La pensée ne cessera pas plus que la sensation. Mais le pouvoir des
pensées et des idées, la domination des doctrines, la souveraineté de
l’esprit, bref, la hiérarchie durera aussi longtemps qu’il y aura des
doctrinaires : théologiens, philosophes, hommes d’Etat, philistins,
maîtres d’école, pères de famille (...). Aussi longtemps qu’ils auront
la parole.
Max Stirner
Je viens de prendre connaissance des remarques de Claude Guillon sur la
communisation, disponibles sur le Web, et je partage l’esprit de sa
démarche. En effet, depuis quelques années, nous assistons à la
constitution du milieu du même nom qui, pour l’essentiel, recycle et
vulgarise les thèmes favoris de la revue Théorie communiste. Sic, la
nouvelle publication éditée en plusieurs langues, destinée à prendre le
relais de Meeting, est aujourd’hui le principal vecteur du recyclage et
de la vulgarisation en question et rencontre quelques succès, en France
et à l’étranger, y compris, à l’occasion, au sein de tendances
libertaires.
Concernant les articles de la publication, je ne rentre pas dans les
détails et je cherche plutôt à dégager la perspective générale qui pose
problème et qui transparaît en filigrane entre les lignes, sans nier les
particularités des positions des rédacteurs et encore moins celles de
toutes les personnes qui en partagent, à des degrés divers, les
conceptions. Il me semble nécessaire d’intervenir ainsi pour éviter les
polémiques oiseuses, sans faire silence sur ce qui est important. Il y
a, en particulier en France à l’heure actuelle, des discussions sur le
thème de la communisation qui ne relèvent pas que d’effets de mode,
parfois sur fond de réunions et de séances d’étude du Livre I du
Capital, l’oeuvre du maître présentée comme majeure et presque
indépassable dans le domaine de la critique du capital par les
aficionados de Sic. Evidemment, à condition d’accepter sans sourciller
les présupposés scientistes de Marx, résumés sans mystère dans les
préfaces et les postfaces du Capital, il est facile d’être impressionné
par la rigueur du discours dès les premiers chapitres. Lesquels donnent
l’impression de procurer enfin le fil d’Ariane indispensable pour sortir
du labyrinthe dans lequel nous errons aujourd’hui. D’autant que le seul
passé que les gestionnaires du temps effacent, jour après jour, des
mémoires, c’est celui qui leur rappelle trop des périodes où leur
pouvoir fut ébranlé, voire mis en péril. En ce sens, il n’est pas
ridicule à chercher à connaître des doctrines présentées, à tord ou à
raison, comme utiles pour affiner notre compréhension du présent et pour
combattre le monde de la domination. Mais dans l’engouement relatif
pour Sic, il y a plus que de la curiosité et la recherche de repères.
Sans chercher des explications faciles, je pense qu’il y a aussi des
causes presque psychologiques à cela. Ainsi, aux milieux activistes qui
commencent à entrevoir les limites de leur agitation et qui sont
fatigués de tourner dans leur cage d’écureuil, la revue procure le kit
de survie qui donne des apparences de cohérence et d’approche globale à
leur propre activité. Elle est sortie pour répondre à de tels besoins.
De plus, le côté pédagogique d’articles phares comme Qu’est-ce que la
communisation ? rend moins indigeste l’absorption de la préparation,
alors qu’il faut de bonnes doses d’héroïsme, voire de masochisme, pour
supporter la logomachie et le verbiage de Théorie communiste. Bien
entendu, les amateurs de Sic et d’autres membres des cercles de
dégustation du Capital supportent mal la critique car le milieu
communisateur, comme tous les autres milieux à prétention
révolutionnaire, est marqué par la quête d’identité et
d’autovalorisation de groupe. A notre époque où l’organisation en
réseaux informels tend à supplanter celle en parti formel, l’esprit de
parti antédiluvien est plus difficile à cerner. Mais il explique bien
des crispations envers des individus qui préfèrent la recherche
aventureuse et dangereuse du « gai savoir » aux tentatives balisées de
recyclage des doctrines embaumées.
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