--> « Elle ferait une candidate de droite acceptable. »(1)
ELLE EST PARTOUT, on ne voit plus qu'elle. En politique ou en people, Ségolène Royal est sur tous les écrans et dans tous les journaux. Elle caracole même dans les sondages. Depuis l'annonce de sa candidature pour l'Élysée, elle est devenue comme un phénomène de société. « Une femme présidente! Gasp! » Si ce n'est que, outre le machisme ambiant, notamment de la part de ses collègues du Parti socialiste, on s'aperçoit vite qu'elle est dans le même camp: celui de ceux et celles qui en veulent. Ségolène Royal aura eu le mérite de montrer autant de mégalomanie que les autres et de devenir aussi imbuvable que n'importe lequel des autres prétendants mâles au titre.
AutoritaireSégolène Royal semble vouloir la jouer perso, sans trop se poser de questions par rapports aux militants de son propre parti, en fonçant sans prévenir et en y allant de ses petites phrases. Elle doit penser que la démagogie passe toujours, surtout quand on se place sur le même terrain que l'adversaire, Sarkozy. C'est cela qui semble son but: couper l'herbe sous le pied du ministre de l'Intérieur. « L'échec de la politique de sécurité est flagrant, a-t-elle déclaré. Le ministre de l'Intérieur est un facteur de troubles, de désordre et d'inefficacité qui produit de la délinquance massive. Il faut une reprise en main lourde. » Et de préconiser des méthodes autoritaires, le recours au service militaire, la coupure des allocations familiales, rétablir l'autorité parentale, etc.
Pour les 35 heures, elle dit tout et son contraire: un jour elle les fustige, disant qu'elles ont accentué la flexibilité dans les secteurs les moins rémunérés (ce qui n'est pas faux), de l'autre elle salue cet acquis. Idem pour le mariage homosexuel, qu'elle ne reconnaît pas, mais qu'elle dit appliquer une fois élue ... .
Ségolène se targue de retrouver cette base populaire égarée au FN ou dans (abstention, en proposant des solutions dignes de Sarkozy et consorts. Mais il ne s'agit pas uniquement de démagogie ni de discours destinés aux « citoyens ordinaires, réduits au statut de consommateurs », comme elle dit. Il faut se souvenir de son passage comme ministre sous Jospin, où elle n'a pas brillé par son côté progressiste. Au contraire.
Outre sa vénération pour Tony Blair et sa politique, la famille constitue, pour Ségolène Royal, un axe prioritaire et n'est envisagée que sous son aspect le plus traditionnel possible
ces discours concernant l'homoparentalité n'avaient pas grand-chose à envier à ceux de Christine Boutin. Il transparaît rapidement chez Ségolène Royal un étrange parfum de bigoterie droitière, car elle ne semble pas affranchie de sa propre famille, catholique et militaire de carrière. C'est ce côté Madame Figaro qui plaît également à une certaine partie de la droite gaulliste, qui a envie de jouer un sale tour à Sarkozy et peut-être de tout miser sur ladite dame.
Dans la presse déchaînéeSégolène Royal semble être également la candidate de la presse. Une presse qui a besoin de gadgets qu'on peut changer sans états d'âme. Après avoir fait les choux gras sur « Sarko » , la presse, en général, s'est jetée sur « Ségolène ». Nouvel objet intéressant, parce que femme et socialiste tendance soft.
« La percée de Ségolène Royal provient de l'inquiétude que suscitent une gauche trop à gauche et une droite trop à droite. Elle paraît promettre un programme plus proche des attentes des citoyens, qui rêvent du bon équilibre entre la tolérance et le respect de l'autorité, entre l'ouverture à l'économie de concurrence et le maintien de la cohésion sociale. » (Le Monde). La presse mise donc sur elle, pour le moment. Tout comme elle* l'avait fait en son temps pour Rocard puis pour Jacques Delors, ou même Balladur (Le Monde). La presse a souvent essayé de jouer l'aiguillon, d'être prophète et d'auto-réaliser ce qu'elle prédisait. On sait ce que ça a donné en plantage : annonce d'un duel Jospin-Chirac en 2002, le « oui » gagnant au référendum sur la Constitution européenne, la victoire de Balladur, etc.
Cette fois, en sponsorisant Ségolène Royal, la presse essaie de maintenir le débat politique là où il doit se tenir, à le limiter à ce qui est politiquement pensable, comme dans la citation précédente du Monde: à savoir s'il convient de choisir entre « respect de l'autorité » et « tolérance » et si la question sociale doit être réduite à une opposition entre « ouverture à l'économie de concurrence » et « maintien de la cohésion sociale ».
Ségolène Royal semble se plier à ce marché où les dupes, ce sera nous: Mais qu'importe, les anarchistes savent qu'il n'y a rien à attendre des élections. Les combats anti-CPE ont prouvé que c'était dans la rue que tout se jouait, alors consacrer tant de lignes à cette dame était peut-être lui faire trop d'honneur...
Jean-Pierre Levaray
1. Nicolas Sarkozy, of course.
Le Monde libertaire #1443 du 15 au 21 juin 2006