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TRAVELET (Françoise) - Anarchisme et banditisme (1892 - 1913)

lu sur anarkhia  : " Aujourd'hui les truands se racontent. On les raconte.
Les sagas du banditisme à panache font recette. Notre société uniformisée ne laisse guère de place à l'aventure, et la délinquance des supermarchés est à son image. C'est pourquoi le truand d'envergure fait encore rêver : Papillon ou Flic-Story, on a les westerns qu'on mérite.
On braque... On flingue... Chapeau au flic qui vous arrête.
Chapeau à l'ennemi public qui a quand même fini pu se faire prendre. Dans cette épopée moderne, ni délinquants sociaux ni criminels occasionnels. On est entre caïds...
Et s'il y a quelques morts, ce n'est que la règle du thriller.

Devant ce fatras d'autosatisfaction truandière ou policière, l'anarchiste a bien envie de rigoler. Ces luttes fratricides ne le concernent pas !
Pour lui, le truand est le chancre de la société, son parasite, et tant mieux si elle en crève !
On n'instaure pas impunément le culte de l'argent et le mépris de la personne : le truand, voleur et meurtrier, est le pur produit de cette "morale" dont
Bakounine disait "qu'elle ne comprime pas les vices et les crimes [mais] les crée". L'anarchiste n'a rien à voir avec le truand, il s'inscrit en dehors de la société sur laquelle vit le voyou ; peu lui importe que l'argent change de poche et le pouvoir de camp, puisque précisément le culte de l'argent et le pouvoir lui font horreur. Le meurtre également, comme toute autre atteinte à la liberté et au respect de l'individu. Le projet anarchiste suppose la destruction des valeurs bourgeoises et la redistribution équitable des richesses. Pas l'institution du racket ni du hold-up.

Pourtant le banditisme interpelle l'anarchie à différents degrés. Dans la mythologie cacophonique des exécutions et des martyrs : Cartouche, Mandrin, Ravachol, Emile Henry, Bonnot, Emile Buisson, pêle-mêle la légende, l'allure, la pègre... mais aussi une formulation de la révolte, voire même une théorisation de l'anarchie. La frontière entre banditisme de droit commun et projet révolutionnaire ne se situe-t-elle que dans la revendication exprimée d'une appartenance anarchiste ?
La société trouve son avantage à l'amalgame : les camarades arrêtés sous l'inculpation dassociation de malfaiteurs, et la bande à Baader occultée par les marxistes comme par la droite sous l'étiquette de "criminels de droit commun "...
Beaucoup de points d'interrogation pour l'anarchiste qui se rappelle ses guillotinés et ses bagnards, mais aussi ses déchirements entre 1892 et 1913, de la " Terreur noire " aux " Bandits tragiques ".
Ces interrogations peuvent s'énoncer de différentes façons :
les anarchistes peuvent-ils s'exprimer dans le banditisme ? Leurs actes seront-ils alors révolutionnaires ? Le banditisme traditionnel contient-il un projet, constitue-t-il une lutte sociale ? Peut-il être un allié de la révolution ?

ILLEGALISME ET REPRISE INDIVIDUELLE.

L'illégalisme est inscrit dans l'anarchie depuis sa naissance. La propriété, c'est le vol de Proudhon ne pouvait qu'amener la notion de " reprise individuelle " comme une légitime défense, le vol étant une récupération opérée par les volés sur les voleurs de la bourgeoisie. Et la violence est la seule réponse à la violence de la société.

Historiquement, la violence anarchiste -ce que la société appelle son banditisme- est née dans les années 1880 lorsque les anarchistes se posèrent le problème de leur action en termes soudain différents ; la "propagande par le fait" succédait à la propagation des idées par la seule parole.
"Notre action doit être la révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite ( ... ) Tout est bon pour nous qui n'est pas la légalité", écrivait
Kropotkine dans son article l'Action paru dans le Révolté du 25 décembre 1880. Le congrès international du 14 juillet 1881, réuni à Londres, lançait de fait un appel au terrorisme individuel et de nombreux journaux anarchistes donnaient alors des recettes de bombes - peu mises en pratique dans l'immédiat du moins. En attendant la vague d'attentats des années 1892-94 (Ravachol, Vaillant et Henry), la propagande pu le fait trouva sa sublimation dans la reprise individuelle.

En 1884, lors d'un meeting à Paris, des orateurs ouvriers appelèrent les travailleurs à "fouler aux pieds le respect de la propriété, à avoir l'énergie de prendre dans les magasins ce qui leur est nécessaire pour vivre". Le 5 octobre 1886, un certain Clément Duval cambriola l'hôtel particulier d'une artiste peintre, Mme Lemaire, et au policier qui L'interpellait du traditionnel : "Au nom de la loi je vous arrête", il répondit par un : "Au nom de la loi je te supprime" et par quelques coups de couteau.
Un cambriolage classique qui a mal tourné ? Clément Duval fit connaître qu'il était anarchiste et appartenait à un groupe libertaire (la Panthère des Batignolles). Lorsque son procès s'ouvrit le 11 janvier 1887, pour la première fois les anarchistes défendirent publiquement le droit au vol". L'Almanach anarchiste pour 1892 rédigé par
Sébastien Faure reprenait à son compte l'acte du "compagnon" Duval :Accusé de vol et de pillage à l'hôtel Lemaire et de tentative de meurtre sur le mouchard Rossignol qui l'arrêtait, Duval, ouvrier pauvre, convaincu que la propriété individuelle n'a aucune source légitime, avait volé non pour lui mais pour soutenir la propagande ( ... ) Son acte, acte de guerre sociale sil en fut, fut anathématisé par les socialistes autoritaires qui déclarent bien que la propriété c'est le vol mais entendent que les volés, c'est-à-dire les non-possédants, se contentent de cette affirmation platonique."
Condamné à mort, Duval ne fut pas exécuté mais envoyé aux travaux forcés.
Il s'évada de Guyane.

Le 4 novembre 1890 s'ouvrit le procès d'un autre cambrioleur anarchiste, Pini, qui fut condamné à vingt ans de travaux forcés. Lui aussi s'était défendu d'être un truand ordinaire : "Je ne suis pas un voleur ; je reprends dans un but social les richesses volées par les bourgeois."

Le mouvement anarchiste, dès Duval et Pini se montre divisé sur le caractère révolutionnaire du vol. Si Sébastien Faure, comme nom l'avons vu, et Elisée Reclus l'approuvent, il n'en est pas de même de Jean Grave qui justifie les actes de Duval et Pini mais ne leur accorde aucune valeur révolutionnaire. A ce moment, en effet, le mouvement anarchiste est dans sa majorité favorable à l'action ouvrière à l'intérieur des syndicats et a tendance à rejeter les actions individualistes jugées inefficaces et impopulaires. Le débat ne cessera pas mais déjà un autre, plus grave, va laisser de côté le problème du vol : c'est celui du terrorisme.

Arrive en effet la période des attentats révolutionnaires, encore que certains d'entre eux apparaissent aux anarchistes bien gratuits : le meurtre de l'ermite de Montbrison par Ravachol apparaît davantage comme un crime crapuleux que comme une légitime défense, et les raisons données pu Ravachol ressemblent à celles de Raskolnikov... Mais Ravachol posant des bombes chez des magistrats pour venger Decamps, Vaillant lançant sa bombe à la Chambre des députés, rien à voir, là, avec le banditisme ; l'idéologie qui sous-tend ces actes est celle d'un terrorisme que, même s'il ne le soutient pas, l'anarchiste comprend. La bombe du café Terminus relance en 1894 la polémique de la violence révolutionnaire frappant des innocents.

Il faut attendre 1905 pour retrouver le banditisme anarchiste. Une grande année en effet pour les tenants de la reprise individuelle !
Alexandre Jacob, qui servira à Maurice Leblanc de modèle pour son Arsène Lupin, comparaît devant la justice pont quelque 150 vols et agressions perpétrés par lui et sa " bande d'Abbeville ". Bandit cynique et plein d'esprit dira la presse bien pensante qui assiste au procès. Jacob, qui consacrait une partie des bénéfices de ses vols à la promotion de l'anarchie, défendra magistralement devant les jurés sa foi anarchiste :
" Ne reconnaissant à personne le droit de me juger, je n'implore ni pardon ni indulgence. Je ne sollicite pas ceux que je hais et méprise. ( ... ) Si le me suis livré au vol, ça n'a pas été une question de gain, de lucre, mais une question de principe, de droit J'ai préféré conserver ma liberté, mon indépendance, ma dignité d'homme, que de me faire Partisan de la fortune d'un maître. En tenues plus crus, sans euphémisme, j'ai préféré être voleur que volé. Certes, moi aussi je réprouve le fait pu lequel un homme s'empare violemment et avec ruse du fruit du labeur d'autrui.
Mais c'est précisément pour cela que j'ai fait la guerre aux riches, voleurs du bien des pauvres.
Moi aussi je voudrais vivre dans une société dont le vol serait banni. Je n'approuve pas le vol, et j'en ai usé que comme d'un moyen de révolte propre à combattre le plus inique de tous les vois : la propriété individuelle. Pour détruire un effet il faut au préalable, en détruire la cause ( .. ) La lutte ne disparaîtra que lorsque les hommes mettront en commun leurs joies et leurs peines, leurs travaux et leurs richesses, que lorsque tout appartiendra à tous. Anarchiste révolutionnaire, j'ai fait ma révolution, vienne l'Anarchie !"
Jacob sera condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Il passera vingt années au bague, en Guyane, à Saint-Laurent-du-Maroni et à l'île du Diable.
Dix-neuf fois, il tentera de s'évader avant d'être libéré le 30 décembre 1928.

LA DEVIATION APACHE

1905, c'est aussi l'année où Libertad fonde le journal l'Anarchie pour y prôner l'individualisme et l'illégalisme. Et c'est autour de l'Anarchie que va se constituer ce qu'on appellera après coup la bande à Bonnot . Car la contestation anarchiste de l'illégalisme -ce qu'Alexandre Croix dans un numéro spécial du Crapouillot nomme la déviation apache- trouve son sommet avec l'affaire des "bandits tragiques" qui devait faire couler tant de sang et d'encre.

La bande à Bonnot, il suffit de rappeler quelques noms : Jules Bonnot, Raymond Callemin (dit Raymond la Science), Dieudonné, Garnier, Soudy, Monier, Carouy... De rappeler quelques dates :
21 décembre 1911 : la tragédie de la rue Ordener : l'encaisseur Caby est attaqué et dévalisé par les bandits (Dieudonné sera condamné à mort parce qu'il aura été reconnu par Caby mais sa peine sera commuée ses compagnons ayant attesté sa non-participation).
27 février 1912 : le meurtre de l'agent Garnier par Garnier devant le restaurant Garnier (à cause d'un excès de vitesse à la gare Saint-Lazare).
25 mars 1912 : le vol de la De Dion Bouton à Montgeron et l'assaut de la Société générale à Chantilly.
28 avril 1912 : la mort de Bonnot après le siège de la maison de Dubois à Choisy-le-Roi (des centaines d'hommes pour en tuer deux).
15 mai 1912 : le siège de la maison de Nogent-sur-Marne : Garnier et Valet sont tués.
Février 1913 :Procès. 27 février, verdict : quatre condamnations à mort et des peines de travaux forcés (Carouy condamné à perpétuité se suicida).
20 avril 1913 : exécution de Callemin, Soudy et Monier (Dieudonné partira pour le bagne).

Donc, à cette aventure un point de départ : l'illégalisme ; un pivot le journal l'Anarchie.
Pour nous, un point d'interrogation permanent.

Les réactions des anarchistes furent d'emblée très sévères et Duval, le premier voleur anarchiste, reprochera à Jean Grave son attitude à l'égard des bandits. De fait, la presse anarchiste ne nuance pas sa condamnation. Traditionnellement anti-illégalistes, les Temps nouveaux du 6 janvier 1912 dénoncent ainsi l'assassinat à Thiais d'un rentier et de sa bonne le 3 janvier : " De tels actes n'ont rien d'anarchiste, ce sont des actes purement et simplement bourgeois... La fraude, le vol, le meurtre bourgeois s'opèrent à la faveur des lois bourgeoises; la fraude, le vol, le meurtre prétendus anarchistes s'opèrent en dehors et à l'encontre d'elles. Il n'est pas d'autre différence. Et si les bourgeois, dans l'application de leurs principes d'Individualisme égoïste, sont des bandits, les soi-disant anarchistes qui suivent les mêmes principes deviennent, par ce fait des bourgeois et sont aussi des bandits. Bandits illégaux, peut-être, mais bandits quand même et également bourgeois ".
Echo néanmoins atténué dans la Guerre sociale des 1-7 mai 1912, après l'assaut policier de Choisy-le-Roi : " Il reste entendu que Bonnot et sa bande sont des bandits et qu'aucune doctrine ne saurait justifier, ni excuser des abominations comme l'égorgement des deux vieillards de Thiais, l'assassinat du chauffeur à Montgeron et des employés de banque de Chantilly [ ... ].
Mais nous, les militants, qui croyons que la servitude du peuple est faite en grande partie de sa veulerie, de sa peur des coups, de son manque d'initiative et d'audace, mus ne pouvions nom empêcher de murmurer : devant cinq cents révolutionnaires comme Bonnot, qu'est-ce que pèserait toute la police de Paris ? "

La collection de l'Anarchie est bien sûr intéressante : à partir du 4 janvier 1912 (au lendemain donc du drame de Thiais) de nombreux articles sympathisants seront consacrés aux bandits. Parmi eux, celui du numéro 356 (1er février 1912) où, sous le titre " Anarchistes et malfaiteurs ", le Rétif (alias Kilbatchiche, qui deviendra plus tard Victor Serge) écrit : " Certes les bandits demeurent loin de nous, loin de nos rêves et de nos vouloirs. Qu'importe après tout ! Le fait est qu'ils sont dans la pourriture sociale, un ferment de désagrégation; qu'ils sont " hors du troupeau " quelques individualistes ardents, que seuls ils osent comme nous proclamer leur vouloir vivre à tout prix. Eh bien, ces malfaiteurs m'intéressent et j'ai pour eux autant de sympathie que de mépris pour les honnêtes gens ratés ou arrivés !".

L'Anarchie, tout au long de l'affaire, se dira partie prenante des actes de la bande mais n'échappera pas cependant à de nombreux débats internes. Le journal reconnaîtra que les bandits avaient fréquenté les milieux de l'Anarchie et Kilbatchiche fera même partie des accusés (il sera condamné à cinq ans). Au moment du procès, le journal publiera le nom et l'adresse des jurés, les " douze fantoches " (ce qui vaudra à son directeur d'être emprisonné), et dira bien sûr son horreur devant le verdict et l'exécution tandis que le Petit Parisien du 21 avril 1913 titrait : " Ce matin à l'aube, Callemin, Soudy et Monier ont payé de leur tête la dette de sang, de haine et de mort qu'ils avaient contractée envers la société. " Car la presse bourgeoise, elle, n'avait ni hésitation ni pudeur. Le même Petit Parisien du 22 avril publiait un récit complet de l'exécution : " Nos lecteurs y trouveront des détails nouveaux et fort Intéressants sur lu derniers moments des malfaiteurs redoutables qui viennent d'expie leurs crimes. " Mais l'abjection de la société ôte-t-elle quelque chose à l'abjection de certains actes ?

La tragédie des bandits marque la fin de l'illégalisme. Mauvaise interprétation de l'anarchie ou démarche fondamentalement révolutionnaire ? Il est indéniable que l'expression de l'anarchie par le banditisme correspond à un moment de l'histoire du mouvement. Mais la peur éprouvée par les bourgeois suffit-elle à justifier les hold-up sanglants des bandits en auto et à les rendre révolutionnaires ? Auquel cas, le banditisme pur ne serait-il pas lui-même révolutionnaire

L'ILLUSION DE BAKOUNINE ?

" Vive Bonnot ! " fut un des nombreux slogans de Nanterre en 1968...
Bakounine établissait une passerelle entre banditisme de droit commun et anarchie dans le rôle qu'il attribuait -pour une future révolution russe- aux truands de tout ordre, particulièrement dans sa lettre à Netchaïev du 2 juin 1870 : " En ce qui me concerne je ne tolère personnellement ni le brigandage, ni le vol, ni toute autre violence faite à l'homme sous n'importe quelle forme; mais j'avoue que s'il me faut choisir, d'une part entre le brigandage et le vol de ceux qui occupent le trône et jouissent de tous les privilèges, et d'autre part, le vol et le brigandage du peuple, je me rangerai sans hésitation du côté de ces derniers, que le trouve naturels, nécessaires et même, dam an sens, légaux. ( ... ) Je prends partie pour le brigandage populaire et vois en lui un des moyens essentiels de la future révolution populaire en Russie ."

Dans la réalité française, le " vol et le brigandage du peuple " dont parle Bakounine peut qualifier une certaine forme de délinquance. Mais ce qu'on appelle le " milieu " ?

Parmi tous les livres sur le banditisme de droit commun dont nous parlions plus haut, le Dernier Mandrin, de Jean-Baptiste Buisson et Maurice Frot, permet de mieux comprendre la révolte du truand et le style de pensée de ceux qui ont choisi de vivre en marge du code. Jean-Baptiste Buisson, le frère d'Emile (cf Flic Story) a quatre-vingts ans dont quarante passés en prison. De sa révolte, comment ne pas se sentir solidaire ? Une enfance qui n'a rien à envier aux pages les plus sombres de Zola.. Le sentiment de l'injustice sociale au plus haut degré, et le vol pour manger. " Ces petits voleurs de Buisson, disaient les commerçants. Alors, le petit Buisson, il avait déjà de la haine ! Aucun scrupule d'aller les faucher! Et je n'en ai jamais eu ! Et cette haine.. plus j'ai vécu, plus j'ai vu et compris la grande valse pas honteuse des puissants, du riches, des malins, et pour les faibles, les pauvres, les naïfs, rien que le travail et " marchez droit !". Et quand l'un d'eux refuse de marcher droit, refuse tout préfère se battre, on lui coupe les ailes ou le cou... alors, cette haine n'a fait que grandir ! "

Pour le truand de métier comme pour l'anarchiste de la reprise individuelle, voler c'est prendre une revanche, mais pour le truand, pas d'alibi, pas de théorisation : une appropriation : " Conscience politique, aucune. C'est net. On était, peut-être sans le savoir, en guerre contre la société. Pas une guerre de quatre ans, de trente ans, une guerre que tu commençais en naissant, que tu ne finissais que le jour de ta mort, c'est-à-dire le jour, proche ou lointain, où en définitive ta la perdais, ta guerre. Pas une guerre avec des idées. Avec du actes. Tous les jours. Sur le tas. Pas pour demain. Tout de suite. Les saurs, les révolutionnai. tes, bien sûr, on leur donnait raison. Dans le fond du cœur et de la tête, on était avec eux. Mais nous, notre guerre, elle était autre. " Et l'admiration du jeune Jean-Baptiste Buisson pour Bonnot n'est pas un rêve d'anarchie mais un rêve de guerre : " Bonnot c'était notre maître. Bonnot c'était notre dieu. Ni dieu ni maître ? Si, lui. On ne parlait plus que de ça. Une véritable chanson de geste, une épopée".

La convergence " libertaire " des révoltes s'arrête là.
Le Dernier Mandrin découvre un monde que ne concernent pas les débats du journal l'Anarchie et des Temps nouveaux. Libertaire, le truand l'est comme le veut le mythe du " desperado " solitaire, et presque toutes les biographies et autobiographies de truands nous ramènent au " Samouraï " des films de Jean-Pierre Melville qui définissait le film noir comme l'intrusion de la tragédie grecque dans la vie moderne : la soumission à un certain destin... qui fait de la vie du truand le contraire de la volonté révolutionnaire.

Marginal de la marginalisation, le truand s'intègre plus ou moins dans une antisociété aux structures rigides ou floues selon les livres et les films mais qui n'a rien de commun avec quelque projet anarchiste que ce soit. Et l'antisociété du voyou repose sur un système de valeurs qui n'a rien à envier à celui de la société dont il se dit l'ennemi : ordre de l'argent et des valeurs établies, belles voitures et goût de la parure, ce qu'on connaît de l'envie de se ranger fortune faite comme le bon petit employé avec son livret de caisse d'épargne et son pavillon de banlieue. La respectabilité, surtout. Et l'honneur. Le faux honneur. Toute la société reproduite et caricaturée dans cette antisociété et ces actuels. Idéologie réactionnaire avec, en prime, souvent le racisme... Le mythe qui n'en est peut-être pas un du voyou complice du policier qui l'arrête... On repense forcément aux truands qui se mirent au service de la Gestapo, comme Pierrot le Fou, à la collusion de l'affaire Ben Barka, à la pègre justicière de M le Maudit

L'illusion de la convergence du combat anarchiste et du banditisme a disparu, et sans doute autant pour le " premier " que pour le " dernier " Mandrin. Erwan Bergot, dans son Mandrin ou la Fausse Légende a très bien démonté le mécanisme de cette espérance déçue : Mandrin, le fils de paysan, attaquait l'Administration, les riches et les militaires. C'était donc la " lutte des classes " anticipée, un " Che Guevara " de la Révolution française mort quarante ans avant elle, un anarchiste avant la lettre " ? Pour Bergot, c'était un contrebandier ! " Libéraux, forme. tables, sociologues, psychanalystes, révoltés, gauchistes, saints et philosophes, âmes Sensibles on raisonneuses, tous brailleurs d'intellect mille excuses pour la déception ! ", écrit Maurice Frot.

Les chemins resteront donc parallèles, avec parfois l'ambivalence d'un Bonnot... ou d'un Jacob, de préférence. On peut être le fléau de la société de beaucoup de manières. Quant à savoir si, le jour de la révolution, les truands seront avec nous... Bakounine en énonçait la possibilité et une forme de projet : " Aller vers les brigands ne signifie pas devenir soi-même un brigand et rien qu'un brigand ; cela ne signifie pas partager leurs passions* leur détresse, leurs buts souvent infâmes, leurs sentiments et leurs actions ; cela signifie les doter d'une finie cou. voile et éveiller en eux l'aspiration vers un but différent vers un but populaire ". Tout en formulant ailleurs le problème qui demeurerait pour la révolution de ces marginaux qui n'admettront pas forcément les valeurs de l'anarchie.

Dans le système actuel, l'anarchiste - en dépit de ses répulsions sera toujours plus près du bandit que du gendarme. Il ne peut oublier que la foule piétinait pour voir exécuter Ravachol, Callemin, Soudy et Monier. Il ne peut oublier qu'Emile Buisson a dit, le 28 février 1956, avant d'être guillotiné, à ceux qui l'entouraient :
" Alors, la société est contente de vous ? "

BIBLIOGRAPHIE
- Erwan BERGOT : Mandrin ou la Fausse Légende - 1972
- Numéro spécial du CRAPOUILLOT de Janvier 1938 : " l'Anarchie ". par Victor Serge, Alexandre Croix et Jean Bernier.
- Jean MAITRON : Ravachol et les anarchistes - Collection " Archives " Julliard - 1964.
- Bernard THOMAS : Jacob - Edit. Tchou 1970. La Bande à Bonnot - Tchou 1968.
- J.B. Buisson . M. Frot : Le Dernier Mandrin - Grasset 1977.


Ecrit par patrick83, à 15:43 dans la rubrique "Pour comprendre".



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