Stratégies d'actions et de luttes entre lesbiennes en terres natales et lesbiennes en terres d'exil, de migrations .
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Sehakia : "A la lumière de ce nouveau millénaire, alors que les pays occidentaux débattent sur l'homoparentalité et sur le mariage des homosexuelLEs, des gays égyptiens sont emprisonnés et des Saoudiens sont tués à coup de sabre, des femmes, des hommes préfèrent le suicide à une vie de mensonges, une vie de peurs et de hontes …. C'est sur cette situation des lesbiennes et gays arabes et nord africains que portera mon intervention aujourd'hui, à la fois en termes de contextes mais aussi de stratégies d'actions et de luttes à mettre en place ici et là-bas. Mon intervention se distribuera en 3 temps qui correspondent aux trois entrées suivantes :
1) Un rappel contextuel sur la situation des lesbiennes et gays en pays arabes et nord-africains avec un accent bien sûr sur les lesbiennes;
2) La présentation du collectif, les N'DéeSses, dont je suis la co-fondatrice et du website, sehakia, que nous avons lancé en mars 2002 et qui est dédié particulièrement aux lesbiennes nord-africaines et arabes;
3) Enfin je terminerai par le point qui nous intéresse toutes et tous ds ce séminaire, à savoir les stratégies d'actions et de luttes à penser et mettre en place pour soutenir les lesbiennes ( et plus largement les gays ) là-bas et ici.
Premier point : la situation des lesbiennes en terres natales
Je commencerai par quelques éléments pour informations et pour rappel de la situation des lesbiennes dans les pays arabo-musulmans.
L'homosexualité est frappée d'illégalité dans 25 pays musulmans (sur 53) et passible de la peine de mort dans 6 d'entre eux, ailleurs de lourdes peines. Dans les pays qui n'ont pas de lois spécifique contre l'homosexualité, les lesbiennes et gays font l'objet de violence et de harcèlement ! Pour ces raisons, des lesbiennes Nord-Africaines et arabes vivent cachées, exclues, se sentant bannies de la société !! En effet nous visibiliser ( même sans démonstration ) peut nous coûter la vie ou la prison dans nos pays. Il faut noter que les pays arabo-musulmans sont ceux qui sont maintenues par une religion, la religion musulmane, qui n'a pas renouvelé sa pensée religieuse pour l'adapter au 21 ème siècle, ce qui selon moi explique en partie cette non-reconnaissance de l'homosexualité. Elle ne peut la reconnaître comme un choix de sexualité car le Coran interdirait l'homosexualité : d'après les oulamas musulmans, l'homosexualité est symbolisée par l'histoire de la tribu de " Lott ", qui a été punie à cause de l'homosexualité. J'ajoute, qui pèse, les traditions, et l'inexistence des libertés individuelles, l'ignorance, le fanatisme !
Nous, lesbiennes, comme femmes, nous expérimentons les discriminations que les femmes dans nos sociétés subissent, sociétés qui pour beaucoup d'entre elles ne reconnaissent pas les droits des femmes et qui les considèrent comme des mineures toute leur vie ! Les "meilleurs" exemples ne manquent pas, le code de la famille en Algérie, les pays du Golf qui n'acceptent pas qu'une femme siège dans les parlements élus !! et celui qui interdit la conduite des voitures aux femmes ..etc !
Donc être femme et lesbienne c'est lutter au moins sur deux fronts : d'un côté pour nos droits de femme et de l'autre pour nos droits de lesbienne ! Or je ne vous cache pas que le combat est dur et long pour le premier tandis que pour le deuxième cela relèverait presque de l'imaginaire !!!
Deuxième point : les N'DéeSses et le website, sekakia, notre recherche de VISIBILITE
C'est précisément pour échapper à cette mise sous silence dans laquelle ces sociétés veulent nous enfermer que nous avons créé ce nouveau collectif, les N'DéeSses, qui rassemble des lesbiennes nord-africaines et arabes vivant en terres natales comme en terres d'exil. Nous, les N'DéeSses, par notre volonté et notre détermination, voulons faire entendre par le biais de notre site www .sehakia.org, ces voix que les sociétés nord-africaines et arabes veulent étouffer
Avant d'en venir aux principaux objectifs, de ce collectif et de notre site, je tiens à revenir sur le nom que nous avons choisi pour notre site, à savoir sehakia. SEHAKIA est le terme arabe pour LESBIENNE. Choisir ce nom répond à notre objectif de donner voix aux lesbiennes arabes et maghrébines que nous voulons un espace de réflexion, d'information et d'échange. Il est le pont vers toutes les lesbiennes maghrébines et arabes là où elles se trouvent dans le monde car nos préoccupations et nos rêves sont proches, car il est temps pour les lesbiennes nord-africaines, arabes, de se révolter. L'un de nos objectifs majeurs est de faire connaître l'existence des lesbiennes nord-africaines et arabes, et d'EXISTER comme lesbiennes nord-africaines et arabes partout, en terres natales comme en terres d'exil. Nos combats visent à lutter contre le sexisme, l'hétéropatriarcat, la lesbophobie, l'homophobie des sociétés nord-africaines et arabes. Nous aspirons clairement à des changements, des transformations en terres natales. Par ce site, nous escomptons offrir à toutes, et surtout à celles qui vivent en terres natales un espace pour créer des liens entre lesbiennes nord-africaines et arabes en terres natales et en terres d'exil, pour rompre l'isolement et inviter aux échanges susceptibles de soutenir des actions. C'est pourquoi ce site sera autant que faire se peut multilingue, arabe, français, berbère et anglais.
Nous avons conçu ce site comme comme un outil d'information qui couvre un large éventail, avec un accent mis sur la dimension juridique et pratique pour servir d'interface pour les lesbiennes et femmes en situation critique - et c'est cet aspect qui fera l'objet de mon dernier point.
Au travers de ce site, nous nous sommes engagées pour produire nos propres analyses, faire connaître les lesbiennes nord-africaines où qu' elles vivent, que ce soit en pays d'origine ou en terre d'exil, théoriciennes, chercheuses, artistes, peintres, écrivaines, poétesses, musiciennes, réalisatrices, diffuser leurs analyses et leurs travaux sur notre site !
Troisième point : des plans d'actions et de luttes
J'en viens maintenant au dernier point de mon intervention, qui est celui qui nous intéresse toutes et tous ici : celui des stratégies et des luttes à penser. Nous envisageons ce plan d'actions à deux niveaux au moins, au niveau de nos pays et au niveau international.
Un premier niveau sera celui des interventions au niveau de nos pays eux-mêmes.
Il s'agit d'inspirer, d'initier des mobilisations internationales et nationales sur la situation des lesbiennes et gays dans nos pays. En appeler non seulement aux communautés internationales lesbiennes et gays, mais aussi plus largement tous les groupes qui se posent comme défenseurs des droits humains, où et qui qu'ils soient, à un niveau local comme international. Nous pensons que c'est à la faveur d'une visibilisation, d'une médiatisation de cette situation que nous parviendrons à mobiliser à un niveau local y compris - qui est notre perspective - car l'idée est de transformer les situations à l'intérieur de nos pays - l'issue selon nous n'est assurément pas dans l'exil forcé !!!
Pour nous lesbiennes, il s'agit de mobiliser les groupes de femmes et d'essayer d'articuler nos luttes à celles des féministes, pour les droits des femmes. C'est l'une des directions dans lesquelles en tant que collectif nous entendons désormais intervenir. Voilà pour notre plan d'action au niveau des terres natales.
Passons à un autre niveau d'intervention pour lequel nous sommes au défi.
Pour les raisons énoncées dans le premier temps de ma présentation, et parce que nos actions n'auront pas d'effets immédiats, nous devons pensons aux alternatives très limitées qui restent aux lesbiennes : vivre cachées dans nos pays ou s'exiler et vivre en clandestinité dans des pays où nous pouvons plus librement vivre notre lesbianisme. Or là est l'un des gros problèmes sur lesquels nous devons effectivement les uns et les autres rassembler nos forces et penser ensemble aux stratégies d'actions à mettre en place pour faire face à ces challenges.
Combien de mes compatriotes lesbiennes qui vivent en Algérie lancent à travers Internet des appels d'aide aux associations ! et à travers la radio et les journaux algériens des appels de détresse parce qu'elles n'arrivent plus à vivre comme des marginales ! Notre collectif et notre site n'ont pas une longue existence mais nous avons déjà reçu nombre de requêtes et d'appels à l'aides de lesbiennes nord-africaines.
Le problème majeur que les lesbiennes candidates à l'exil affrontent est que les pays supposés les accueillir reconnaissent rarement notre statut particulier, les menaces et dangers, de mort y compris, qui pèsent sur nous. Cette non reconnaissance se traduit par le non octroi du droit d'asile comme étant lesbienne ou gay, alors que le droit d'asile est donné à des terroristes pour mieux préparer leurs attentats. Voilà le paradoxe des ces pays occidentaux !!??! Combien de mes compatriotes lesbiennes qui vivent ici en France et jusqu'à ce jour n'ont pas de papier de séjour : elles vivent dans la peur d'être rapatriées un jour !!???
Je souhaiterais m'arrêter sur ce point de préoccupation pour nous, à savoir cette situation paradoxale que vivent ces exilées comme lesbiennes et femmes. Ces femmes fuient leur pays pour échapper à la criminalisation dont les pratiques homosexuelles y font encore l'objet, pour escompter vivre leur lesbianisme, échapper à d'éventuelles sentences et menaces de mort. Après être " interdites " dans leur pays comme lesbiennes, elles se retrouvent " interdites " dans les pays qu'elles ont réussi à gagner parce que clandestines. Je terminerai par un exemple qui questionne de manière extrême cette situation de fragilisation et de déshumanisation produite par les politiques d'accueil - expression oxymorique - , leur application parfois arbitraire, et les multioppressions dont ces réfugiées font l'objet comme femmes et lesbiennes issues des continents non occidentaux.
C'est l'histoire de Myriem, lesbienne Algérienne qui au bout de deux ans de demande de visas pour sortir du pays et face à l'échéance d'un mariage arrangé a préféré mettre un terme à ses jours.
Cet exemple, et l'ensemble des situations auxquelles je pourrais référer et pour lesquelles nous sommes appelées à agir, témoignent de l'urgence d'actions, de luttes pour engager à des transformations dans les politiques d'accueil des réfugiéEs, la vigilance devant être renforcée lorsqu'il s'agit de lesbiennes, pour combattre le racisme, le sexisme, la lesbophobie, l'exploitation économique, physique, sexuelle … oppressions conjuguées subies par les femmes et lesbiennes issues des continents non européens, issues des migrations forcées, dont l'histoire présente ou passée est liée au colonialisme.
Ce qui nous paraît IMPERATIF, c'est de mettre en place un vrai RESEAU pour coordonner, articuler nos actions et nos solidarités. De fait, dans le cadre qui est le nôtre, à savoir une forme de clandestinité dans nos pays, c'est le fonctionnement en réseau que nous privilégions, avec l'utilisation en particulier des ressources que nous offre Internet, à la fois pour faire circuler l'information, mais aussi pour avoir accès nous-mêmes à l'information pertinente pour nos luttes et actions, et bien-sûr pour notre propre survie, tant il est dur de vivre dans ce contexte !!!
Notre réseau s'appuie d'abord sur les groupes de lesbiennes arabes existants, qui jusqu'à présent était surtout américain ;
Il entend également développer des liens avec les groups de gays nord-africains et arabes qui partagent les mêmes lignes d'actions que nous.
Et enfin, c'est avec les réseaux féministes ou groupes de femmes que nous avons déjà initié des actions communes - en particulier avec le Rafjire en France. Il nous reste à essayer de développer des liens avec des groupes de lesbiennes français, européens …
Pour FINIR ….
Le tableau que j'ai dressé peut apparaître assez sombre. Les voies à frayer sont quasiment inexplorées à ce jour. Pour autant et d'ores et déjà, après si peu de mois d'existence, nous pouvons dire que nous avons non seulement été encouragées à poursuivre notre travail, mais aussi que nous avons eu de larges satisfactions - au-delà de nos espérances - sur le plan de la collecte de productions artistiques en particulier.
Nous avons également reçu des signes très positifs de nos partenaires possibles dans les actions et les luttes - dont cette invitation à ce séminaire est l'une des concrétisations - et pour cela je remercie à la fois Sabrine et Bernard, plus largement Amnesty International France et le comité d'organisation des Universités d'été, pour cette invitation et leur accueil. Nous entendons poursuivre le dialogue et les collaborations.
C'est pourquoi je terminerai par cette note très positive car je garde l'espoir que les débats les plus larges possibles s'ouvrent dans la pluralité des mouvances lesbiennes, et qu'elle dressent un réseau de solidarité avec les lesbiennes nord-africaines et arabes.
par JULIA pourles N'DéeSses*
* Texte de l'intervention de Julia à l'occasion de la 9è Université d'Eté Euroméditéranéennes des Homosexualités (UEEH) dans le cadre du séminaire animé par Sabrine d'Amnesty International, jeudi 25 juillet 2002, à Marseille, France.
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