Raoul Vaneigem - Pour l'abolition de la société marchande, pour une société vivante
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Jeunes à contre courant : "Le pamphlet répond à deux préoccupations : rappeler vers quelle impasse la dictature de la rentabilité est en train de mener les hommes en dévastant les ressources planétaires.
Montrer que la contestation se condamnera à l'impuissance tant qu'elle n'aura pas misé - avec l'intention de la dépasser - sur la seule et véritable nouvelle économie, celle qu'instaurent le mode de production d'énergies naturelles gratuites, l'agriculture « biologique », le retour à la valeur d'usage et à la qualité des produits, la reconstruction d'un environnement en accord avec l'aspiration individuelle à une destinée moins navrante. Nous assistons avec une passivité navrante, à une mise en coupe réglée de la planète par des associations d'intérêts, qui accroissent leur puissance financière en démantelant partout les secteurs utiles à la société et en attisant des conflits locaux qui s'apparentent à des guerres de gangs. Des organismes bureaucratiques tels que le FMI ou l'OMC prêtent un semblant d'honorabilité à une politique mafieuse puisant dans les dernières ressources des populations du globe l'argent désormais investi dans les circuits fermés de la spéculation boursière. Nous sommes confrontés à un système autodestructeur qui court à la faillite financière parce qu'il tourne sur lui-même, dévaste la terre, perturbe le climat, accroît cette misère qui, alliée au désespoir, multiplie les comportements suicidaires - dont le terrorisme n'est que l'épiphénomène -, contamine, à travers le cycle de la délinquance et de la répression policière, une existence quotidienne exposée aux lois aléatoires du marché.
Le chaos agencé à des fins de rentabilité à court terme par le capitalisme financier dissimule à beaucoup, induits à se lamenter et à s'indigner en vain plutôt qu'à vouloir changer le cours des choses, les signes d'une mutation qui oppose au système totalitaire de l'argent, sans autre usage que sa reproduction virtuelle, la conscience d'un véritable progrès humain. L'histoire n'a connu que des modes de gouvernement qui vouaient les hommes à la damnation en prétendant assurer leur salut. Ce qui existe aujourd'hui à l'échelle de la planète est une tyrannie omniprésente du profit, qui mise sur le caractère archaïque des pratiques contestataires pour conforter la servitude volontaire des masses. Une révolte incapable de créer des conditions sociales radicalement nouvelles ne fait qu'ajouter sa pollution aux eaux sales de la rentabilité à tous prix.
Il est temps de prendre conscience des phénomènes qui expriment à travers la fin de la civilisation marchande l'émergence d'une civilisation humaine.
L'apparition d'un nouveau mode de production, fondé sur l'essor des énergies naturelles et renouvelables, faisant appel non à l'abrutissement du travail mais à l'exercice des facultés créatrices et favorisant à terme la valeur la plus compatible avec la marchandise : la gratuité.
Le développement d'une conscience citoyenne amorçant son dépassement par le passage de l'éthique contestataire et de la désobéissance civile à la création collective. Il s'agit de combattre pour le progrès de l'humain avec les armes de la vie, en s'émancipant de toutes les formes d'économie fondées sur l'exploitation de la nature et de l'homme par l'homme.
Une attention particulière doit être accordée à la sollicitude envers l'enfant, à un apprentissage, qui implique l'abolition d'une éducation concentrationnaire, où l'élève est cyniquement sacrifié à l'économie, le refus des réflexes de prédation, de concurrence, de compétition, de culpabilité, de sacrifice, ainsi qu'une aide à la création et à l'autonomie.
L'avenir des sociétés nouvelles appartiendra aux femmes, unies par delà les distinctions de nations et de cultures. Elles seront les premières à tenter de libérer l'Afghanistan, le Pakistan, l'Iran, l'Algérie, et les pays encore sous la coupe d'une religion qui les assujettit à l'autorité du mâle. Celles qui donnent la vie mettront le plus résolument fin au règne millénaire de la brute militaire, autoritaire et patriarcale.
La récréation du corps et le dépassement de l'hédonisme consumériste fondent la conscience individuelle appelée à reconvertir l'arsenal technologique hérité de la civilisation marchande et à le gérer collectivement en le mettant au service de l'humain. La seule façon d'empêcher la prolifération de la violence destructrice, c'est de privilégier partout les conditions d'une vie meilleure et de favoriser la liberté, l'affinement et l'harmonie des désirs.
Tels sont les signes annonciateurs sur lesquels nous allons fonder le projet d'une société dépouillée de sa misère lucrative et restaurée selon les intérêts humains qui se manifestent aujourd'hui de plus en plus sûrement, en dépit de l'obscurantisme et du désespoir dominant. » Raoul Vaneigem"