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Lu sur CQFD N°034 : Les sales doigts du législateur, on en parlait, il y a deux mois, à propos des prisons pour mineurs et du rapport de l’Inserm. Pour garder le moral, on annonçait aussi le printemps... Eh bien, ça n’a pas raté : le printemps a déboulé en force ! Dans la foulée, on annoncerait bien l’abrogation du gouvernement ou l’abolition des frontières, mais on l’a déjà fait et ça n’a pas marché. Ce n’est que partie remise. Ces députés n’ont pas d’imagination, seulement de sinistres obsessions. Leurs doigts boudinés se posent maintenant sur la tête des étrangers. Leur baratin sur l’immigration choisie, c’est l’inauguration du marché aux esclaves. Celui-là, je prends. Celui-ci, non. Marché aux esclaves qui existe déjà depuis belle lurette, et pas que pour les immigrés. Mais là, on va en faire un reality-show pour fasciner le citoyen.
Un documentaire montrait, il y a quelques années, le boulot des toubibs du camp de sans-papiers de Melilla, enclave espagnole au nord du Maroc. L’un d’eux vaticinait sans honte sur l’endurance physique des Sub-sahariens, « bien meilleure que celle des Maghrébins ». Main-d’œuvre idéale pour aller suer à grosses gouttes sous les serres d’Almería. Toutes les mesures de contrôle des flux migratoires vont dans ce sens : institutionnaliser la foire aux bestiaux. Et n’en déplaise à de Villiers, que la télé est en train d’adouber pour assurer l’après-Le Pen, l’économie a besoin d’immigrés (essayez voir de tous les virer, on va bien rire !). L’ogresse a faim, en particulier de trimardeurs sans carte de séjour. Les lois contre les étrangers ne visent pas seulement à verrouiller les frontières, mais surtout à mettre la pression sur le travailleur illégal. Plus il aura la peur au ventre, mieux on pourra le presser comme un agrume. Et à travers lui, on met la pression sur le travailleur légal, celui qui a encore quelques droits. « Aime-la ou quitte-la. » La France est vraiment un pays de bâtards. On pourrait en être fier, seulement voilà : les fanatiques du chacun-pour-soi veulent en faire un enfer. La France est une chienne, c’est vrai. Personne ne l’aime. En premier lieu ceux qui prétendent la représenter, la réformer, la mettre au turbin. Elle n’est jamais à leur goût. Trop arc-boutée sur ses acquis, trop paresseuse, trop colorée, trop immobiliste, trop gréviste, trop râleuse, trop frileuse...
Nous non plus, on ne l’aime pas. Mais pas tout à fait pour les mêmes raisons. Trop petite, trop bourgeoise, trop cynique, trop chauvine, trop grise, trop fliquée, trop frileuse... Nous, on aimerait mieux une France qui assume ses vieilles façons de catin délurée, pas celles de mère tape-dur jacobine et coloniale. Nous, on aime la France des casseurs qui prirent la Bastille par un beau 14 juillet, pas celle qui commémore ça en faisant défiler des chars d’assaut. On aime la France des sans-culottes à capuche qui bousculent la mal-vie des banlieues, pas celle du couvre-feu. On aime la France de Dombrowski et Wroboleski, ces Polonais devenus barricadiers et généraux de la Commune de Paris, parce qu’il n’y a rien de mieux que mettre une ville en commun pour ne plus s’y sentir étranger. Nous n’aimons cette parcelle de terre découpée par les puissants au fil de leurs conquêtes que lorsqu’elle se rêve en pays de Cocagne, ingérable et flambeuse comme un printemps dans la rue. Nous n’aimons cette chose-là que quand elle mord la main qui tient la laisse. Parce que « tout le monde a faim et chacun veut sa part. » [1]
Publié dans CQFD n°34, mai 2006.