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Révolutionner notre rapport aux annimaux
--> Entretien avec Yves Bonnardel, un militant antispéciste
Lu sur Indymédia  Grenoble : "Une manifestation en faveur du végétarisme baptisée « Veggie Pride ». Une distribution de tracts sur la « libération animale ». Des personnes qui refusent de porter des vêtements en cuir, en fourrure, en laine ou en soie... Le point commun de ces actions ? Elles sont toutes liées, de près ou de loin, au mouvement ''antispéciste''. Que signifie ce terme ? Quelles sont ses implications politiques ? Quelles sont les principales objections que soulève ce mouvement ? Pour tenter de répondre à ces questions, les Renseignements Généreux ont rencontré Yves Bonnardel, militant actif du mouvement antispéciste.


PARTIE 1 : Qu'est-ce que l'antispécisme ?

Yves, tu te définis comme appartenant au mouvement « antispéciste ». Que signifie ce terme ?

Avant de commencer, je précise que mes propos ne représentent pas forcément l'ensemble du mouvement antispéciste. Celui-ci regroupe des positions éthiques, politiques et stratégiques très diverses.

C'est noté... Quelle est donc ta vision de l'antispécisme ?

L’antispécisme, c’est un mouvement de lutte pour une transformation radicale de notre rapport aux animaux. Dans notre société, les animaux sont considérés comme des biens, des marchandises qui dépendent entièrement des intérêts de leur propriétaire. Certains sont dorlotés, admirés pour leur beauté ou leur puissance, voire considérés comme des membres de la famille. D’autres, l'immense majorité, subissent les pires traitements : massacres en masse dans les abattoirs et par la pêche industrielle ; enfermement et engraissement forcés dans les élevages intensifs ; expérimentations dans les laboratoires pour tester des produits ménagers, des médicaments, des cosmétiques, des armes ; emprisonnements à vie dans des cirques, des zoos, des aquariums ; meurtres par jeu à la chasse, la pêche de loisirs, la corrida, etc. Chacun de ces types d'exploitation concerne un nombre incalculable d'êtres sensibles. En France, l'expérimentation animale ''consomme'' chaque année quelque deux millions d'animaux ; les abattoirs tuent un milliard deux cent millions de veaux, vaches, moutons, poules, oies, canards, cochons, lapins ; la pêche et les élevages exterminent des dizaines, peut-être des centaines de milliards de poissons. Cette exploitation brutale est possible parce que notre société est spéciste. Inconsciemment ou non, les humains se considèrent comme membres d'une espèce ''supérieure'', une espèce ''élue'', ce qui les autorise à dominer toutes les autres espèces. Or tout être sensible, humain ou non, éprouve sa vie, ressent douleur et plaisir, souffrance physique ou psychique, bien-être et mal-être. Partant de ce constat, l'antispécisme lutte pour que les intérêts fondamentaux de tout être sensible soient pris en compte.

Si nous comprenons bien, le terme spécisme est construit par similitude avec les notions de racisme ou de sexisme ?

Exactement. De la même manière que le sexisme désigne la discrimination dont est victime quelqu'un sur la base de son sexe, le spécisme désigne la discrimination opérée en fonction de l'espèce, et la domination qui en découle. Ce qui préoccupe le mouvement antispéciste, c'est la souffrance et la mort d'individus sensibles, humains ou non, qui auraient aimé avoir une vie heureuse, souffrir le moins possible et éviter d'être tués. De ce fait, nous nous opposons également au racisme, au sexisme, aux injustices économiques et autres discriminations arbitraires. L'antispécisme lutte pour un monde plus égalitaire et vivable pour tous les êtres sensibles, quelle que soit l'espèce, la race, le sexe, etc.

Concrètement, quelles sont les pratiques antispécistes ?

Concrètement, être antispéciste signifie ne plus manger d'animaux (viandes, poissons...) et de produits issus de leur exploitation (laitages, oeufs...) ; cesser d'acheter des vêtements ou tout autres produits issus de l'exploitation animale (cuir, fourrure, laine...) ; boycotter les cirques animaliers, les zoos, les corridas, les élevages d'animaux de compagnie ; ne pas utiliser de produits ménagers et cosmétiques testés sur les animaux ou contenant des substances animales. Mais l'antispécisme ne se limite pas à la révolution de nos pratiques quotidiennes dans notre seule sphère personnelle. Nous ne changerons pas le monde "par l'exemple", par "capillarité", uniquement en ayant une influence progressive sur notre entourage, uniquement en mettant en avant "un mode de vie", un régime alimentaire, ou bien encore ce qu'on appelle le "véganisme", la ''vie sans cruauté". Il est avant tout essentiel de mener des campagnes politiques pour critiquer le spécisme, pour mettre en avant les intérêts des autres animaux, dans tous les domaines où ils sont concernés. Nous ne voulons pas que le végétarisme devienne une identité à part, une "niche écologique" parmi d'autres au sein d'une société spéciste, à l'instar par exemple des ghettos gay ou lesbien qui, grosso modo, s'accommodent d'une société hétérosexiste tolérante. Notre but est un "changement de civilisation", non un changement dans notre seule vie personnelle ! A mes yeux, la principale pratique antispéciste est donc la dénonciation du spécisme, pour oeuvrer à changer notre perception sociale des animaux.

Qu'entends-tu par « perception sociale des animaux » ?

Dès le plus jeune âge, nous apprenons à percevoir les animaux comme de simples spécimens de leur espèce, des maillons dans la chaîne alimentaire, ou encore des fonctions au sein d'un fantasmatique ordre naturel... Autrement dit, nous évacuons systématiquement l’idée qu’ils ont une vie individuelle. Or nous, en tant qu'antispécistes, nous pensons que la réalité est que chaque animal a des intérêts propres liés au fait qu'il est sensible à la douleur et au plaisir.

Si nous résumons, l'antispécisme souhaite une révolution culturelle et politique de notre rapport aux animaux.

Pas seulement des animaux : de tous les êtres sensibles, humains ou non.

Quelles sont les actions politiques du mouvement antispéciste en France ?

Nous essayons d'intervenir publiquement en organisant des conférences/débats, en écrivant des articles dans des revues, en publiant des livres, en tenant des tables de presse lors de manifestations. De nombreux antispécistes sont également actifs au sein de structures animalistes ou végétaristes comme l'Alliance végétarienne1, ou encore dans des refuges pour animaux. De nombreuses autres actions plus spécifiques ont été développées.

Par exemple ?

Les actions "sang des bêtes". Plusieurs fois par an, simultanément dans plusieurs grandes villes de France, des antispécistes répandent des centaines de litres de faux sang sur la chaussée et distribuent des tracts expliquant l'antispécisme et appelant les gens à refuser la consommation de viande. Ces actions ont parfois eu un retentissement médiatique important.2 Un autre exemple d'actions : la manifestation annuelle contre la tenue du Salon de l'Agriculture, à Paris. Ces actions ont parfois débouché sur un blocage des entrées du Salon.

Nous avons un jour croisé à Paris la ''Veggie Pride'', une manifestation en faveur du végétarisme...

La ''Veggie Pride'' n'est pas un événement dans la droite lignée de l'antispécisme, mais elle a été initialement pensée et organisée par des antispécistes3. Cette manifestation permet aux végétarien-ne-s, souvent isolé-e-s et en butte à la pression de leur entourage (pressions affectives, violences verbales, moqueries...) d'affirmer publiquement et collectivement leur choix, de rencontrer d'autres personnes militantes, de reprendre courage et confiance en soi. Il existe également des ''Estivales de la question animale'', des rencontres qui, là encore, sans être antispécistes, ont été initialement pensées, et restent majoritairement organisées par des antispécistes. Il s'agit de rencontres ouvertes à toute personne intéressée par la question animale4. Idéalement, des éleveurs, des bouchers, des expérimentateurs, de même que des journalistes, des chercheurs, devraient pouvoir venir, et même participer à l'organisation, ouverte à tout le monde, pour discuter des problèmes posés. Dans la pratique, ce sont surtout des militant-e-s qui s'y retrouvent... De nombreuses initiatives fructueuses ont cependant émergé de ces rencontres.

As-tu d'autres actions politiques à nous présenter ?

C'est difficile d'être exhaustif ! Mais il me faut citer la campagne ''StopGavage''. Cette campagne dénonce le gavage des canards et des oies5. Son but est l'interdiction de la production de "foie gras". 30 millions d'animaux par an sont concernés en France. Cette campagne est d'une grande importance stratégique parce qu'elle a des chances d'aboutir. Non seulement le gavage des oies et des canards contrevient aux Conventions Européennes sur le bien-être des animaux d'élevage, mais de plus ''l'opinion publique'' reste relativement sensible aux tortures du gavage, indispensable pour obtenir le foie hypertrophié des canards et des oies. Une telle victoire créerait un précédent opportun. Pour la première fois, un produit alimentaire serait interdit par considération des intérêts des animaux concernés ! La brèche symbolique ouverte serait d'importance.

Et au niveau international, quelles sont les actions antispécistes ?

Citons la ''Campagne internationale pour l'abolition de la viande''. Là encore, il ne s'agit pas d'une campagne spécifiquement antispéciste, mais ce sont des antispécistes qui l'ont initiée. Cette campagne se fonde sur une affirmation pratiquement acceptée dans tous les pays : "les êtres sensibles ne doivent pas être maltraités ou tués sans nécessité"6. Logiquement, la consommation de viande devrait donc être proscrite... Le modèle qui a servi à la conception de cette campagne est la campagne pour l'abolition de l'esclavage, initiée par sept personnes isolées en 1768 en Grande Bretagne, dans des conditions qui ne sont pas sans rappeler celles de l'antispécisme aujourd'hui. En 70 ans, cette campagne a su mobiliser, autour de mots d'ordre simples mais fondamentaux, une partie importante de la population anglaise et a contribué à aboutir à l'interdiction, non seulement de la traite, mais de l'esclavage lui-même.

Quelles sont les organisations antispécistes étrangères ?

Dans les autres pays, les organisations antispécistes sont peu nombreuses. La plus grosse est ''People for Ethical Treatment of Animals'' (PETA). C'est une association végétariste, voire végétaliste, qui lutte explicitement contre le spécisme.7 Au total, dans les divers pays où elle est implantée (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Argentine, Brésil, Allemagne, France...), elle regroupe environ un million d'adhérent-e-s. Dans de nombreux pays a également été reprise une initiative d'antispécistes australien (Peter Singer) et italienne (Paola Cavalieri), qui s'appelle ''The Great Ape Project'' (Le Projet Grands Singes). Ce projet argumente que les grands singes anthropoïdes (les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outangs...) possèdent à des degrés divers les mêmes caractéristiques cognitives (conscience de soi, capacité de langage, de projection dans l'avenir, etc.) et sociales (solidarité, altruisme, hypocrisie et mensonge, etc.) que les humains. Partant de ce constat, le Projet Grands Singes demande l'octroi à ces non-humains, sur ces bases, des droits fondamentaux que sont « le droit à ne pas être tué, à ne pas être torturé, à ne pas être privé de liberté »8.

Ce projet ''Grands Singes'' a donné des résultats ?

Il a été soutenu par de nombreux intellectuels, philosophes ou scientifiques. Il a abouti au vote d'une loi de protection en Nouvelle-Zélande il y a quelques années, et, en 2006, à une proposition similaire de loi par le Parti Socialiste espagnol. Ce Projet Grands Singes a ouvertement pour but d'enfoncer au niveau éthique la "barrière des espèces" en son point le plus faible : nos plus proches parents, qui ont des capacités très proches des nôtres, celles-là même que nous utilisons couramment comme prétextes pour justifier le spécisme. A mesure que nous accorderons aux singes anthropoïdes les droits fondamentaux jusqu'à présent réservés aux seuls humains, nous espérons fragiliser cette barrière symbolique extrêmement puissante liée à l'humanité.

Existe-t-il des actions antispécistes plus ''violentes'' ?

Dans de nombreux autres pays que la France, il existe un "Front de libération animale" qui se revendique souvent des "droits des animaux" (mais sans guère les expliciter) et qui s'est dédié à des actions illégales : attaques de boucheries, d'élevages, d'abattoirs, de bétaillères, de centres d'expérimentation animale, ou encore libérations d'animaux. Il s'agit d'attaquer économiquement les structures d'exploitation. Le FLA (ALF en anglais) exerce souvent une fascination auprès de nombreux militants. Pour ma part, je ne la partage pas.

Pour quelles raisons ?

Ces actions ne visent pas à imposer un débat de fond sur la question animale, mais se focalisent essentiellement sur le fait de détruire tel équipement ou libérer tels animaux. Par exemple, en Angleterre, où ce mouvement est extrêmement actif (il a parfois compté plus de prisonniers politiques dans les geôles gouvernementales que l'IRA !), il n'est pas sûr que le mot spécisme soit plus connu qu'en France, malgré un nombre de militants incomparablement supérieur. La plupart des gens n'ont jamais entendu parler des excellents arguments qui rendent le spécisme indéfendable, et les médias se polarisent surtout sur le caractère "terroriste" des actions menées, évacuant totalement un discours subversif qui n'est de toute façon même pas tenu. Or ce n'est pas en libérant quelques milliers d'animaux et en détruisant pour quelques millions d'euros de matériel chaque année que l'on changera un monde aussi massivement spéciste que le nôtre. Ce sont plusieurs milliards d'animaux qui sont tués en France comme en Grande-Bretagne. Nous ne les libèrerons pas un à un, ni ne détruirons une à une toutes les structures d'exploitation. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat de fond sans lequel rien ne changera fondamentalement, ou bien, au mieux, excessivement lentement.9

Terminons ce premier tour d'horizon de l'antispécisme par une question plus personnelle : comment t'es-tu intéressé à cette lutte ?

Un peu par raison, un peu par hasard, un peu par curiosité, un peu par sens des responsabilités. Je suis devenu végétarien à 13 ans, en cinq minutes, au cours d'un repas, lorsque j'ai réalisé que le morceau de chair que je mangeais provenait d'un être sensible, qui aurait tout autant que moi souhaité vivre une vie heureuse et ne pas être tué. Une sorte d'intuition fulgurante de l'antispécisme ! En jeune garçon ''standard'', j'appréciais beaucoup la viande et je n'aimais pas les légumes. Et pourtant, sans même connaître de végétarien-ne-s dans mon entourage, j'ai décidé illico d'arrêter. C'était clair pour moi qu'il n'y avait pas à tergiverser. Mes parents l'ont bien pris, pensant sans doute que "ça me passerait"...

Mais ça n'est pas passé...

Si, mais deux ans après ! Refuser de manger des animaux, c'est une décision dont un garçon pouvait difficilement être fier, ce n'était pas très "viril"... A force de ne pas oser en discuter clairement avec mon entourage, par peur d'être tourné en ridicule (par mes camarades de classe, notamment), j'ai fini par user ma volonté, et j'ai repris l'habitude de manger de la viande lorsque j'étais à la cantine scolaire. Puis, quatre ans plus tard, un ami avec qui je vivais en communauté m'a dit qu'il réfléchissait à ce sujet depuis des années et qu'il venait de prendre sa décision : il allait arrêter ! J'ai aussitôt dit : "moi aussi, j'arrête à nouveau"... Comme nous étions deux, et que nous connaissions cette fois-là deux autres personnes végétariennes et végétaliennes, cela nous a donné le courage d'en parler autour de nous. Nous nous sommes immédiatement heurtés au ridicule, voire à des formes de violence verbale. Cette fois, ces réactions nous ont donné la force de continuer : puisque notre entourage et les milieux écolos et libertaires où nous étions réagissaient de façon si émotionnelle, c'est qu'il devait y avoir beaucoup à creuser sur ce sujet... Trois personnes nous ont rejoint, et nous avons commencé à écrire une brochure intitulée Nous ne mangeons pas de viande pour ne pas tuer d'animaux. Chacun-e écrivait un texte dont le sujet avait été défini collectivement, le donnant à lire ensuite aux autres qui lui renvoyaient des critiques ou des remarques, jusqu'à ce que tout le monde soit à peu près satisfait du résultat. Ce processus a duré environ un an. Il a été extrêmement fructueux : nous avons vraiment commencé à dégager de nombreux points essentiels sur cette question, à creuser nos argumentaires et ceux de nos "adversaires", à initier la critique de l'idée de nature et plusieurs autres analyses de fond. C'est vraiment une méthode de travail que je recommande, sur quelque sujet que ce soit !

Cette brochure a-t-elle eu du succès ?

Inespéré ! En quelques années, elle a été diffusée en plus de deux mille exemplaires, uniquement par des circuits de distribution alternative. Nous recevions chaque jour pas loin d'une dizaine de lettres (c'était avant Internet) auxquelles nous passions des heures à répondre, peaufinant ainsi notre argumentaire, accroissant nos connaissances du sujet. Puis nous avons découvert les argumentaires de philosophie morale, notamment le livre La Libération animale de Peter Singer. Le mot ''spécisme'' nous est alors apparu comme le mot-clé pour continuer ce que nous avions entrepris. C'était la naissance du mouvement "antispéciste" en France, qui allait développer de nombreuses analyses théoriques, éthiques et politiques, et qui allait se développer dans un premier temps dans les milieux libertaires, puis, quasiment à notre insu, dans les milieux végétariens et animalistes traditionnels. Aujourd'hui, les personnes actives viennent de milieux beaucoup plus divers qu’il y a dix ans. Avec Internet, beaucoup d'organisations d'événements se font maintenant en réseau, de façon plutôt libertaire, ouvertes à tou-te-s. Mais il devrait bientôt aussi se créer une organisation "nationale" structurée, capable de lancer des campagnes sur la durée, tout en gardant une optique éthique et abolitionniste claire.

Voilà donc quinze ans que tu milites dans ce domaine...

Oui, et je trouve cela toujours passionnant ! La philosophie antispéciste entraîne des renversements de perspective ahurissants. Elle ouvre de nouveaux horizons de réflexion dans tous les domaines. C'est une lutte qui me paraît d'extrême urgence, du fait du nombre incroyable de victimes et des souffrances inimaginables qu'elles endurent. Mais il y a aussi d'autres combats qui m'intéressent, comme la lutte contre la domination des adultes sur les enfants10 ou la lutte contre l'impérialisme français en Afrique (la Françafrique)11, qui toutes deux me semblent extrêmement importantes, même si je n'y consacre pas autant de temps que l'antispécisme.

Quels sites Internet conseillerais-tu pour découvrir l'antispécisme ?

- Le site des cahiers antispécistes : http://cahiers-antispecistes.org
- un site pédagogique sur l'antispécisme : http://antoine.comiti.free.fr/specisme
- un site sur les droits des animaux : http://www.dudroitanimal.fr.st
- un site spécifiquement antispéciste : http://antispesite.free.fr
- et enfin un site sur le véganisme : http://www.vegantekno.org

=== PARTIE 2 : L'antispécisme face à ses objections


Le discours antispéciste remet en cause la consommation des animaux. Cela déclenche parfois des réactions épidermiques, non ?

C'est le moins qu'on puisse dire... Les antispécistes, tout comme les végétarien-ne-s, sont souvent l'objet de moqueries, d'agressions verbales, d'incompréhensions, de pressions, etc.

Justement, nous avons recensé une dizaine d'objections parmi les plus courantes. Serais-tu prêt à y répondre ?

Je veux bien essayer. Face aux lieux communs du spécisme, je crois que la meilleure façon est d'argumenter tranquillement, sur le terrain de la logique et de la rationalité, en cherchant à comprendre ce que défendent nos interlocuteurs, quelle vision du monde est sous-tendue par leurs arguments. Par expérience, je constate qu'une discussion argumentée peut avoir un impact très important. La plupart des gens pensent que l'antispécisme est de la ''sensiblerie'' totalement irrationnelle. Quand ils réalisent la justesse des arguments antispécistes, certains ressentent un véritable ''choc''. Ils doivent reconsidérer beaucoup de ces évidences qu'on apprend dès l'enfance à ne plus questionner. C'est à la fois déstabilisant et extrêmement enrichissant. Mais les conséquences ne sont pas toujours faciles à vivre : d'une part pour mettre en pratique ses nouvelles idées (végétarisme, véganisme, etc.), d'autre part pour ne pas se laisser submerger par la tristesse, la colère, l'effroi, devant l'immensité et l'intensité de la réalité quotidienne du carnage. Une personne qui considère sérieusement les intérêts des autres animaux ressent vite la rue, avec ses étals de bouchers ou de poissonniers, mais aussi les frigos ou les estomacs de son entourage, comme autant de cimetières et de charniers. Il faut apprendre à se ''blinder'' émotionnellement…

Débutons par une première objection que les végétarien-ne-s entendent couramment : « Les loups mangent les brebis, les lions mangent les gazelles, l'homme mange de la viande. C'est la Nature ! »

Un grand classique ! Précisons d'ailleurs que le stéréotype des lions qui mangent les gazelles est très patriarcal. En fait, ce sont en général les lionnes qui chassent ! Fermons la parenthèse... Justifier notre consommation de viande par le fait que les animaux se mangent entre eux est un argument dangereux. Nous pourrions très bien utiliser ce même argument pour justifier le meutre, le viol, les guerres, la loi du plus fort, la domination des hommes sur les femmes, etc. De manière générale, je me méfie fortement des arguments faisant appel au concept de ''nature''. Plus exactement, je me méfie énormément de la croyance selon laquelle il existerait un ''ordre naturel'' qu'il faudrait respecter et qui nous dicterait nos comportements. Les animaux feraient partie de cet ordre, une "partie intégrante de la nature" dont la fonction serait de manger ou être mangés. Ce serait donc leur rôle ''naturel'', leur ''finalité'' que de figurer en bonne place dans nos assiettes. Ce respect de la ''nature'', ou plutôt de la ''prédation'', conduit à ne prendre en compte que les intérêts du plus fort, ceux de la victime passant totalement à l'as. Bien évidemment, les humains s'identifient presque toujours aux prédateurs, non aux proies. A mes yeux, le respect de la ''nature'' est une manifestation particulière du respect – omniprésent – de la loi du plus fort. Ce respect des ''équilibres'', des traditions et des hiérarchies est dans la droite lignée des mystiques d'extrême-droite. Sur ce plan-là, des affinités profondes unissent les pensées humanistes ou naturalistes, qu'elles soient de droite, de gauche ou écologistes. Parce qu'il porte sur des êtres infiniment méprisés, le discours sur la ''nature'' exprime sans gêne ce que presque plus personne n'oserait exprimer crûment et à voix haute concernant des humains - mais ce que chacune pourtant pense (très fort) tout bas : la toute puissance de la hiérarchie, le respect du plus puissant, le mépris des faibles et des perdantes... La façon dont l'humanisme se représente la ''nature'' met ainsi à nu l'idéologie officieuse mais bien réelle d'une société fondée sur des dominations. Si, comme moi, on est profondément athée et respectueux de la logique, on ne croit pas qu'il existe un ordre (dans tous les sens du terme) qui nous servirait de modèle, qui serait à "respecter".12 Je souhaite simplement que les intérêts fondamentaux de tout être sensible à souffrir le moins possible et vivre une vie la plus heureuse possible soient pris en compte. Que pouvons-nous faire, nous, humains, pour qu'il en soit ainsi ?

Objection n°2 : « Les antispécistes forcent leurs chats à devenir végétariens. C'est contre la nature et la volonté des chats. C'est aussi absurde que d'empêcher un loup de manger des moutons. »

Nourrir un chat ou un chien sans viande n'est certainement pas "naturel", mais les nourrir tout court n'est pas ''naturel''. Le chat et le chien ne sont pas eux-mêmes "naturels", ils ont été créés par les humains à partir d'espèces sauvages. Les humains les ont tellement modifié qu'on ne sait même pas exactement de quelles espèces ils proviennent. Bien qu'il en soit proche, il n'est pas sûr que le chat domestique descende directement du chat sauvage d'Europe, ni que le chien provienne du loup. Leurs habitudes et leur physiologie ont changé dans une direction voulue par les humains, selon les intérêts des humains, sans se demander si cette évolution respectait leur ''nature". Beaucoup d'humains trouvent scandaleux de nourrir les chats sans viande. Mais ils ne se posent pas la question de savoir s'il est ''naturel'' de sélectionner des ''animaux de boucherie'' pour leur rendement, de les parquer des mois ou des années durant dans des espaces où ils peuvent à peine bouger, où ils reçoivent une nourriture on ne peut moins "naturelle", pour finir leur carrière dans des boîtes pour autres animaux, dits "familiers", dont les ancêtres sauvages n'auraient jamais songé à se nourrir de boeuf ou de poisson. Pour donner un autre exemple de l'ineptie des références au ''naturel'', rappelons que les poules sauvages pondent 6 ou 7 œufs par an, tandis que leurs lointaines descendantes, les poules en batterie, en pondent plus de 300... Si les humains avaient eu intérêt à nourrir les chiens et les chats sans viande, cela fait belle lurette que cela serait fait, tout comme, pour des motifs purement économiques les poules en batterie sont nourries sans vers de terre, alors que leurs ancêtres en mangeaient dans la ''nature". Et on ne se soucie pas de savoir si cela est "contre nature", mais seulement si le rendement n'en est pas affecté. Bref, la question de savoir s'il est ''naturel'' ou non de nourrir les chats sans viande ne m'intéresse pas plus que de savoir s'il est ''naturel'' ou non de lui faire faire ses besoins dans une caisse avec du gravier. Ce qui m'importe est de savoir si un chat ou un chien peut être en bonne santé et heureux sans viande ; et ceci en gardant à l'esprit que les animaux qui servent à faire la viande, eux, n'ont pas cette chance qu'on se préoccupe de leur bonheur et de leur santé, du moment qu'ils arrivent vivants aux portes de l'abattoir.13

Objection n°3 : « Certes, l'élevage intensif est scandaleux. Mais quand l'animal est bien traité, élevé en plein air, nourri en bio : c'est du local, c'est écologique ! Dans ces conditions, pourquoi ne pas manger de la viande ? L'animal a passé une vie heureuse, non ? »

Hélas, il ne faut pas se faire d'illusions sur les élevages ''en plein air" ni sur les élevages ''bios". Les poules pondeuses y sont également soumises à des conditions concentrationnaires, même si moindres que dans les élevages "standard". Les poussins mâles sont également éliminés. Les poules peuvent également avoir leur bec "épointé" au fer rouge pour éviter qu'elles ne s'entretuent. Elles vont à l'abattoir comme les autres lorsqu'elles ne sont plus rentables (les chartes d'agriculture bio ne spécifient même pas des durées maximales de transport des bêtes). Mais même si ce n'était pas le cas, au nom de quel droit moral pouvons-nous tuer un animal pour simplement le manger ? Si nous mettons en balance ses intérêts vitaux et les nôtres, qui ne consistent que dans le fait d'avoir un bon goût dans la bouche, le choix est vite fait, non ? A moins d'un mépris forcené de ce que vivent, ressentent et désirent les animaux... C'est justement ce qu'on appelle le spécisme. Les gens qui mangent souvent de la viande conviennent généralement que ce n'est ''pas bien" de faire souffrir les animaux, que les élevages industriels modernes sont abominables et devraient être abolis. Mais ils conviennent de cela pour mieux défendre l'idée qu'il n'y a "pas de mal" à faire tuer des animaux pour les manger si c'est fait "à l'ancienne", ou "avec respect"... J'ai analysé ailleurs ce que signifie cette notion de respect14 et je vous invite à y jeter un coup d'oeil. Il faut savoir que les conditions d'élevage et de mise à mort "dans l'ancien temps" étaient absolument atroces. Pire, comme actuellement encore dans de nombreuses autres civilisations, on considérait que les souffrances endurées par les animaux pendant leur agonie rendaient la viande meilleure. Mais je ferme la parenthèse et reviens à ce que je voulais dire. Actuellement, il y a manifestement une volonté de sauvegarder l'essentiel du spécisme : le fait de tuer un animal uniquement pour en consommer la chair. Alors que dans le cas des humains, on considère que leur vie est sacrée au point de préférer qu'ils subissent une longue agonie et des souffrances terribles plutôt que d'accepter l'idée qu'on puisse mettre fin à leurs jours, dans le cas des animaux cela semble être absolument l'inverse : il ne faut pas qu'ils souffrent (dit-on en dénonçant les élevages productivistes, sans généralement même cesser de consommer des chairs qui en proviennent), mais il faudrait continuer à considérer que leur vie offre tellement peu d'importance que nous pouvons la mettre en balance avec cet intérêt dérisoire que nous avons à la consommer. Il me semble que la pratique de la consommation de viande, ainsi, signifie très précisément que nous avons les plus exorbitants des droits sur les autres animaux : nous pouvons détruire tout ce qu'il sont, leur vie, alors que nous pourrions tout aussi bien ne pas les manger. C'est cette signification là que les gens tentent de sauver.15

Objection n°4 : « L'antispécisme n'est pas une lutte prioritaire, occupons-nous d'abord de la discrimination et de la souffrance des êtres humains. »

Qu'est-ce qui nous permet de considérer que ce sont les intérêts des humains, tous les intérêts de tous les humains, qui doivent être prioritaires ? Pourquoi les intérêts des poules en batterie devraient-ils être considérés comme moins importants que ceux, par exemple, des riverains d'un aéroport en lutte contre son extension, ou bien encore des salariés de telle entreprise qui veulent une augmentation de salaire ? Le nombre des animaux qui sont immédiatement victimes de nos pratiques alimentaires est pourtant infiniment supérieur, et les souffrances qu'ils endurent sont sans commune mesure, non ? Serait-ce parce qu'ils ne sont pas humains ? Mais en quoi l'appartenance à une espèce commune constituerait-elle un argument plus fondé que l'appartenance à une même race ou un même sexe ? Quel lien logique ce critère entretient-il avec la question qui nous occupe ? Ce n'est ni l'appartenance à un même groupe, ni la consanguinité qui peut fonder la sphère de préoccupation de l'éthique. La réponse au problème : "comment vais-je (ou non) prendre en compte les intérêts d'autrui" doit tenir compte des caractéristiques réelles de cet "autrui" : s'il est sensible, s'il a des projets, s'il a des relations sociales, etc. Le fait d'être "humain", par exemple, ne nous renseigne pas automatiquement sur ces caractéristiques. Par exemple, un foetus ou un humain en coma dépassé ne sont pas sensibles. On peut bien leur faire ce qu'on veut, ça n'ira à l'encontre d'aucun désir, ça ne créera aucune souffrance (pour eux-mêmes, en tout cas). En soi, ce ne peut pas être parce que nous faisons partie d'un même groupe que nous devons nous soucier les uns des autres. Certes, c'est ainsi que les humains ont majoritairement "fonctionné" au cours de l'histoire. Mais ils ont su progressivement élargir la sphère de la préoccupation morale, de leur clan à leur nation, de leur "race" à l'humanité entière. Les arguments n'étaient pas toujours très rationnels, puisqu'il s'agissait généralement simplement de changer les appartenances considérées comme fondamentales : on passait ainsi de la localité à la nationalité, de la "race blanche" à l'humanité, etc. L'antispécisme lutte pour que nous cessions de raisonner en termes de "groupes", mais au contraire pour nous attacher à la réalité de chaque être sensible : ce qu'il ressent, ce à quoi il aspire, etc. Notons que d'autres critères sont souvent invoqués, plus précis qu'une simple appartenance à notre espèce (argument que les philosophes ont aujourd'hui abandonné, le considérant effectivement intenable) pour justifier que les humains aient des droits, et non les animaux. Ce sont généralement les critères d'intelligence, de raison, de conscience de soi, de pensée abstraite ou réflexive, le fait de se projeter dans l'avenir et de nouer des relations sociales, toutes caractéristiques censées définir un "propre de l'Homme". Pourtant, nous savons depuis au moins Darwin que ce qui nous différencie des autres animaux ne se joue pas en termes de tout ou rien : il existe d'infinies gradations dans la réalité animale en terme d'intelligence, de conscience de soi, de pensée abstraite, etc. Par ailleurs, plus fondamentalement, pourquoi faudrait-il privilégier la prise en compte des intérêts des animaux les plus intelligents, les plus raisonnables, les plus aptes à se projeter dans l'avenir ? Utilisons-nous ce genre de critères pour discriminer les humains ? Cela paraîtrait ignoble à la quasi-totalité d'entre nous de faire des expériences sur des handicapés mentaux profonds, ou des personnes séniles ou des nourrissons, au prétexte qu'ils sont "moins intelligents". Nous avons donc deux morales différentes : une morale qui se veut égalitariste, s'appliquant aux relations des humains entre eux, et une morale hiérarchiste, élitiste, violemment discriminatrice, concernant nos rapports aux autres animaux. L'Histoire a montré d'ailleurs combien l'existence de cette seconde morale, hiérarchiste, a pu se révéler dangereuse pour de nombreuses catégories d'humains... Il suffisait de déplacer légèrement la "barrière" de l'humanité pour qu'on s'autorise à traiter des humains sans plus aucun souci de leurs intérêts personnels.

Objection n°5 : « En accordant autant d'importance aux animaux qu'aux êtres humains, vous rabaissez la dignité humaine. Vous êtes anti-humanistes. »

Oui et non. Je parle ici de ma propre position, parce que de nombreux antispécistes ne sont pas de mon avis et se considèrent dans la droite ligne de l'humanisme, l'antispécisme étant à leurs yeux son aboutissement logique. Ce n'est pas mon cas. L'humanisme, c'est le fait de placer "l'humain" comme valeur suprême. Ce n'est rien d'autre que le spécisme. Ce n'est que récemment dans l'histoire humaine que l'idéologie humaniste semble être devenue de plus en plus égalitaire. Au XVIIème siècle, l'humanisme, c'était l'égalité des hommes de sexe masculin, blancs, adultes et riches... C'était le patriarcat, l'esclavage, la colonisation. Il y avait d'un côté les "pleinement humains", qui se percevaient comme libres, égaux, ayant émergé de la "nature" car détenteurs de la "raison" ; et de l'autre les "non-humains" ou "sous-humains", perçus comme "immergés dans la nature", comme n'ayant pas de liberté, comme étant tout au plus "intuitifs", et ne pouvant donc prétendre à des droits. Quant aux femmes, elles étaient tout entières liées à leur sexe : leur biologie les consacrait à la reproduction et au maintien du foyer. Les humanistes prétendaient également que les Noirs n'étaient que des corps robustes et n'avaient point de tête, ce qui justifiait leur esclavage ou la colonisation. Ce n'est que très progressivement que ces catégories dominées ont pu accéder à une égalité formelle, à travers des luttes intenses pour renverser les valeurs dominantes de l'humanisme. Mais l'humanisme considère toujours les animaux comme des "êtres de nature", prisonniers de leurs instincts, spécimens indifférenciés de leur espèce, fonctions dans les écosystèmes, tout comme les femmes ou les noirs il y a quelques siècles. On ne considère que très rarement les animaux comme des individus sensibles, ayant, comme tout humain, des intérêts propres qui sont tout ce qui fait l'objet de leur vie.16 Je précise que mon discours ne vise pas à "rabaisser" la dignité humaine. Bien plus fondamentalement, il s'agit de ne plus raisonner en terme de dignité humaine du tout, de se passer de cette idée, et de se référer par contre à la notion d'égalité. L'idée d'égalité animale non seulement n'affaiblit pas celle d'égalité humaine, mais au contraire la fonde de façon plus solide : nous voulons que les intérêts de tout être sensible soient pris en compte !

Objection n°6 : « Les antispécistes sont dangereux. Pour eux, il n'y a aucune différence entre tuer un animal et tuer un handicapé. C'est ce qu'affirme Peter Singer, philosophe de la libération animale. »

C'est ce raccourci qui est dangereux ! Sous ce prétexte, un petit groupe d'antispécistes dont moi-même avons bien failli nous faire lyncher par des "antifascistes" allemands lors d'une rencontre mondiale des luttes que nous avions contribué à organiser (les rencontres Intergalactiques, en Espagne, en 1997).17 Pourtant, de nombreux antispécistes sont partisans de la théorie des droits, qui octroie des droits fondamentaux aux animaux comme aux humains, dont bien sûr le droit à ne pas être tué.18 Pour cette raison, des antispécistes prennent position contre l'euthanasie, et même, parfois, contre le suicide. Mais d'autres antispécistes, dont moi-même, ont effectivement pris position en faveur de l'euthanasie, y compris dans le cas d'humains qui ne peuvent pas donner leur consentement, comme certains nourrissons ou certains handicapés mentaux profonds, ou bien encore de personnes séniles en fin de vie, dans certaines situations précises de souffrances importantes et non curables. J'ai une expérience personnelle de l'euthanasie. Je l'ai moi-même fait pratiquer sur un être que j'aimais. Il s'agissait d'une chatte, et je n'avais donc pas son accord pour cela. Si j'ai mal agi, je crois que c'est de ne l'avoir pas fait tuer plus tôt, de ne pas lui avoir épargné plusieurs jours de souffrance. J'ai eu du mal à admettre le verdict des vétérinaires, j'ai eu du mal enfin à soulever le combiné pour appeler le vétérinaire d'urgence. Quand j'entends certains ''antifascistes'' affirmer que l'euthanasie = nazisme, je me dis que je fais face à des androïdes idéologiques monoprogrammés, totalement étrangers dans leur dure certitude aux aspects les plus basiques de la vie réelle. Dans certains cas, l'euthanasie est un geste juste pour un animal non humain, c'est un geste pour son bien. Pourquoi ce geste ne serait-il jamais juste pour un-e humain-e ? On pratique l'euthanasie sur les non-humains sans leur demander leur avis, parce qu'ils sont incapables de le donner. Dans bien des cas, un-e humain-e n'en est pas capable non plus. Par quel miracle, dans les mêmes circonstances - l'absence de perspective raisonnable de vie un minimum heureuse, l'absence de possibilité de consulter l'intéressé-e - l'appartenance à l'espèce humaine transformerait-elle ce qui est un bien pour les uns en un mal pour les autres ? Tout autant que je suis convaincu que tuer ma chatte était un bien pour elle, je pense que dans un certain nombre de cas tuer un-e nouveau-né-e humain-e est un bien pour elle ou lui. Que la décision soit difficile à prendre, qu'il soit difficile de dégager des critères précis pour la prendre, de savoir qui doit la prendre, selon quelle procédure, qu'il soit difficile d'établir des garanties contre tout abus, je le conçois tout à fait. Cela implique, je le crois, non de fuir le problème, mais, tout au contraire, d'en débattre, le plus largement possible, de manière à établir la plus grande transparence possible. La vérité est que les humain-e-s auxquel-le-s on refuse la mort alors que ce serait dans leur intérêt sont également victimes du spécisme. Ils et elles doivent souffrir jusqu'au bout, au nom, non de leur bien, mais de l'intangibilité de l'« humanité » dont chacun-e d'entre nous est censé-e être le ou la représentant-e. L'Église Catholique le dit très clairement : c'est au nom, non des intérêts de l'individu-e, mais de la « dignité » de l'« homme » - notion tout à fait indifférente au/à la nouveau-né-e qui souffre - que l'euthanasie doit être interdite.19

Objection n°7 : « Manger de la viande n'est pas la seule source de souffrance animale. Par exemple, une moissonneuse qui récolte du blé tue de nombreux petits mammifères (souris, mulots...). Faut-il arrêter de manger du pain ? Dès qu'on marche sur le sol, on écrase des insectes. Faut-il arrêter de marcher ? Il est impossible de vivre sans faire souffrir des êtres vivants. »

A l'heure actuelle, on ne voit effectivement pas comment nous pourrions vivre sans causer de multiples souffrances autour de nous. Une raison importante en est que notre société ne s'est jamais souciée de ces malheurs qu'elle semait à la volée. Elle ne s'est donc jamais donnée pour tâche de chercher à les réduire ou les éviter. Il y a des cas où l'on ne voit pas bien ce qui serait possible. C'est d'ailleurs une raison de plus pour continuer à y réfléchir. Il y en a d'autres où des solutions simples, même imparfaites, seraient applicables immédiatement pour peu qu'on veuille bien les considérer autrement que comme de la sensiblerie ridicule. Ainsi de l'exemple de la moissonneuse qui récolte le blé : si elle partait du centre du champ pour moissonner en cercles concentriques qui iraient s'élargissant (centrifuges), elle laisserait à un plus grand nombre d'animaux le temps de fuir le danger. Mais encore faudrait-il que les agriculteurs (et notre société tout entière) ne se réjouissent pas du grand nombre de mulots déchiquetés, et aient au contraire à coeur de trouver d'autres solutions pour réduire les nuisances que les rongeurs causent dans les cultures. A l'heure actuelle, ils ne peuvent que considérer ce genre de proposition comme provenant d'un parfait illuminé. On voit ici combien c'est l'esprit même de notre civilisation que nous voulons révolutionner, et que les changements que nous espérons concernent tous les domaines où nous nuisons aux autres... Vaste tâche !

Objection n°8 : « L'alimentation végétalienne n'est pas viable, les carences sont trop importantes. »

L'unique difficulté d'une alimentation végétalienne est d'ordre psychologique, culturel et social. Nous n'avons pas l'habitude de cuisiner sans viandes, poissons, oeufs et laitages. Cette pratique suscite en outre la réprobation ou l'inquiétude de notre entourage qui pense souvent qu'une personne est végétarienne parce qu'elle est rentrée dans une secte. C'est en soi une lutte que de faire accepter ce régime alimentaire, non seulement comme "normal", mais même comme moralement nécessaire ! Certes, au niveau physiologique, une alimentation sans sous-produits animaux risque d'être carencée en vitamine B12, une vitamine importante pour le système nerveux et le système sanguin. Il faut donc faire attention à prendre cette vitamine issue de cultures de levures, qu'on trouve facilement soit dans divers produits supplémentés (les corn-flakes, par exemple) dans n'importe quel magasin, soit en ampoules buvables ou en comprimés, dans les pharmacies et autres. Cela n'offre aucune difficulté pratique. Mais, psychologiquement, beaucoup de gens ont alors l'impression d'une alimentation "non naturelle", parce qu'il faut "supplémenter". Or notre nourriture en général est faite de "suppléments" : par exemple, le sel, les épices, le sucre, etc. Mais parce qu'ils font depuis des lustres partie intégrante de notre culture, nous n'avons pas l'impression que c'est "artificiel". Plus nous serons nombreux à prendre de la B12 issue de cultures de levures et à revendiquer ce fait comme banal, plus vite cela apparaîtra dans notre culture alimentaire comme "naturel"...

Objection n°9 : « Vous projetez sur les animaux les schémas de souffrance des êtres humains. C'est une erreur, vous faites preuve d'anthropocentrisme. »

Cette objection émane elle-même d'humains, et les animaux non humains ne se posent pas non plus ce genre de question... Mais en quoi est-ce important ? Devrions-nous pour cette raison abolir par exemple la physique ou l'écologie, réflexions conçues par des humains mais dont l'objet porte sur autre chose que les humains, sur des réalités qui ont une existence indépendante de nous ? L'éthique est une création humaine, sans doute, mais elle exerce ce décentrement nécessaire qui nous permet de prendre en compte les désirs d'autrui, qu'il soit humain ou non. Faire preuve d'éthique, c'est se projeter dans un autre comme si c'était nous-même. Cette démarche entraîne des erreurs, bien sûr, mais on peut aussi s'en apercevoir et les corriger si l'on est attentif à cette réalité indépendante de nous. Les plaisirs et les souffrances sont des réalités, qu'il faut prendre comme telles, qu'elles soient indépendantes de nous ou non, que ce soit moi ou quelqu'un d'autre qui les éprouve. Cette prise en compte de façon égale, c'est ce que j'appelle l'égalitarisme radical. C'est un égalitarisme qui ne s'arrête pas à des frontières arbitraires, mais qui tient pour d'égale importance des ressentis similaires. C'est un égalitarisme qui cherche à accorder autant d'importance à ce que peuvent vivre les uns et les autres, indépendamment de qui ils sont. Peser les intérêts des uns et des autres sur une même balance, avec les mêmes poids, de façon égale. A l'heure actuelle, nous savons très peu de choses de la multitude des mondes subjectifs qui nous entoure. Notamment, nous ne savons pas toujours précisément déterminer ce qui cause de la souffrance et ce qui cause du bien-être chez un animal, c'est pourquoi nous devons éviter de projeter à tort et à travers nos propres réalités sur celles des autres. Mais rien n'interdit de penser que nous arriverons à affiner notre connaissance de tous ces mondes sensibles qui aujourd'hui encore nous restent plus étrangers que la lune ou la planète mars !

Objection n°10 : « Les biens de consommation sont produits par des êtres humains qui bien souvent souffrent physiquement (accidents de travail, rhumatismes...) et psychiquement (dépressions, lassitude, surmenage...). Faut-il arrêter de consommer ? »

La question se pose d'une façon similaire à celle de la consommation de sous-produits animaux, même si les souffrances humaines en question sont sans doute bien moindres ou en tout cas plus diluées... La question se pose de façon similaire : je veux dire que, s'il est effectivement important d'éviter dans la mesure du possible de cautionner économiquement, par nos actes d'achat, les divers types d'exploitation, il est bien plus important encore de lutter pour que ce soit la société dans son ensemble qui décide, explicitement, pour des raisons éthiques, de refuser ces produits, et, mieux encore, ces types d'exploitation. Agir en tant que consommateur, c'est bien, mais c'est limité. Si nous en restons là, ça ne sert pas à grand chose, ça sert surtout à se donner bonne conscience. Si les biens de consommation en question continuent à être vendus, qu'importe que ce soit moi ou mon voisin qui les achète ? L'important, c'est qu'on cesse de les vendre, donc de les produire. Et ce n'est pas simplement en tant que consommateur, mais bien en tant qu'acteur politique qu'on doit intervenir dans la vie sociale. Le boycott aussi élargi que possible de la consommation de viande est une très bonne idée, mais il est quasiment inutile s'il n'est pas le tremplin vers une action politique, culturelle et sociale visant à changer les rapports de production.

Objection n°11 : « Faut-il bannir toute alimentation produite par des animaux ? Par exemple, ne peut-on pas récolter du miel sans produire de souffrance ? »

Vous soulevez là une polémique parmi les antispécistes. Pour ma part, je n'aurais rien contre le fait d'avoir des poules et de consommer leurs oeufs, à condition que les poussins mâles n'aient pas été exterminés, à condition qu'elles soient bien traitées, soignées, protégées, qu'elles puissent vaquer à leurs occupations favorites et qu'elles ne soient pas tuées par la suite. Bref, je ne suis pas contre la "domestication" si elle s'avère aussi profitable aux animaux. Je suis simplement contre les pratiques qui vont à l'encontre de leurs intérêts, qui leur causent des souffrances. Dans la réalité, comme il n'existe pas de poulaillers où les poules sont bien traitées, je ne consomme pas d'oeufs. D'autres antispécistes considèrent que dans une société aussi fondamentalement spéciste que la nôtre, dès que nous allons développer des relations avec des animaux nous allons exercer un pouvoir sur eux qui ne tiendra pas compte, ou mal compte, de leurs intérêts réels ; et que nous devrions donc plutôt les laisser se débrouiller tout seuls. Le problème du miel constitue un bon exemple des problèmes complexes qui se posent quand on tente de penser ses rapports aux animaux : nous ne savons même pas si les insectes sont sensibles ou non ! Il est difficile d'évaluer l'éventuelle souffrance que pourraient ressentir les abeilles lors de l'enlèvement du miel ou par le fait de devoir se nourrir à la place de sirop de sucre. Certains cas semblent très clairs, comme pour le miel qui provient d'Australie ou de Nouvelle-Zélande : si mes informations sont exactes, les exploitations peuvent compter des milliers de ruches, qui sont brûlées en hiver parce que cela revient moins cher de les renouveler que de les entretenir. Pour ma part, dans le doute, je m'abstiens de consommer du miel, comme je m'abstiens pour les mêmes raisons de manger des moules, des bigorneaux, des huîtres, des escargots, des insectes, des crustacés.

Terminons cet entretien par une dernière question. Quand une personne végétalienne mange avec d'autres personnes non-végétaliennes (repas de famille, dîner à l'étranger, etc.), cela crée parfois des tensions. Les personnes se sentent blessées parce qu'on ne fait pas honneur à leur repas. D'autres se sentent agressées, elles ont l'impression d'être perçues comme des assassins parce qu'elles mangent de la viande. Du coup, cela crée des blocages. Personnellement, comment fais-tu pour allier convivialité et végétalisme ?

D’abord j'essaye de prévenir à l'avance, surtout si je suis invité. J’explique simplement que je ne mange ni viandes ni poissons, ni oeufs ni laitages. Si cela pose un problème pour les personnes qui font le repas, je propose de faire un petit quelque chose à grignoter moi-même sur place. Lorsque la discussion s'engage, ce qui ne manque pas d'arriver (si cela n'arrivait pas, ce serait moi qui la déclencherais !), je réponds tranquillement aux questions, en étant le plus clair possible : oui, je considère le fait de manger les animaux comme absolument immoral et criminel, meurtrier en tout cas ; non, je ne considère pas mes convives "comme des assassins", je m'attache à juger les actes, non les individus. De manière générale, j'essaye d’entamer une discussion qui soit la plus exempte possible d'affectivité de ma part et de désamorcer les émotions des interlocuteurs/trices en engageant la discussion sur la question théorique de la justesse ou non du spécisme, et, en conséquence, de la consommation de chairs. L'intérêt de la discussion théorique est multiple : d'une part, très vite, les gens oublient que c'est leur consommation de chairs qui est mise en cause, pour se prendre au jeu d'une réflexion qui est nouvelle pour eux ; ils abattent toute une batterie d'arguments, mais qui sont quasiment toujours les mêmes, et auxquels il est relativement facile de répondre. Lorsque au bout d'un moment ils sont bien forcés d'admettre que leur point de vue est indéfendable, il suffit de les laisser mijoter pour qu'ils en tirent les conséquences...

NOTES

[1] L'Alliance Végétarienne est une association de promotion du végétarisme (cf. http://www.vegetarisme.fr).

[2] Voir notamment sur http://animauzine.net/article.php3?id_article=156

[3] Voir sur http://www.veggiepride.org

[4] Voir sur http://question-animale.org

[5] Voir sur http://www.stopgavage.com

[6] Extrait du manifeste de la campagne : « Parce que la production de viande implique de tuer les animaux que l'on mange, parce que nombre d'entre eux souffrent de leurs conditions de vie et de mise à mort, parce que la consommation de viande n'est pas une nécessité (une alimentation saine sans chair animale étant ou pouvant être disponible en quantité suffisante), parce que les êtres sensibles ne doivent pas être maltraités ou tués sans nécessité, l'élevage, la pêche et la chasse des animaux pour leur chair, ainsi que l'importation, la vente et la consommation de chair animale, doivent être abolis. » (cf. http://abolitionblog.blogspot.com).

[7] Voir sur http://www.peta.org.

[8] Voir sur http://www.onevoice-ear.org/campagnes/grands_singes/great_ape_project.html.

[9] Notons qu'en Grande-Bretagne et en Espagne, et plus récemment au Brésil, se sont créées des structures antispécistes en réaction à l'absence de stratégie et d'argumentaires explicitement éthique et politique d’une grande partie des mouvements animalistes (cf. http://www.rightsforanimals.org, http://www.derechosparalosanimales.org/,  http://www.IgualdadAnimal.org, http://maqi.de, http://antispe.de, http://www.liberazioni.org).

[10] Lire notamment Pour l'abolition de l'enfance, Shulamith Firestone, tahin party, 2002 (http://www.tahin-party.org/firestone.html) et Insoumission à l’école obligatoire, Catherine Baker, tahin party, 2006 (http://www.tahin-party.org/xxx.html).

[11] Voir http://www.survie-france.org.

[12] Pour une critique générale de l'idée de nature, lire les textes Pour en finir avec l'idée de nature et renouer avec l'éthique et la politique (http://www.tahin-party.org), La prédation, symbole de la nature (http://www.cahiers-antispecistes.org), Qui va à la chasse garde sa place (http://www.cahiers-antispecistes.org).

[13] Cet argumentaire reprend celui du site "vegecat", supplément alimentaire pour les chats qui ne mangent pas de chair (http://www.vegechat.org/arguments.html).

[14] Texte Pour un monde sans respect, Yves Bonnardel (http://www.cahiers-antispecistes.org).

[15] Pour aller plus loin, lire le texte La consommation de viande en France. Contradictions actuelles, Yves Bonnardel (http://www.cahiers-antispecistes.org).

[16] Pour aller plus loin, lire les textes De l'appropriation... à l'idée de nature et Sale bête, sale nègre, sale gonzesse (http://www.cahiers-antispecistes.org).

[17] Lire le texte Agression à antifascisland (http://www.cahiers-antispecistes.org).

[18] Lire le texte Pour les droits des animaux (http://www.cahiers-antispecistes.org).

[19] Pour en savoir plus sur les cas envisagés et sur l'argumentaire éthique, lire le livre de Peter Singer, Questions d'éthique pratique, éditions Bayard, 1997.
Ecrit par libertad, à 10:21 dans la rubrique "Pour comprendre".



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