Règlement de Compte à la CFTC
Le 2 juin 2006, Joseph Crespo entrait de manière fracassante dans l'Histoire du syndicalisme (catholique : Joseph dirige la fédé CFTC de la Métallurgie).
C'était son anniversaire.
Avec l'argent du syndicat, les camarades lui ont offert un (gros) gâteau.
D'où a jailli, comme une grenouille hors du bénitier, une jeune femme sans aucun vêtement (et qui n'était pas, Dieu nous en préserve, une encartée de la fédération chrétienne, mais une ressortissante allemande engagée pour l'occasion).
C'était le bon temps, avant que le scandale Gautier-Sauvagnac (Denis, qui va à la messe tous les dimanches, dirigeait la fédé Medef de la Métallurgie) n'éclate.
Lorsque l'UIMM, avec un touchant ensemble, avait balancé que sa caisse noire servait à financer des syndicats, on avait naturellement pensé à ceux de la métallurgie.
Et tout de suite à la CFTC.
Les regards s'étaient alors tourné vers Joseph Crespo, son beau gâteau (façon Cosa Nostra) et son syndicalisme de service (comme il le précise lui-même).
La semaine dernière, Joseph a tenté un come back médiatique.
C'était dans Bakchich.com, une interview en vidéo (toujours visible sur le site).
Et c'était pour dire que son syndicat de métallos (comme ceux des 4 autres : CGT, CFDT, FO et CGC) était financé à hauteur de 270 000 euros par an par l'UIMM (au titre de la formation syndicale, mais en réalité les patrons en donnaient largement plus que nécessaire).
Bien entendu, Joseph embrouille.
Ce pognon n'est pas celui du scandale.
C'est du pognon légal, remis par chèque.
Et non du cash par dessous la table.
C'est pourquoi le scoop de Bakchich a fait un flop.
La presse n'est pas tombée dans le panneau.
A part le Figaro (ce même journal avait à l'époque sorti l'affaire Gautier-Sauvagnac), personne n'en a parlé.
Car la presse s'intéresse surtout au fait divers de ce scandale (avec un Gautier-Sauvagnac riche et retors comme le loup de Tex Avery).
Le reste la fait bailler d'ennui.
Les organisations de défense des salariés sont financées en France par celle des employeurs?
Cela n'épate pas les analystes du Monde.
La CFDT, FO et la CGC perçoivent des subventions patronales?
Rien n'indiffère plus les enquêteurs de Libé.
La CGT reçoit du pognon de l'UIMM?
C'est précisément l'info dont L'Humanité se fout.
La presse ne s'intéresse qu'aux soupçons de corruption individuelle et de détournement de fonds.
C'est-à-dire à rien.
De ce point de vue, Joseph a été clair.
Il s'attend à une perquise, un de ces quatre, au siège de son syndicat, et ça le fait marrer d'avance.
Il est, dit-il, tranquille comme Baptiste, innocent comme l'agneau et blanc comme neige : on ne trouvera pas la fraiche.
(C'est bien la moindre des choses.)
Quant à la tracer, en comparant les rentrées et les sorties d'argent du syndicat, faut pas rêver.
Personne ne connait jamais le nombre d'adhérents des syndicats.
Les dirigeants eux-mêmes n'en ont qu'une vague idée.
On sait qu'il faut diviser le nombre officiel par 2, 3, ou 4 selon les cas.
Des fois c'est 7.
En conséquence de quoi, la quantité réelle des cotisations syndicales n'est pas connue.
C'est un secret.
Et à certains égards, un mystère.
Dans ce vaste espace d'incertitude comptable se perd la piste des financements clandestins.
(C'est ce qu'avait expliqué Gautier-Sauvagnac au juge d'instruction qui lui demandait de nommer les bénéficiaires de ses retraits en liquide : il ne pouvait le faire puisque, faute de preuve humainement concevable, cela revenait à les diffamer.)
C'est pourquoi Joseph n'a pas peur de nous dire qu'on soupçonne son syndicat d'avoir étouffé la thune de l'UIMM.
Il ne risque rien.
Et c'est même pour nous annoncer ça qu'il nous a révélé l'existence de financements légaux du syndicalisme par l'UIMM.
Pour nous dire que c'est du pareil au même.
Braise au black ou pas au black : le patronat, tant qu'il a pu, a financé les syndicats.
Aucun d'entre eux n'a craché dessus.
Ne venez pas maintenant chercher des poux dans la tête à Joseph.
Car il y a des gens qui veulent du mal à Joseph : il préfère annoncer la couleur.
Voyez-vous, Jacques Voisin, le secrétaire général de la CFTC, brigue en décembre son troisième mandat.
Dans les démocraties populaires du monde syndical, ces réélections ne sont souvent qu'une formalité.
Ce ne sera pas le cas cette fois-ci.
Le 3 avril dernier, Joseph Crespo a annoncé sa candidature.
Et dans la foulée qu'il était sûr d'avoir 64% des voix.
(Car lorsque Joseph frappe, il frappe fort.)
En conséquence, il se murmure que l'infâme Crespo, âme damnée du syndicalisme chrétien, fut de toutes les turpitudes dont on accuse l'UIMM.
C'est de bonne guerre.
Car deux lignes s'affrontent à l'intérieur de la CFTC : d'un côté les chéris du Medef (Jacques Voisin), respectables et politiquement corrects;
et de l'autre les chouchous de l'UIMM (Joseph Crespo), sulfureux et vilipendés.
La réforme sarkozyste de la représentativité syndicale est l'oeuvre en effet d'une alliance à trois :
l'UMP,
le nouveau Medef (dominé non plus par la Métallurgie mais par la Banque)
et la CGT (rejointe par la CFDT).
Le tout avec la bénédiction du PS et du PC.
C'est une réforme qui fait consensus.
Chacun y trouve son compte :
le Medef des interlocuteurs indiscutés,
la CGT et la CFDT un financement officiel dans une position dominante,
et l'Etat une occasion de criminaliser tout mouvement social effectué sans l'aval de ces organisations légitimes.
Quant à la Banque, elle se pourlèche : l'intégration du syndicalisme à l'appareil d'Etat condamne à terme le paritarisme (à l'Unedic ou la Sécu, par exemple).
Elle espère bien récupérer les orphelins (quand l'Etat n'en voudra plus).
Longtemps combattue par l'UIMM (qui était de toutes les organisations paritaires), cette réforme est aujourd'hui refusée par FO, la CGC et la CFTC (menacés d'affaiblissement ou de disparition).
Toutefois, dans un premier temps, les négociateurs de la CGC et de la CFTC, avaient signé la proposition commune.
Cette proposition (prévoyant que nul syndicat ne serait représentatif s'il n'obtenait 10% des voix aux élections professionnelles) signait l'acte de décès de la CFTC.
On se demandait ce qui avait pu convaincre, à l'époque, Jacques Voisin de ne pas s'opposer à la réforme.
Probablement la menace qui avait servi à museler l'UIMM : l'affaire Gautier-Sauvagnac, son scandale et ses redressements fiscaux.
Mais on n'a pas de preuve.
Cette situation explique les aveux cyniques de Joseph Crespo sur Bakchich.com : face à Voisin (propre sur lui, qui ne veut surtout pas qu'on le confonde avec un voyou et le prouve aussitôt en acceptant la loi détruisant son syndicat)
se dresse Joseph (qui n'en a rien à taper d'être ou non respectable, son gâteau d'anniversaire l'avait déjà prouvé).
Ce qu'on pense de lui, il s'en arc-boute gentiment.
Seule la victoire est belle.
Avant d'écrire ce post, je suis allé visiter son blog, à tout hasard.
Une surprise m'y attendait.
Son dernier post à lui n'était ni plus ni moins qu'un lien en direction d'un post à moi, "la tribune au Monde de Nicolas Sarkozy".
Où je ne l'épargnais pas, pourtant.
(Déconne pas, Joseph, dis le que je ne t'épargnais pas, c'est ma réputation d'anar qui est en jeu).
Mais où je supposais que Jacques Voisin avait (d'abord) accepté la proposition commune par peur du scandale de l'UIMM.
Et aussitôt, dans les commentaires (sur son blog) :
Sans Crespo, on aurait adopté la position commune.
Et aussi :
Tu avais raison quand tu nous disais que des accords secrets ont été passés entre le Medef, le gouvernement, la CFDT, la CGT et nos confédéraux
Depuis que nous nous confortons, Joseph et moi, dans ce que nous pensons de cette réforme, j'hésite à lui faire de la peine.
C'est pourquoi je terminerai par la citation d'un ecclésiastique.
Il s'agit du curé Meslier (1664-1729) :
"L'humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier des tyrans aura été pendu avec les tripes du dernier prêtre."
Voilà.
Et le dernier des patrons avec celles du dernier permanent syndical.