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Lu sur : La nuit des meutes « L'idée de multiplier les points d'intervention d'une action au sein d'un territoire pour rendre l'action plus difficile à contrôler n'est pas nouvelle. On en trouverait certainement des traces dans tout traité militaire ou dans les manuels de guérilla urbaine...
Mais heureusement, on trouve aussi des justifications théoriques plus intéressantes et plus pacifiques dans certains ouvrages des sciences humaines et sociales. En voici un exemple. Bonne lecture !
Michel De Certeau, "L'invention du quotidien - tome 1 : Arts de faire", Paris : Gallimard, 1990, p. 59. [ce texte a été initialement publié en 1980]
"J'appelle stratégie le calcul (ou la manipulation) des rapports de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir (une entreprise, une armée, une cité, une institution scientifique) est isolable. Elle postule un lieu susceptible d'être la base d'où gérer les relations avec une extériorité de cibles ou de menaces (les clients ou les concurrents, les ennemis, la campagne autour de la ville, les objectifs et objets de la recherche, etc.). Comme le management, toute rationalisation "stratégique" s'attache d'abord à distinguer d'un "environnement" un "propre", c'est-à-dire le lieu du pouvoir et du vouloir propres. Geste cartésien, si l'on veut : circonscrire un propre dans un monde ensorcelé par les pouvoirs invisibles de l'Autre. Geste de la modernité scientifique, politique, ou militaire.[...]
Par rapport aux stratégies [...], j'appelle tactique l'action calculée que détermine l'absence d'un propre. Alors aucune délimitation de l'extériorité ne lui fournit la condition d'une autonomie. La tactique n'a pour lieu que celui de l'autre. Aussi doit-elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l'organise la loi d'une force étrangère. Elle n'a pas le moyen de se tenir en elle-même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement "à l'intérieur du champ de vision de l'ennemi", comme le disait von Bülow, et dans l'espace contrôlé par lui. Elle n'a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l'adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des "occasions" et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu'elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu'offre un instant. Il lui faut utiliser, vigilante, les failles que les conjonctures particulières ouvrent dans la surveillance du pouvoir propriétaire. Elle y braconne. Elle y crée des surprises. Il lui est possible d'être là où on ne l'attend pas. Elle est ruse."
Beau texte, non ? Il va tout à fait dans le sens où nous imaginons la Nuit des meutes : la ruse, la réappropriation du territoire et de la créativité, la dispersion contre la masse, la mobilité contre l'immobilisme. Quand on sait que Certeau, loin d'être un révolutionnaire marxiste, était théologien et anthropologue, on se prend à rêver... »
Créé par La nuit des meutes.