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Travailleuses du sexe et féministes
Lu sur le blogue de Cybersolidaires : Réconcilier travail du sexe et féminisme : Au début de l’été 2005, des saris de toutes les couleurs ont envahi les couloirs de l’UQAM. À côté des Suédoises, des Néo-Zélandaises, des Thaïlandaises et des Américaines, la délégation indienne au Forum XXX,une rencontre internationale de travailleuses et travailleurs du sexe,était particulièrement importante. Ce n’était pas dû au hasard. Organisé à l’occasion des dix ans de Stella, l’organisme montréalais qui défend la cause des prostituées, l’événement soulignait également une décennie d’action du DMSC, l’illustre Durbar Mahila Samanwaya Committee, un regroupement indien de 65.000 travailleuses du sexe et de leurs enfants.

La jeune professeure Maria Nengeh Mensah est en grande partie responsable de la tenue à l’UQAM, que certains ont jugé déplacée, de ce rendez-vous de prostituées. "Comme féministe et comme chercheure issue du domaine du travail social, je me demandais comment le féminisme pouvait contribuer à prévenir le VIH chez les prostituées. Parmi les solutions qui sont apparues, la création de lieux d’échange s’est imposée", explique la professeure qui a demandé (NDLR : avec Stella) et obtenu une subvention de l’Agence de santé publique du Canada dans le cadre du programme d’Initiative fédérale de lutte contre le sida pour organiser l’événement, le tenir et ensuite publier les actes du Forum. "Dans les semaines précédant l’ouverture, le Forum a suscité une vive controverse sur Internet, dit Maria Nengeh Mensah. Certaines personnes critiquaient le fait que des fonds publics dédiés à la santé aient été accordés à un projet comme le nôtre."

Combattre la stigmatisation
Pour la travailleuse sociale, il ne fait pas de doute que les initiatives visant à combattre la stigmatisation, à rehausser le sens de la dignité et à améliorer les conditions de travail des travailleuses du sexe entraînent une diminution des risques pour la santé auxquels ces personnes sont exposées. Mais dans plusieurs milieux, y compris chez les féministes, l’idée de la reconnaissance du travail du sexe demeure encore irrecevable. Deux visions s’opposent. Pour les féministes majoritairement "néo-abolitionnistes", la prostitution se résume à une forme d’exploitation sexuelle qu’il faut absolument bannir, alors que celles qui militent en faveur de la reconnaissance du travail du sexe voient celui-ci comme une activité génératrice de revenus qui peut ou non s’accompagner d’exploitation.

À son arrivée à l’UQAM, en 2002, Maria Nengeh Mensah avait entrepris un travail de recherche intitulé "Analyse du discours féministe sur la prostitution au Québec" dont le soustitre "hypercompliqué", "Affrontements et réconciliation dans la littérature scientifique, les médias et les propos des acteurs sociaux impliqués", est révélateur des tensions qui subsistent à ce sujet. En fait, avoue la chercheure, "il y a encore beaucoup plus d’affrontements que de réconciliations". N’empêche. À côté des discussions sur les droits humains des personnes prostituées, sur les stratégies individuelles pouvant nourrir les actions collectives visant à améliorer la santé et la sécurité des travailleuses du sexe, sur les techniques d’autodéfense conçues pour les prostituées et sur le travail du sexe et l’éthique de la recherche, la question du féminisme a bien sûr été posée lors du Forum XXX.

Mirha-Soleil Ross, une prostituée torontoise qui milite pour les droits des travailleuses du sexe depuis 15 ans, a contesté dans son mot de clôture "la victimisation et les modèles misérabilistes qu’imposent trop souvent les féministes, les travailleurs sociaux et les intervenants qui, soit-disant, oeuvrent au nom de la justice sociale". Mais à côté de cette dénonciation, "plusieurs travailleuses du sexe se sont affirmées comme féministes et ont refusé l’amalgame qui est fait entre féminisme et néo-abolitionnisme", note Maria Nengeh Mensah.

Le modèle néo-zélandais
Sur la question des lois, politiques et droits de la personne, un des trois grands thèmes du Forum, c’est la Nouvelle-Zélande, qui a récemment procédé à la décriminalisation de la prostitution, qui est apparue comme un modèle. "La décriminalisation offre aux travailleuses du sexe des possibilités d’organisation. Concrètement, cela veut dire que des personnes qui veulent se regrouper pour se protéger peuvent le faire", explique la professeure. Selon elle, contrairement à la légalisation (le modèle adopté par certains pays européens), qui crée de l’illégalité en réglementant ce qui est légal ou pas, la décriminalisation favorise le respect des personnes dans leur intégrité et leur permet de jouir de meilleures conditions de travail. La décriminalisation est aussi préférable à la criminalisation des clients (le modèle suédois favorisé par les féministes abolitionnistes), qui entraîne la clandestinité et donc l’augmentation des risques.

Plus de 250 personnes, dont environ 75 de l’extérieur du Canada, ont assisté au Forum XXX qui a reçu un soutien important du Service aux collectivités et de l’Institut Santé et société de l’UQAM. "Quand nous avons obtenu la subvention, je me suis dit qu’il fallait que l’événement se tienne à l’UQAM, rapporte Maria Mengeh Mensah. L’UQAM est une université urbaine, située en plein centre-ville, qui côtoie le milieu montréalais de la prostitution. C’était le lieu idéal pour nous et notre projet s’inscrivait parfaitement dans la mission du Service aux collectivités, qui consiste entre autres à créer des liens entre les acteurs sociaux, gouvernementaux et les groupes communautaires."

Par Marie-Claude Bourdon, Journal de l’UQAM, p. 8, 06.09.2005 (pdf)

Photo : Lainie Basman. Maria Nengeh Mensah (à gauche), en compagnie de représentantes du DMSC

Pages reliées :
En direct du Forum XXX, Nicole Nepton et Marie-Neige St-Jean, 18 au 22 mai 2005
Le paradigme de l’oppression : la division des femmes (pdf), Martine Schutz Samson, 2002
Why feminists should rethink on sex workers' rights (pdf), Hilary Kinnell, UK Network of Sex Work Projects, 16.12.2002

Ecrit par libertad, à 22:03 dans la rubrique "Le privé est politique".



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