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CADTM : "Depuis quelques jours, on assiste à un important changement d’échelle dans les données économiques publiées. Alors que l’unité du milliard représentait le summum il y a peu, la fin du mois d’octobre a marqué le passage incontestable aux milliers de milliards.
La faute en revient au rapport publié par Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, sur l’impact économique d’ici 2100 du réchauffement climatique. Bien sûr, le procédé est criticable car les hypothèses utilisées pour un tel calcul ne reposent que sur des estimations très aléatoires qui ne font pas vraiment consensus au sein de la communauté scientifique. Des prévisions économiques pour un siècle sont forcément très discutables, même les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) sur la croissance ou les exportations à quelques années s’éloignent souvent fortement de ce qui se passe vraiment au bout du compte. Il est vrai cependant que le FMI a tendance à publier des statistiques qui vont dans le sens des réformes néolibérales qu’il veut imposer aux forceps, même si la réalité vient contredire par la suite la logique qu’il défend...
Ceci dit, le rapport Stern a estimé que d’ici la fin de ce siècle, le réchauffement climatique pourrait coûter la bagatelle de 5 500 milliards de dollars, voire davantage si la hausse de température est plus importante que prévu ou si rien n’est fait pour prévenir cette tendance lourde au réchauffement. Le Premier ministre britannique, Tony Blair, qui avait commandé ce rapport, s’en est emparé pour montrer qu’il en fait une priorité. Notons qu’il agit ainsi dans la dernière année d’un pouvoir qui restera marqué par un néolibéralisme sans concessions et un soutien indéfectible à la politique ahurissante de son homologue états-unien sur le plan environnemental... De la sorte, il pourra apparaître comme l’un des premiers ayant alerté l’opinion sur ce sujet en passant sous silence que sa politique a participé à l’aggravation du phénomène dans le monde. Bref, ce rapport plein d’opportunisme marque le passage aux milliers de milliards de dollars.
Sans mesurer la somme exacte que cela représente, la plupart des citoyens ont juste retenu qu’il y a vraiment beaucoup de zéros. Pour l’apprécier dans sa globalité, ne faut-il pas le comparer à quelques autres chiffres du même ordre ?
La fortune des plus riches de la planète est toute indiquée pour cela. Le cabinet de conseil Cap Gemini et la banque Merrill Lynch publient chaque année un Rapport sur la richesse dans le monde particulièrement intéressant pour qui apprécie les chiffres vertigineux. C’est ainsi qu’il y a sur Terre 8,7 millions de personnes dont le patrimoine dépasse la valeur d’un million de dollars et le patrimoine cumulé de ces millionnaires atteint 33 300 milliards de dollars. N’y a-t-il pas là une piste à creuser pour commencer à lutter sérieusement pour la préservation de l’environnement et pour l’élimination de la pauvreté ? Un impôt exceptionnel de 30% sur la fortune de ces millionnaires fournirait la coquette somme de 10 000 milliards de dollars...
Loin de prélever une part de ces richesses accumulées par quelques-uns pour améliorer les conditions de vie du plus grand nombre, le modèle économique néolibéral, promu par le FMI, la Banque mondiale et les grandes multinationales - et soutenu activement par Tony Blair, Jacques Chirac et d’autres dirigeants du Nord -, organise exactement l’inverse. Le mécanisme de la dette, qui en constitue un centre nerveux, a permis d’exercer une domination brutale sur l’économie des pays en développement. Il a organisé la captation des richesses naturelles et le transfert de richesses financières colossales des peuples du Sud vers leurs riches créanciers qui figurent sans conteste dans la liste des 8,7 millionnaires citée plus haut. Depuis la crise de la dette au début des années 1980, les remboursements des pays du Sud à leurs créanciers étrangers se sont élevés à environ 6 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 11 fois la dette extérieure de ces pays en 1980. Pendant ce temps, cette dette a quadruplé, pour atteindre aujourd’hui 2 800 milliards de dollars, ce qui est maximum absolu malgré les annonces retentissantes - mais trompeuses - de réduction de la dette de la part du FMI et de la Banque mondiale.
Voilà comment, alors que les avoirs des vingt premières multinationales financières atteignent 18 000 milliards de dollars, un être humain sur deux doit survivre avec moins de deux dollars par jour. Ce n’est alors pas surprenant d’entendre l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) annoncer, fin octobre, que 854 millions de personnes souffrent de la faim, dont 820 dans les pays en développement, et que ce nombre s’accroît de 4 millions par an en moyenne. Les modestes objectifs du millénaire pour le développement, parmi lesquels la réduction de moitié du nombre de personnes sous-alimentées d’ici 2015, ne seront pas atteints. Pourtant, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), 80 milliards de dollars par an pendant 10 ans suffiraient pour garantir un accès universel à l’eau potable, à une alimentation décente, à une éducation primaire et à des soins de santé de base. Cela fait 800 milliards de dollars en tout que les experts néolibéraux ne parviennent pas à trouver, sourds aux exigences des mouvements sociaux pour l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des pays en développement, pour l’abandon des politiques néolibérales dictées par le FMI et pour une répartition équitable des richesses au niveau mondial. Juste 800 milliards de dollars pour éradiquer la pauvreté... Mais je m’égare. Pardonnez-moi, il ne s’agit pas là de milliers de milliards de dollars.
Damien MilletEn cas de reproduction de cet article, mentionnez s'il vous plaît la source.
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