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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Rendez-vous en Enfer à la Bibliothèque nationale (1)
LES LIVRES LICENCIEUX ONT TOUJOURS posé des soucis aux tenants du pouvoir comme aux bibliothécaires. Pour les premiers, garants de la morale publique, il était nécessaire d'effectuer des contrôles, censures, et même des autodafé. Qu'on en juge plutôt : « Je décidai que tout ce qui était enfermé dans le dépôt serait brûlé dans la cour de l'hôtel [...]. (opération fut consommée sans difficulté en trois heures de temps. » (Mémoires d'Etienne-Denis Pasquier, préfet de police en 1810).

Pour les seconds, la décision du Prince d'ouvrir les rayons deux jours par semaine à la curiosité des badauds posait un problème de convenance. Un règlement ne précisait-il pas qu'un « mauvais livre sur les moeurs et sur l'administration ne se communique pas » .

La mise à l'écart était nécessaire. Un catalogue supplémentaire fut mis en place sous la rubrique «ouvrages licencieux » et les ouvrages mis à part dans des armoires.

Mais, dans les années 1830, les livres imprimés publiés « sous le manteau », poursuivis ou condamnés seront rigoureusement séparés du reste des collections de la Bibliothèque royale. Ils seront regroupés sous une nouvelle section intitulée Enfer.

Le roman libertin en dévoilant quelques « dérèglements » se veut tout bonnement faire sonner la sottise car comme l'écrit Patrick Wald Lasowski(2), « Ils exhibent la coquille et donnent corps au désordre du monde, au tracas sexuel, à la bagarre du désir. Du subtil au solide, de la galanterie à l'obscénité, entre scènes sexuelles et plaidoyers matérialistes, les manoeuvres des roués, les mémoires des filles, les confessions impudiques, les fredaines du plaisir, les contes parodiques, les dialogues cyniques, les listes des postures, des goûts, des fantaisies s'entraînent et rivalisent. A travers eux, à travers ses héros déniaisés, le roman libertin initie le lecteur ».

Quelle belle façon libertaire d'appréhender le monde et les moeurs! Faudrait-il s'étonner alors de trouver parmi les exégètes du sujet des compagnons comme Louis Perceau, Pascal Pia, Ernest Armand, et aujourd'hui Jean-Pierre Bouyxou.


Louis Perceau vient de faire l'objet d'un remarquable livre sous la signature de Vincent Labaune: Louis Perceau le polygraphe 1883-1942 (3) Une somme d'informations sur l'activité militante de Perceau au journal La guerre sociale de Gustave Hervé et aussi à la CGT. Un militant engagé de tous les instants dont le nom figure parmi les signataires de cette fameuse « affiche rouge » collée sur les murs de Paris en octobre 1905 et qui invite les conscrits à tourner les fusils vers les gradés « soudards galonnés » plutôt que vers les grévistes. Perceau écopa de six mois ferme.

En parallèle Louis Perceau, autodidacte curieux, fréquente la Bibliothèque nationale où il rencontre Guillaume Apollinaire puis Fernand Fleuret. Ils signent tous les trois en 1913 une Icono-Bio-Bibliographie descriptive, critique et raisonnée, complète à ce jour de tous les ouvrages composant l'Enfer de la Bibliothèque nationale. « Une entreprise audacieuse et risquée en raison de l'impitoyable censure qui régit toute publication attentant aux bonnes moeurs(2) »

En 1930, Perceau signe seul une bibliographie du roman érotique du XIXe siècle.

Signalons enfin qu'il est l'auteur de La redoute des contrepèteries, ouvrage essentiel du genre.

Après la mort de Louis Perceau en 1942, le flambeau est repris par un autre libertaire fervent individualiste. Pascal Pia. (Pierre Durand).


Pascal Pia, issu d'un milieu modeste est un homme de l'ombre toujours prêt à accomplir les tâches ingrates mais nécessaires qui n'apportent aucune gloire. Appelé à être rédacteur en chef d'Alger Républicain, il embauche Camus. Le Mythe de Sisyphe lui est dédié. Pascal Pia est proche des positions d'Albert Thierry (1881-1915) et son « refus de parvenir ».

En 1923, sa réputation d'antimilitariste lui avait valu, lors de son passage sous les drapeaux, les honneurs « du Bat'd'Af » dans l'unité disciplinaire du 3e Zouave de Constantine.

Auteur d'un pastiche de Rimbaud et de livres érotiques Pia poursuivit le travail de Louis Perceau en faisant paraître en 1978 une nouvelle édition de l'Enfer.

Pour le plaisir, signalons l'impression en 1938 d'un pastiche sous la signature d'Aragon; Le Con d'Irène. Aragon n'a jamais reconnu ce livre qui est pourtant toujours édité sous son nom(4).


Jean-Pierre Bouyxou (5) est un contemporain. Il fréquente le mouvement anarchiste dans les mêmes années que Jean Rollin dont nous parlerons un peu plus loin. Il est l'auteur en 1967 d'un petit film de dix minutes en noir et blanc: L'Anarchie. Ce documentaire fut produit et diffusé par le groupe de Bordeaux de la Fédération anarchiste à l'occasion d'une exposition sur l'histoire du mouvement libertaire. Il a aujourd'hui disparu.

Dans les années 1970, Bouyxou tourne des films X comme Amours collectives (dans lequel il intervient physiquement et à poil) ou Entrez vite... vite, je mouille! mais son travail le plus important dans le domaine de l'érotisme, reste la parution de 1978 à 1986 de la revue Fascination.

Cette revue qui compte 30 numéros d'une cinquantaine de pages est quasiment faite par lui sous de multiples pseudonymes. Les articles écrits dans une écriture bandante couvrent toutes les époques et tous les sujets, du roman libertin à la poésie galante, du cinéma naturiste aux folies du music-hall, de la peinture frivole à la photographie polissonne, de la chanson grivoise au théâtre érotique.

Libertaire dans l'âme, Bouyxou n'oublie jamais de glisser dans ses livraisons quelques articles consacrés à des compagnons; Octave Mirbeau, Ernest Armand, Victor Margueritte ou Renée Dunan. Il ne se prive pas de quelques agréables vacheries comme L'Amour en soutane ou Le Bal des pompiers consacré à William Bouguereau.


Renée Dunan, que l'abbé Louis Bethléem dans son Romans à lire et Romans à proscrire(6) présente comme « promenant ses élucubrations dans divers organes défaitistes et maçonnisants et n'ayant donné comme romans que des ouvrages immondes » est née en 1892.

Elle fréquente Ernest Armand et les anars individualistes. Liée d'amitiés avec Fernand Fleuret, Pierre Mac Orlan, Victor Margueritte elle joua un rôle important lors du « procès » contre Barrès organisé par André Breton en 1921.

Auteure d'une cinquantaine de livres et de millier d'articles journalistiques, elle nous laisse quelques romans assez dévergondés. La Triple Caresse, LesVoluptés puritaines, Frissons voluptueux. Le plus connu et toujours réédité reste Les Caprices du sexe ou les audaces érotiques de mademoiselle Louise de B...4, écrit sous le pseudonyme de Louise Dormienne. Ce livre donna lieu à poursuites judiciaires.

Renée Dunan n'admet pas la soumission d'un sexe à l'autre. Les jeunes filles qu'elle nous montre sortent presque toujours victorieuses des combats qu'elles livrent à l'homme et, dans les pires compromissions, demeurent parfaitement saines.


Jean Rollin fréquente le Groupe Louise Michel de la Fédération anarchiste et sa signature est assez régulière dans les colonnes du Monde libertaire à la fin des années 1960. Il collabore également à la revue La Rue que dirige Maurice Joyeux. Le numéro 4 daté de 1969 renferme un petit article sur la Littérature érotique où jean Rollin pose déjà un des principes essentiels de son. engagement artistique: « Une oeuvre révolutionnaire l'est sur tous les plans, érotisme inclus» .

Passionné de cinéma depuis son plus jeune âge, Jean Rollin se frotte à la caméra et réalise une série de films fantastiques. La Vampire nue, Les Démoniaques, Lèvres de sang, Il participe avec un sens politique évident à l'émergence du cinéma érotique des années 1970. Le propos étant pour lui de faire jaillir du « contenu pornographique un potentiel de révolte » .

Son dernier film, Les Nuits des horloges date de cette année. Comme pour son précédent, La Nuit transfigurée, Ovidie(8) en est l'actrice principale.


Nous avons tenu à relever dans cet article un constant lien entre la pensée libertaire, ses militant(e)s et l'érotisme conçu comme un embellissement de la sexualité. Face à la morale bourgeoise fondée sur des rapports de domination, les intervenant(e)s libertaires ont cherché à donner une dimension collective à l'érotisme, à l'ouvrir à l'autre pour en faire un partage dans le plaisir. Les années 1970 ont été au firmament de cette expérience où femmes et hommes se sont retrouvés dans une approche libérée du corps et de l'image. Il me vient à l'esprit les grandes rencontres du Larzac ou ces fêtes du PSU où, les corps nus se voisinaient dans le respect et le bonheur.

En 2003, j'étais au rassemblement de la Confédération paysanne sur le Larzac. Sous un soleil de plomb, aucune nudité n'était visible. La jeunesse du XXIe siècle est revenue à cette approche individuelle de la sexualité que nous avions réussi à détruire. La pornographie sur DVD et les marchands capitalistes y trouvent leurs comptes.

Même dans la mouvance libertaire, des « Torquemada » de la morale individuelle et égoïste se font de plus en plus pressants et pressantes.

Comme nous le clamait Willem Reich il y à plus d'un demi siècle, la Révolution sexuelle reste à faire.

Jean Claude Richard

groupe Henry Poulaille de la Fédération anarchiste

 

1.- Exposition du 1er décembre au 2 mars « L'Enfer de la Bibliothèque: Eros au secret » à la Bibliothèque nationale quai François-Mauriac 75013 - Paris. Du mardi au samedi 10h-19h et dimanche 13h-19h.

2.- In l'ouvrage L'Enfer de la Bibliothèque, Éros au secret, page 38.

3.- In Louis Perceau, Le Polygraphe de Vincent Labaume, page 132.

4.- Livres en vente à la Librairie du Monde libertaire.

5.- Auteur avec Pierre Delannoy de L'Aventure hippie. (en vente à Publico).

6.- Une source d'amusements. Une sorte de livre de chevet que l'on ouvre dans les moments de cafard pour se remonter le moral et rire de la sottise du bonhomme.

7.- Interview par J. Rig et J.-P Bouyxou, revue (?), date (?).

8.- Son livre Porno manifesto est disponible à La Librairie du Monde libertaire

Le Monde libertaire #1501 du 24 janvier 2008

Ecrit par libertad, à 23:36 dans la rubrique "Culture".



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