Rangeons les cerveaux, sortons les fourches
Une nouvelle affaire de pédophilie vient de défrayer la chronique et de revitaliser les chasses aux sorcières : retour de la peine de mort, de la détention perpétuelle, de la castration (chimique ou pas), des thérapies forcées… Le "café du commerce" s'en donne à cœur joie. Notre super président enfourche ce cheval de bataille avec la subtilité qu'on lui connaît et en profite pour proposer une nouvelle loi, alors même que la France possède déjà l'une des législations les plus répressives en matière d'infractions et de crimes sexuels.
Puisque drame il y a sans aucun doute, peut-être serait-il utile d'en
profiter au contraire pour réfléchir sur ses différents aspects.
D'abord et avant tout, cet acte est la preuve absolue et formelle -s'il
en était besoin- de l'inutilité totale de la loi sur la récidive dont
on nous a claironné l'impact dissuasif et, au-delà, du système carcéral
et judiciaire dans son ensemble (voir sur ce sujet particulier le site
du mouvement pour l'abolition des prisons et des peines
-http://abolition.prisons.free.fr/-).
Le coupable de l'agression a donc été enfermé pendant dix-huit ans et à
peine sorti, il remet ça. Seule information abondamment distillée par
les médias, il était sous le régime d'un suivi socio-judiciaire (et
avec du Viagra ! Et ça change quoi ?). Dans quelles conditions
concrètes est-il sorti ? On n'en saura rien, tout au plus peut-on
supposer qu'il habitait dans un garage rempli des meubles de sa défunte
mère. Quels liens lui restait-il avec l'extérieur au bout de ces
dix-huit ans ? Avait-il encore ne serait-ce qu'une personne avec qui
parler, une occupation, qui puissent le détourner de ses pulsions
ruminées pendant tant d'années ? On sait que non, comme nombre de
taulards, il s'est retrouvé dehors avec ses cartons. Sans oublier la
sacro-sainte convocation devant le juge d'application des peines et la
certitude que quoi qu'il fasse, il sera dorénavant surveillé à vie
(très dissuasif comme on a pu le voir).
Était-il possible que ça se passe autrement ? Sans doute pas dans notre
société telle qu'elle est à l'heure actuelle (et inquiétons-nous, avec
les mesures de plus en plus répressives qu'on nous promet, ça ne fera
qu'empirer).
Même ici, j'entends déjà les voix vertueuses : "c'est bien joli de
s'occuper du coupable, mais comme d'habitude on oublie la victime".
Relativisons, tout d'abord, par qui la victime est-elle oubliée ?
Chacun sait que nous sommes entrés dans l'ère des victimes que notre
super Sarko invite à l'Élysée, quand il ne se rend pas directement chez
elles.
Cette démagogie n'enlève rien au fait que cet enfant soit bien une victime et il serait effectivement choquant de l'oublier.
Enis a suivi un homme apparemment gentil (lire les témoignages de ceux
qui ont permis son arrestation) qui l'a dénudé et peut-être plus (On
passe allègrement du viol à des soupçons d'attouchements et puis au
viol…), après l'avoir drogué (quel type de drogue ? On n'en sait rien,
autant imaginer le pire).
Je ne vois pas qui pourrait nier le caractère tout à fait intolérable
de cet acte, mais ne faisons pas fi de certains questionnements.
On nous a décrit l'enfant dans une sorte de torpeur glacée, mais
quand ? Lorsqu'il a été retrouvé, après qu'il ait été confié aux
services compétents ? Et pourquoi ? Ce qu'il avait subi, la drogue
ingérée, l'intervention traumatisante de la police ? Tout ça mélangé
sans doute. Poser ce type de questions pourrait éviter la
"survictimisation" qui guette.
Il est victime et c'est déjà très suffisant. Pourtant, la "société"
semble chercher à tout prix à intensifier cette douleur, à la rendre
inoubliable et définitive. De nombreux messages dans divers forums (je
m'inspire plus particulièrement de celui de Libération) évoquent la vie
irrémédiablement gâchée du garçonnet. À croire que presque tout le
monde en France est "psy"… C'est loin d'être le cas, mais ces posteurs
ne font ainsi que suivre une quasi doctrine martelée par les médias
avec le soutien de quelques "spécialistes à la sauce médiatique".
Mais qu'en savent-ils ? Pourquoi cette injonction ? Il peut lui
l'oublier, faire de la résilience, s'en accommoder avec ou sans
soutien… Ou effectivement, hélas, rien de tout cela… Peut-être
serait-il bon de lui offrir toutes les possibilités, mais où en serait
alors le cirque médiatique qui va jusqu'à publier sa photo ?
On l'a également élevé au statut de survivant. Certes son agresseur n'a
jamais tué qui que ce soit auparavant, mais il a déjà fait preuve de
violence. C'est suffisant pour affirmer que sans la rapidité de la
police, Énis n'aurait jamais été retrouvé vivant.
Il faudrait également ajouter la nuit en observation à l'hôpital, les
questions des psys, des flics, l'absence impuissante des proches… À se
demander ce qui finalement le marquera le plus.
Renforcer la loi jusqu'à la rendre caricaturale, comme s'évertue à le
faire notre président ne changera rien, et seuls les naïfs peuvent
feindre d'y croire. Je ne connais pas les statistiques exactes, mais je
ne pense pas me tromper en disant que pour un ex-détenu qui a récidivé,
il y en a sans doute des dizaines (centaines?) sortis dans l'année,
condamnés pour des faits plus ou moins semblables qui ne le font pas.
Qu'importe, ceux-là auront également droit de voir se renforcer la
"bienveillante attention" dont ils sont déjà l'objet après leur sortie
de prison. Quand on sait les efforts que cela demande à certains
pédophiles de réprimer leurs pulsions, je me demande si les mettre sous
une pression constante avec l'image la plus horrible qui soit est la
bonne méthode.
À regarder quelqu'un comme un monstre, on risque plutôt à l'inciter à
se comporter comme tel. Et s'il existe bien des psychopathes qui ne
sont d'ailleurs que rarement pédophiles (même Dutroux n'a pas été
reconnu pédophile par les psys qui l'ont examiné, ça n'empêche pas de
le garder tel un symbole : le maître étalon de la pédophilie), inutile
d'en pousser trop sur ce chemin.
Peut-être serait-il temps de relativiser les choses et de ne pas mettre
tous les horribles, forcément horribles, pédophiles dans le même panier.
Aucune loi ne pourra jamais interdire à un pédophile d'être ce qu'il
est, pas plus qu'à un homo, un hétéro, un fétichiste… Même les
convictions ultra-innéistes de Sarko et de ses inspirateurs
créationnistes américains n'y pourront rien. Il pourra bien tenter de
les détecter dès la maternelle ou pourquoi pas à l'état d'embryon,
notre société saura réactiver quelque "gène" oublié.
Les propositions toutes plus stupides ou barbares les unes que les
autres pour défaire la société de ces "infâmes pervers", ne les
empêcheront pas d'y vivre. La question serait plutôt de savoir comment
éviter qu'ils en arrivent à la violence, au viol, au meurtre.
Il faudrait sans doute reconsidérer le problème, les années 70 avaient
posé quelques jalons, et puis une frange de féministes américaines
(plus proche des CDG que de Marcella Iacub), rapidement suivie par une
foule de mouvements plus ou moins spontanés, est parvenue à tout
mélanger le viol, l'inceste, la pédophilie… Ajoutez-y un nombre de
scandales bien réels et autant d''autres fantasmés ou détournés (Émile
Louis, Fourniret, Dutroux ? Pédophiles !), les chevaliers blancs qui se
transforment en loups-garous, comme le père Lefort, ou se tirent avec
la caisse.
Et on veut nous rajouter des lois d'exceptions qui, on l'a vu déjà avec
les prélèvements ADN, ne resteront pas longtemps si exceptionnelles que
ça.
Alors oui, il faut agir, mais autrement et surtout il ne faut pas
s'interdire de réfléchir, notamment sur le rôle que l'on fait jouer à
l'enfant ou au jeune dans nos sociétés, à la fois incapable de
consentement sexuel avant quinze ans, mais pénalement responsable de
ses actes à partir de dix ans et susceptible d'aller en prison 3 ans
plus tard ; bientôt sous la coupe d'un patron dès douze ans… Chair à
patron, chair à religion, proie et martyr, mais aussi délinquant de
banlieue et déviant dès la maternelle… Cherchez les erreurs.
Réfléchir aussi sur la sexualité, mais ça ne se fait plus guère non
plus, avec la déferlante porno chacun est persuadé de tout savoir.
Réfléchir aussi sur les relations entre les hommes, les femmes, les enfants, les animaux, les plantes, les objets…
Réfléchir encore…
Mais je sais, ça fait très soixante-huit tout ça, c'est daté… Alors
sortons les fourches, mais nous ne sommes pas près de les ranger et
surveillons nos arrières.
glazik