BEAUCOUP D'ENTRE NOUS considèrent les collectifs et les comités de soutien comme la panacée des luttes et du combat révolutionnaire. Nés de la volonté de quelques personnes d'agir ensemble pour interpeller les pouvoirs publics et la population sur leurs situations, ces regroupements sont souvent rejoints par des associations, des syndicats et des partis politiques dont le but affiché est de les soutenir dans leur lutte. Par rapport à des associations, ces structures ont l'avantage de la souplesse. Elles sont apparues avec un objectif bien précis, et celui-ci une fois atteint, elles se dissolvent rapidement. Pourtant, pour un certain nombre d'entre elles, apparaissent des difficultés qui ne permettent pas de dire que leur dessein est réalisé et, chose curieuse, leur action perdure au-delà de ce qu'on peut appeler un échec. La participation du groupe Makhno et du collectif libertaire du Vald'Oise (1) dans le collectif des sans-logis de Cergy, devenu aujourd'hui le DAL, et dans la mise en place d'un comité de soutien aux Roms du Val-d'Oise incite à nous poser un certain nombre de questions.
Le collectif des sans-logis de Cergy (2)
En août 2003, une dizaine de femmes avec leurs enfants ont occupé la mairie de Cergy-Pontoise pendant quelques heures pour réclamer des logements, sans succès malgré l'entrevue qu'elles ont obtenue auprès d'un élu. Ces femmes se sont faites les porte-parole de familles réunies dans des hôtels, suite à des expulsions. Elles ont ensuite été rejointes par d'autres - une vingtaine au total - et ont accepté - souhaité même - l'aide d'associations, de syndicats et de partis politiques. Ainsi est né le collectif des salis-logis, composé de familles mal ou pas logées du tout et de ceux qui les soutiennent. La liste de ces soutiens est impressionnante: l'ADCC (association du Parti des travailleurs), la CGT union locale de Cergy, le DAL, FO, la LCR, la LDH, la Libre Pensée, Lutte ouvrière, Ras l'front, SUD-Éducation, les Verts. Elle figure en bas de tracts, est mentionnée dans les articles de la presse locale. Quand nous nous sommes présentés aux réunions du collectif quelques mois-plus tard, quelle ne fut pas notre surprise de constater que seuls dés membres du PT de la LCR et de SUD-Éducation étaient présents. De temps en temps venaient deux militants de LO. Quelques conclusions s'imposent déjà. D'abord, l'objectif prioritaire des soutiens est d'obtenir une légitimité face aux pouvoirs publics. Je m'explique. Le plus important pour ces associations, syndicats et partis est de montrer à leurs adversaires et à leur hiérarchie qu'ils sont présents sur tous les fronts. Et quoi de plus facile que de faire mettre un sigle en bas d'un tract. Le tombât en lui-même des familles leur importe peu - sauf pour quelques uns -; ce qui compte c'est de se faire voir... médiatiquement. Très peu sont venus aux actions du collectif - manifestations devant la mairie, la préfecture, occupation de l'église, etc. Peu importe, leur nom figure sur le tract. En second lieu, le déroulement de ces réunions est significatif d'un mode de fonctionnement inégalitaire. À l'exception de quelques personnes sans logement, ce sont les soutiens qui monopolisent la parole. Même sans arrière pensées, ils émettent des propositions, rédigent les courriers, tiennent les finances. La grande majorité des membres du collectif sont des femmes africaines qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer en public. Elles se sont arrangées très vite de la situation. En fait, on peut dire qu'il y a eu maldonne dès le départ. En effet, celles qui ont créé le collectif ont manqué de confiance en elles. Inexpérimentées, elles ont cru que les soutiens allaient renforcer le collectif. Pourtant, elles ont osé occuper la mairie, ont pris l'initiative, mais n'ont pas eu la force de repousser les soutiens, pensant que l'expérience militante de ces femmes et de ces hommes leur serait profitable. Avant d'accepter les soutiens en leur sein, elles auraient dû définir ensemble leur mode de fonctionnement, expérimenter la démocratie directe avec toutes les difficultés que cela comporte. À aucun moment, il n'y a eu d'assemblée générale souveraine qui prenait les décisions. D'un côté, les soutiens proposaient et décidaient; de l'autre, les familles acquiesçaient ou discutaient entre elles quand elles ne comprenaient pas le français et que les propos n'étaient pas traduits. Car les soutiens, même de bonne foi quand ils affirmaient que c'était aux familles de décider, prenaient (initiative puisque les mal-logés avaient adopté l'attitude de moutons face aux bergers militants. Même si la lutte dans ce domaine du ,logement est difficile, on peut constater que l'action du collectif a échoué. Les familles ont toujours privilégié des solutions personnelles, et les rares fois où des réquisitions collectives de logement ont été envisagées, elles n'ont pas réussi à s'entendre. Et, finalement, au heu de dissoudre le collectif, certaines ont lancé l'idée de créer un comité DAL, reprise aussitôt par les soutiens. Le collectif est devenu alors une association.(3)
Les Roms du Val-d'OiseDébut 2005, nous avons découvert dans le département des terrains isolés où vivent des Roms. Venus en grande majorité de Roumanie à cause des persécutions qu'ils subissent dans leur pays, ils vivent dans des conditions effroyables. Ici aussi la police et la gendarmerie les ~ persécutent, les emprisonnent et les expulsent avec la bénédiction des autorités et de la population. On nous parle alors de (existence d'un comité de soutien en pleine léthargie, composé de quelques personnes membres d'associations. Les réunions ont heu uniquement entre elles, les Roms n'y sont pas invités. L'une de ces personnes; en désaccord avec les autres, s'adresse à nous avec l'argument suivant: Les Roms ont besoin d'aide et il est souhaitable de créer un comité de soutien, mais à condition que l'initiative leur revienne, c'està-dire que c'est à eux d'organiser leur lutte, avec notre aide. Sur le terrain, face aux force de répression, les Roms ont peur. Ils sont régulièrement arrêtés, mis en garde en vue, jetés en centre de rétention. Bafoués dans leurs droits les plus élémentaires, nous percevons la tâche immense qui nous attend, comme agir, par exemple, auprès de l'Éducation nationale pour faire accepter les enfants dans les collèges du département.
À plusieurs reprises, nous sommes allés sur les terrains pour écouter les témoignages des Roms, nous rendre compte de leurs conditions de vie déplorables. La première difficulté à laquelle nous avons été confrontés est que l'idée du comité de soutien ne vient pas des Roms eux-mêmes. Comme on dit: « L'enfer est pavé de bonnes intentions ». Ah! ce satané poids de la culture judéo-chrétienne. En discutant avec eux, nous constatons que, comme pour les sans-logis de Cergy, ils souhaitent qu'on les aide individuellement. Pour certains, il s'agit de leur procurer des papiers en règle, de leur trouver des médicaments, d'emmener les enfants à l'hôpital; pour tous de leur trouver un emploi. Ils n'envisagent pas d'action collective de la même manière que nous, par exemple d'interventions auprès des pouvoirs publics, de manifestations ou d'occupations d'administration - les différences culturelles sont importantes et ils privilégient l'action immédiate suite à une prise de parole. Il existe chez eux un fort esprit d'entraide et de solidarité, mais peu de conscience politique collective. Certains ont bien compris en quoi ils sont un enjeu politique en France, mais leurs problèmes personnels sont tels qu'ils ont du mal à envisager une action collective. Nous avons pu aussi constater que l'entente entre les familles des différents terrains n'est pas toujours évidente. Alors, au-delà de la résolution de leurs problèmes personnels, que souhaitent-ils? Pour la grande majorité, vivre en paix sur leur terrain, sans qu'on les expulse, malgré (absence d'eau, d'électricité et d'hygiène. Pour nous, libertaires, il n'est donc pas envisageable de créer un comité de soutien sans tenir compte de tout cela. Ces familles souhaitent notre aide, certes, mais je pense que c'est à eux d'abord de se battre pour obtenir des droits dont tout- être humain devrait jouir de facto. Cela ne signifie pas que nous refusons de créer un comité de soutien, mais nous devons rester modeste face à l'ampleur de la tâche et, en tout cas, nous sommes d'accord pour ne pas prendre l'initiative à leur place. Vouloir à tout prix créer un collectif ou un comité de soutien est une aberration, et l'action sans réflexion est nuisible.
ConclusionMon propos n'a pas pour but de dénigrer le bien-fondé des collectifs et des comités de soutien. Il s'agit plutôt de mettre en garde celles et ceux qui y voient la panacée de la lutte révolutionnaire. Peu importe le nom que l'on donne à la structure de combat, ce qui compte ce sont ses modes de fonctionnement.
En tant que libertaires, nous avons à être vigilants, à ne pas nous leurrer sur les intentions des organisations politiques, des syndicats et des associations. Nous devons aussi nous méfier de nous-mêmes, de nos penchants pour l'autoritarisme, puisque, la plupart du temps, nous intervenons nous aussi comme~soutien. L'idéal, en fait, est que les intéressés prennent en main leur lutte sans faire appel à des soutiens. Dans le domaine du logement, il existe beaucoup de collectifs, et les plus efficaces sont ceux qui sont indépendants des institutions - partis, associations, organisations, syndicats. La lutte du collectif dù Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) en 2001 est, à ce titre; exemplaire .(4 )
Thierry Périssé
membre du groupe Makhno de la FA et du collectif du Val d'Oise « l'insurgé »
1. Le collectif libertaire du Val-d'Oise « l'Insurgé » est le regroupement d'individus liés à différentes organisations anarchistes dont le but es d'agir ensemble dans les luttes, afin de promouvoir les idées libertaires. Il existe depuis plus d'un an, et son fonctionnement est régi selon des principe définis au départ et que nous essayons d'applique au mieux.
2. Voir l'article « Sans-logis de Cergy: une lutt difficile » dans l'Insurgé, n° 2, automne 2004, revue
du collectif libertaire du Val-d'Oise.
3. Voir l'article « Création d'un comité DAL Cergy » dans l'Insurgé, n° 3, 1er semestre 2005.
4.Voir la brochure « Lutte du logement en Ile-de France, 1998-2004 », 2 euros (gratuit pour les précaires). Contacter l'Insurgé auprès de Publico pour vous la procurer.
Le Monde libertaire #1414 du 3 au 9 novembre 2005