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Ségolène, François, Fafa, Strauss-Kahn et compagnie ne séduisent toujours pas. Et surtout pas les pauvres ! Pourtant, traditionnellement, c’est vers le socialisme qu’ils se tournent, les pauvres.
Thomas Frank, collaborateur régulier du Monde Diplomatique, explique ce paradoxe dans un livre paru aux éditions Agone le 18 janvier 2008, Comment les conservateurs ont gagné le cœur des Etats-Unis (et celui des autres pays riches). Frank s’intéresse essentiellement à son Etat natal, « l’endroit le plus [américain] moyen de l’Amérique », le Kansas. Mais le problème rencontré là-bas est le même ici. D’où la préface de Serge Halimi.
Jadis, ouvriers, ouvrières et autres bas salaires étaient sensibles aux idées du populisme de gauche « (rooseveltien, optimiste, conquérant, égalitaire, aspirant au désir partagé de vivre mieux) ». Aujourd’hui, et depuis trente ans, ils se sont tournés vers un « populisme de droite faisant son miel de la crainte de millions d’ouvriers et d’employés de ne plus pouvoir tenir leur rang, d’être rattrapés par plus déshérités qu’eux » (préface, p. 12). Avec ce virage, les plus petits des petits changent d’ennemi.
Dans les années 1890, les fermiers américains se révoltaient contre « la puissance de l’argent » (p. 69), un adversaire cohérent. Mais aujourd’hui, alors que la colère des pauvres n’a pas diminué, elle ne se tourne pas vers « le vrai coupable ». Du coup, « depuis des décennies, les Américains assistent à une révolte populiste [du peuple] qui ne profite qu’à ceux qu’elle est censée renverser ». Un seul et triste slogan populaire, « Laissez-nous réduire vos impôts » (p. 158).
Alors là, chapeau bas, malins conservateurs. Ces « dirigeants de l’hallali » ont en effet réussi à se rallier ceux qui devraient les maudire, en transformant, dans la rhétorique, les causes de la pauvreté. Avec eux, ce qui divise les américains, ce n’est pas l’économie mais l’authenticité. Un citoyen du vrai peuple (celui des Etats rouges), est bon. Il est pieux et loyal. C’est un travailleur modeste, quelqu’un d’humble, qui aime Georges W. Bush comme un des siens. Tandis que de l’autre côté, dans les Etats bleus, on trouve le bourgeois-bohème libéral, un orgueilleux qui ne se sent vivre que dans la distinction. C’est ce « progressiste en limousine », cet adepte de la « gauche caviar » que les humbles doivent haïr plus que tout autre. Plus que le bienveillant milliardaire.
Mais si la gauche redevenait de gauche, le progressiste en limousine doublerait facilement le 4x4 décapotable aux prochaines élections.
Anaëlle Verzaux
Thomas Frank, Pourquoi les pauvres votent à droite, Contre-feux Agone, 24 €.