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Travailler plus sans gagner plus, un nouveau credo ? Les vendeurs de meubles se frottent les mains. Suite à un problème de lecture d’Isabelle Debré, sénatrice (UMP) des Hauts-de-Seine - déjà évoqué il y a quelques semaines par le Canard Enchainé et Le Monde- les magasins d’ameublement peuvent désormais ouvrir tous les dimanches, sans demander l’avis de leurs salariés, ni les payer plus. Un faux pas délicat au moment où le gouvernement veut rassurer les Français sur le pouvoir d’achat. Bakchich a voulu en savoir davantage sur les dessous de cette affaire étonnante.
Retour sur une histoire à peine croyable. Tout commence le 13 décembre 2007. Le Sénat examine, en urgence, le projet de loi Chatel pour le « développement de la concurrence au service des consommateurs » (Lire le dossier législatif). On y parle de la réforme de la loi Galland dans la grande distribution et de la libéralisation du marché des communications électroniques. Mais Isabelle Debré, ex-chef d’entreprise devenue sénatrice en 2004, juge bon de déposer un amendement qui permet aux magasins d’ameublement d’ouvrir tous les dimanches (Lire l’amendement).
Une disposition applicable à deux conditions : les salariés devront être volontaires et bénéficier de « compensations financières importantes ». L’ameublement offre justement ces garanties, croit savoir l’élue UMP.
Isabelle Debré s’appuie sur un accord du 10 décembre 2001 signé par la Chambre syndicale de l’ameublement de la Corrèze et trois syndicats (CGC, CGT et FO), qui remplit les conditions exposées. Ultime précision de la sénatrice : cet accord a été « étendu », par un arrêté ministériel du 20 février 2002, à tout le territoire national. C’est donc tout le secteur de l’ameublement qui en bénéficie, conclut la parlementaire. Et Gérard Cornu, rapporteur UMP du projet de loi devant le Sénat, de souligner la « fibre sociale » de sa collègue qui « connaît parfaitement le sujet ».
L’amendement aurait pu passer inaperçu, mais les syndicats, qui le re-baptisent « amendement Confokéa », en contestent la justesse. L’avocat de Force Ouvrière (FO), Me Vincent Lecourt, explique que la sénatrice, « soutenue par Luc Chatel », s’est trompée (Lire sa chronique sur le blog Le travail du dimanche) : « Isabelle Debré a confondu extension et élargissement. L’accord collectif a été étendu aux entreprises corréziennes n’appartenant pas aux fédérations syndicales signataires et pas à toute la France. » Cette explication est confirmée par le cabinet du ministre du Travail, Xavier Bertrand.
La convention collective du négoce de l’ameublement prévoit bien une majoration salariale et un repos compensateur en cas de « travail exceptionnel le dimanche ». Mais elle est « inapplicable au salarié qui travaille habituellement le dimanche », selon un arrêt de la Cour de Cassation du 31 janvier 2006. Oups !
Résultat : depuis la publication au Journal Officiel de la loi Chatel, le 4 janvier dernier, les enseignes de l’ameublement n’ont aucune obligation de verser une prime à leurs salariés. Et ceux-ci ne peuvent plus, de leur côté, refuser de travailler. Re-oups !
La sénatrice, à qui la CFTC a envoyé un Code du travail avec un courrier circonstancié (voir document joint), reconnaît des ambiguités dans le texte. Mais Isabelle Debré assure que les parlementaires et le ministère sont déjà en train de travailler à un nouveau texte, promettant de « lever ces ambiguïtés ». En bref, tenter de calmer le jeu au plus vite.
En attendant, la parlementaire défend sa cause. « L’ouverture des magasins d’ameublement le dimanche correspond à une demande sociale, tant de la part des clients, désireux de faire leurs achats réfléchis en famille, que des salariés, dont nombre d’étudiants, pour augmenter leur pouvoir d’achat », argumente-t-elle. Pour autant, Isabelle Debré ne cache pas que son amendement est venu, de facto, résoudre certaines « difficultés juridiques » rencontrées par les enseignes.
Car on touche là un point sensible. En Ile-de-France, les 60 magasins d’ameublement ouvrent presque tous les dimanches illégalement et certains depuis quarante ans. En septembre dernier, Conforama a été condamné en première instance par le tribunal de grande instance de Pontoise à fermer ses trois magasins du Val d’Oise, sous peine de 50 000 euros d’astreinte par magasin et par dimanche travaillé. Les unes après les autres, les enseignes ont été poursuivies.
Dès le mois d’octobre, les sept grands vendeurs de meuble (Ikea, Conforama, Alinéa, But, Crozatier, Fly et Atlas) ont publié un communiqué de « front commun » pour le maintien de l’ouverture de leurs magasins le dimanche en Ile-de-France. Ils demandaient l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires contre l’engagement de négociations incluant le volontariat et le paiement double.
Leur argument principal : les 60 magasins franciliens accueillent 7 millions de visites et font travailler 5 000 personnes chaque dimanche. Un jour qui représente « entre 16 et 23% du chiffre d’affaires hebdomadaire ».
Isabelle Debré a-t-elle été sensible aux arguments du lobby de l’ameublement ? Elle le suggère en évoquant notamment les « difficultés juridiques » des enseignes que son texte peut contribuer à aplanir. « L’amendement Debré est un moyen indirect de valider des comportements délibérément illégaux, afin d’éviter aux enseignes de l’ameublement de payer leurs astreintes », estime pour sa part Bernard Dussaut, sénateur PS de Gironde.
Au cours des débats parlementaires, Gérard Longuet, sénateur UMP de la Meuse, a manifesté son soutien à Isabelle Debré, indiquant que la Lorraine, « comme les pays de l’Ouest et la Vendée », « est une grande région de fabrication de meubles. » Le coup de pouce économique du dimanche était visiblement le bienvenu. « C’est une bonne illustration du fonctionnement du Parlement, commente un assistant parlementaire souhaitant conserver l’anonymat. Isabelle Debré a joué le rôle de la porteuse d’eau, rendant, peut-être à son insu, un sérieux service au gouvernement et à des intérêts sectoriels. »
La mise en application de la loi semble ne pas avoir traîné : le 14 janvier dernier, le tribunal d’instance de Pontoise a renvoyé sa décision concernant les ouvertures dominicales illégales du Conforama d’Herblay entre septembre et la fin d’année 2007. Les astreintes attendront encore un peu…
La responsable de la section fédérale du commerce Force Ouvrière (FO), Françoise Nicoletta, explose : « Le volontariat le dimanche n’existe pas. Les salariés sont obligés, pour des raisons économiques, de travailler. » A la CFTC, Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint de la section commerce et coordinateur régional pour le repos dominical, s’interroge : « Pourquoi faire du canapé du dimanche une urgence sociale ? Peut-être qu’Isabelle Debré a les moyens de s’acheter des canapés tous les dimanches », raille-t-il.
Les salariés ne disent pas autre chose, chiffres à l’appui. Christelle Potier est déléguée syndicale CFTC au Conforama d’Herblay. Après « 19 ans de boîte et à 35 heures », elle travaille tous les dimanches et gagne 1480 euros nets par mois. « Sans mes quatre dimanche (70 euros la journée) et ma prime d’ancienneté (100 euros par mois), je tombe à 1100 euros ! Difficile quand on a des enfants. » Les vendeurs, commissionnés, bénéficient d’un revenu fixe de 120 euros – « le même montant depuis 20 ans » précise-t-elle – d’une prime d’ancienneté et de 60 euros de prime le dimanche. Au final, on est souvent loin du doublement de salaire.
Stéphane, vendeur chez Conforama depuis 1999 raconte comment la question du travail le dimanche est un critère de sélection lors des entretiens d’embauche. « On veut juste un meilleur salaire pour compenser les sacrifices familiaux que l’on fait », lâche-t-il amer.
par Estelle Maussion
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