L’évolution de la classe politique, en France, mais pas seulement, donne un spectacle des plus édifiants. Les « passages » d’un courant de pensée à un autre, d’un parti à un autre, certains diront d’un camp à l’autre, est un signe des temps.
Au-delà
de l’aspect « immoral « , choquant, dénonçant les attitudes de
« trahison », phénomène qui a existé à toutes les époques de la part
d’individus cupides et opportunistes,… se joue également autre chose de plus
fondamental.
L’EFFACEMENT
DES CLIVAGES POLITIQUES
Si
nous prenons le cas des pays industriels développés… disons de
« capitalisme avancé », dès le 19e siècle sont apparues,
très grossièrement, deux tendances lourdes :
- l’une
dite « conservatrice », de droite justifiant et défendant le système
salarial ;
- l’autre
dite « progressiste », de gauche, se plaçant dans la perspective du
progrès social pour les salariés.
Certes,
courants et sous sous-courants, tendances « réformistes » et
« révolutionnaires » rendent plus complexe cette sommaire
classification, mais en tendance lourde, c’est bien de cela dont il s’agit.
Si
l’on prend le cas de la France – la Gauche, jusqu’en 1981-84 a revendiqué une
politique dite « progressiste », avec un programme économique
d’inspiration keynésienne : relance par la demande, nationalisations,
intervention de l’Etat,… alors que la Droite était sur des positions plus
libérales et moins « sociales ».
Cette
situation a permis jusqu’à tard dans le 20e siècle d’entretenir
l’illusion de politiques radicalement différentes – c’était aussi vrai en
Angleterre, avec les conservateurs et les Travaillistes, en Allemagne avec le
SPD et la CSU-CDU, en Italie, en Espagne,…
Malgré
l’effort des partis politiques qui continuent, avec encore un certain succès, à
maintenir l’illusion, on se rend de plus en plus compte de l’effacement
progressif de ce qui faisait cette différence.
POURQUOI
CET EFFACEMENT ?
Trahison
diront certains ! C’est un peu court comme analyse.
L’élément
déterminant c’est que toutes les luttes, toutes les expériences –socialistes-
ayant pour objectif plus ou moins avoué de renverser le système salarial… ont,
à plus ou moins long terme, échoué.
Nous
avons aujourd’hui un capitalisme triomphant, perclus de contradictions, nous
conduisant à la catastrophe, mais tout de même triomphant au sens où rien ne
s’oppose à son développement, à sa progression, à sa généralisation. Il
n’existe aucune stratégie sérieuse qui pourrait mettre en péril sa sérénité,…
sinon bien sûr ses contradictions que nous ne savons pas identifier et
exploiter malgré tous les discours plus velléitaires que radicaux.
Il
a su, ce système, intégrer, absorber, récupérer, dépasser les crises les plus
graves, récupérer et recycler les symboles, même ceux qui lui étaient
défavorables,… et intégrer, voire à tourner en dérision la contestation
radicale qui s’ « oppose » à lui.
De
plus, dans sa phase mondialisée, et concernant les anciens pays industriels
développés, dans ces pays où il avait fait le plus de concessions (acquis
sociaux), il peut en toute légitimité reprendre tout ce qu’il avait concédé… ce
qu’il est entrain de faire avec un succès qui ne se dément (retraites, temps de
travail, protection sociale, services publics,…)
QUAND
IL N’Y A PLUS DE REPERES, IL N’Y A PLUS DE LIMITES
Le
contexte économique et social aujourd’hui est fort différent de ce qu’il était
il y a quelques années.
Les
repères ont sauté, les marges de manœuvre sont devenues floues, quand elles
n’ont pas disparu.
Les
rêves, les illusions, qui hantaient les esprits des politicien-nes ont évolué
en même temps que leurs perspectives de carrières. « Passer dans
l’autre camp » n’a plus à leurs yeux la même signification
qu’autrefois, et ce d’autant plus que la frontière entre les deux camps s’est
estompé, pour ne pas dire totalement disparu…. C’est tout le sens de la
remarque de nombreux politiciens qui disent pour se justifier : « Je
passe avec la Droite tout en restant de Gauche »… ou bien « Je
suis de droite mais j’accepte dans mon équipe des gens de gauche ».
C’est
plus son clan que l’on trahi, qu’une politique.
Ainsi,
le fameux clivage « Droite-Gauche » qui était une véritable
« boussole » politique pour tout citoyen, a disparu… C’est un peu
comme si le champ magnétique terrestre, pour le navigateur, n’existait plus…
plus moyen de s’orienter, il faut trouver d’autres repères.
Au
niveau international, cette interchangeabilité a atteint les niveaux les plus
élevés, en effet il n’y a aucun problème qu’à la tête d’institutions aussi
importantes que l’Organisation Mondiale du Commerce et du Fond Monétaire
International, il y ai indifféremment des sociaux-démocrates (ce qui est le cas
aujourd’hui – et socialistes français de surcroît) ou des libéraux pur jus
sur le modèle anglo-saxon.
Malgré
cela, une certaine extrême gauche, alternative, anticapitaliste, dans une
vision extralucide, trouvera encore une différence entre la Droite et la
Gauche, et préfèrera l’une à l’autre. ( ?)
QUE
RESTE-T-IL ?
L’essentiel,
c'est-à-dire le système marchand, le salariat avec ses principes de
fonctionnement, ses contradictions, mais qui est reconnu par les uns et les
autres comme indépassable.
Le
clivage « Droite-Gauche », qui avait la faculté d’en adoucir les
contours et les contradictions au temps « béni » ou le capital
pouvait s’acheter la paix sociale, ayant disparu, il laisse apparaître ce
système dans toute sa brutale réalité. Or, en période de mondialisation,
celle-ci ne laisse plus le choix pour les demi-mesures. Ainsi, celles et ceux
qui étaient à la limite – constitué par une « gestion sociale »,
« keynésienne » du système, ont carrément fait le choix de la gestion
libérale – c’est le cas de la social démocratie et de ses satellites de droite
comme de gauche. Le franchissement politicien étant laissé à l’initiative de
chacun-e en fonction de ses intérêts, prétentions et ambitions.
Celles
et ceux qui se disent « rester – fermement –carrément -100% à
gauche » sont désormais devant un dilemme :
- soit
demeurer impuissant tout en ayant un discours radical de dénonciation, d’appel
à des luttes ( ?) et de revendications jamais satisfaites,…
- soit
élaborer une nouvelle véritable stratégie politique de changement social fondé
sur une pratique alternative concrète.
Le
moindre effort étant la première solution, qui ne fait que reproduire les vieux
schémas éculés, on assiste désormais à un relookage des vieux concepts, des
vieilles stratégies qui, avec un discours radical tenu par de préférence de
jeunes premiers au look décontract’, ou de vieux relookés, doit
continuer à faire encore illusion.
Les
« trahisons », et autres, « débauchages », ne sont donc pas
que des phénomènes individuels, ils sont surtout les révélateurs d’une
nouvelle donne politique, expression d’une évolution très particulière
du système dominant.
Tous
ont intérêt à maintenir la fiction de la bipolarité
« Droite-Gauche », maintenant ainsi le citoyen dans un faux semblant
de vie démocratique. Le bipartisme vers lequel nous glissons, dans
l’indifférence générale, sera le couronnement de cette escroquerie politique.
Patrick
MIGNARD
Mars 2008
Voir
aussi les articles :
« VERS
LE BIPARTISME »
« LA
FIN DE LA SOCIAL DEMOCRATIE »
« LES
LIQUIDATEURS »