Les titreurs, rédacteurs et commentateurs de la planète « Médias » ne se sont pas embarrassés de précautions : ils ont déjà entériné la réforme [1].
Le 16 juin 2010, à 8h17, Le Parisien.fr le sait déjà : « Le gouvernement sonne la fin de la retraite à 60 ans. D’ici à 2018, l’âge légal de départ à la retraite sera porté à 62 ans » (16.06.2010, 8h17, mise à jour 11h05 – sous le titre « Retraites à 62 ans : les points clés de la réforme »).
À 8h26, Le Point.fr annonce (c’est le titre) : « Retraites - L’âge légal repoussé à 62 ans d’ici à 2018 » (publié le 16.06.2010 à 8h26, modifié le 16.06.2010) et confirme : « Fin du suspense. L’âge légal de la retraite sera porté à 62 ans en 2018 contre 60 ». Mais, tenant compte de la proposition de papotage du ministre, il ajoute, non sans contorsions : « [...] Les mesures annoncées par Éric Woerth ne sont toutefois pas définitives. »
« Jusqu’à dix heures nous allons commenter la fin de la retraite à 60 ans » annonce Nicolas Poincaré à 9h. sur France Info (édition spéciale, 16 juin 2010), et de relancer, quelques minutes plus tard, l’ « édition spéciale sur la fin de la retraite à 60 ans » (9h10, le 16 juin 2010).
Grillé par la concurrence ? Europe 1.fr à 8h36 savait déjà :
Car, voyez-vous, « c’est officiel ». C’est du moins ce que Le Monde, cette référence déontologique et démocratique que les Martiens nous envient, proclame (sous le titre… « Gauche et syndicats cherchent la réplique au plan rigoureux de réforme des retraites ») : « C’est officiel. La retraite à 60 ans, cet "acquis" du premier septennat de François Mitterrand, a vécu. La retraite à 62 ans sera effective pour (presque) tous en 2018. » (Le Monde du 16 juin en ligne, édition imprimée du 17).
Le Figaro lui aussi savait :
Pourtant, même si l’on peut espérer ou craindre que ce projet soit adopté par le Parlement, ce n’est qu’un projet et même un avant-projet tant qu’il n’a pas été adopté par le gouvernement.
… Et par présomption de démocratie (comme on parle de présomption d’innocence), les médias, qui se présentent comme les gardiens scrupuleux d’icelle aurait pu s’en souvenir. Mais ils se sont « résignés » à servir la soupe aux gouvernants…
Un jour plus tard, ces mêmes médias savaient déjà tout.
20 Minutes, avec un jour de retard :
« Tout pour comprendre la réforme des retraites », titrait dès 8h46 France Soir.fr qui précisait, tout en nuances : « La réforme des retraites suscite encore quelques interrogations : Qui va payer ? Et combien ? À quel âge partira-t-on à la retraite ? », etc.
Ou encore, Aujourd’hui en France :
Nos valeureux médias n’ont pas la puissance à laquelle ils prétendent et que, parfois, on leur attribue. Mais, suivant leur exemple, nous aussi nous avons opté pour un titre « choc » destiné à souligner la fonction que, volontairement ou en toute inconscience (et parfois, malgré eux), ils remplissent, en l’occurrence : avaliser la communication du gouvernement et anticiper sur ce que celui-ci escompte. Ce journalisme d’anticipation n’a guère d’autre pouvoir qu’un pouvoir de légitimation dont les effets sont difficilement mesurables. Mais c’est déjà trop.
Henri Maler