beau milieu du stade de l'Instituto Tecnologico de Oaxaca
« Pour tous les camarades tombé-e-s sous les coups de la répression, pas une minute de silence, non, mais tout une vie de lutte et de joie. » C’est ce qui se dit et se répète. Les frontières entre joie, douleur et détermination ne sont pas faciles à cerner, et c’est sans doute là tout l’enjeu de ce rassemblement et ce qui fait l’extrême complexité de cette Guelaguetza.
C’est sans doute beaucoup trop compliqué pour Pékin Moyen, qui a de toutes façons quitté Oaxaca très tôt ce matin pour filer un peu plus en avant sur son trajet touristique pré-établi et sécurisé.
Il me reste encore quelques jours à Oaxaca, que je coule en compagnie des artisans-punks qui se sont réapproprié un espace de vente en centre-ville et des copains internationalistes venus également rencontrer la APPO ainsi que le VOCAL (Voix Oaxaquénienne Construisant l’Autonomie et la Liberté, fraction de la APPO anti-électoraliste… que l’on pourrait qualifier de « libertaire »).
Toutes les photos de cet article, exceptée la première (trouvée sur le site du Jura Libertaire), m'ont été gracieusement fournies par le camarade amerloque SoupShow rencontré au cours de la Calenda. Un grand salut à toi! Vous pouvez consulter ses photos, nombreuses et bien jolies sur son compte Flickr.
Infos et analyses publiées au sujet du mouvement de Oaxaca...
Le manifeste (en français) du VOCAL
Très bon article en Français publié dans la Jornada:
http://www.narconews.com/Issue46/article_fr2745.html