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Coopérative Cravirola est un collectif autogéré de dix personnes. Installée tout près de la frontière italienne, elle envisage de changer de lieu. Face à la question de la propriété foncière, elle expérimente une nouvelle forme de propriété collective : les Terres Communes.
Tout commence au milieu des années 80 quand Axel et Britta, un couple de jeunes issu du milieu alternatif berlinois, achète un petit hameau en ruines collé à la frontière italienne à 1200 mètres d'altitude, dans la haute Vallée de la Roya.
Les débuts sont rudes. Ces deux néoruraux s'installent dans une ruine sans électricité, ni eau courante ou chauffage, sans accès de route et, sans la moindre expérience agricole, ils commencent à fabriquer des fromages. Convaincus que cette aventure qui frôle l'inconscient doit être collective, ils cherchent en vain des associés. D'année en année, ils résistent à la tentation de tout lâcher.
Dix ans après leur installation, Axel et Britta commencent enfin à voir le bout du tunnel. La ruine est devenu une ferme fromagère où on élève des vaches, des chèvres et des brebis. La vente de fromages sur des marchés de la Côte d'Azur finance de nouveaux bâtiments, le confort de vie s'améliore et ils trouvent enfin du temps pour faire autre chose que les travaux de première nécessité.
Une coopérative agricole, culturelle et engagéeC'est à partir de cette époque qu'une troisième personne, Katia, s'installe de façon permanente. Cravirola devient une ferme collective. Les premiers chantiers de jeunes sont organisés en partenariat avec l'association Service Civil International, qui apportent le renfort tant attendu pour la construction du lieu. Le groupe grossit peu à peu et l'association Dynamo, la montagne en mouvement est créée pour mener des actions d'éducation populaire, proposer des événements culturels et continuer à organiser des chantiers.
Petit à petit le visage de la Ferme Cravirola change. Tout est imaginé et fait par les habitants et les jeunes qui participent aux chantiers. Une nouvelle fromagerie voit le jour, la plus grande de tout le département. La maison d'habitation, elle aussi, s'agrandit. Elle est chauffée par des panneaux solaires et un ingénieux poêle à bois. Une turbine permet de transformer l'eau de la rivière en électricité.
Cravirola se pare aussi de peintures, mosaïques et sculptures. Une salle est construite pour faire du théâtre, de la danse, des stages d'art plastique. Dans un amphithéâtre de plein air, où la scène surplombe un petit vallon, les gens de la côte viennent participer deux années de suite au festival Bouse & Blues, organisé par celles et ceux qui ont désormais décidé de s'appeler Coopérative Cravirola.
Si l'activité agricole reste la base économique du projet, l'art, la musique, la fête, sont des ingrédients indispensables de la vie ; Cravirola se vit avant tout comme un groupe engagé.
Fin 2006, une dizaine de personnes partagent leur vie sur la ferme. Le travail se fait en autogestion, sans hiérarchie. Les revenus vont dans une caisse commune qui couvre tous les besoins. Des « semaines découverte » sont -organisées pour transmettre cette expérience à ceux et celles qui sont à la recherche d'un autre mode de vie. La coopérative participe à des réseaux d'échange comme REPAS ou RELIER (1). Il y a quelques années, avec d'autres paysans du département, ils participent à la mise en place de la section Alpes-Maritimes de la Confédération Paysanne. Cravirola était présent au Forum social européen, au rassemblement du Larzac ou lors d'un des procès des faucheurs volontaires avec un stand de fromages et de sandwichs au chèvre chaud.
Au fil des ans la Coopérative Cravirola est devenu un groupe solide. Mais l'esprit aventurier est resté avec un penchant pour les projets ambitieux. Aujourd'hui, après vingt ans de marche en avant, le petit hameau dans les montagnes du Mercantour ne correspond plus aux nouvelles ambitions. En 2005, la décision est prise de se lancer tous ensemble dans une nouvelle aventure. Ils trouvent un domaine de 270 ha dans l'Hérault, en vente sur les causses du Minervois. La coopérative est en train de boucler le financement pour pouvoir l'acheter. Il s'agira toujours d'y faire de l'élevage, de fabriquer des fromages, d'organiser des événements culturels, mais avec le souci de s'agrandir dans les limites propres au fonctionnement en autogestion, de diversifier la production agricole tout en la rendant plus cohérente. Ce nouveau lieu doit aussi permettre de s'ouvrir davantage sur l'extérieur, en accueillant un public plus large au sein d'un camping participatif. Ce lieu est prévu comme un lieu d'expérimentation sociale politiquement engagé, mais aussi un lieu d'échange et de partage, autour d'activités ludiques, artistiques, culturelles, environnementales.
La question du foncierQue devient alors la ferme des Alpes Maritimes ? La vendre, c'est prendre le risque d'y voir s'y installer un riche Monégasque pour qu'elle devienne une résidence secondaire. Pendant la recherche d'un nouveau lieu, Cravirola a pris conscience de ce qu'est devenu le marché du foncier agricole. Des terres de plus en plus inaccessible aux personnes qui cherchent à s'installer, victimes d'une spéculation immobilière outrancière.
La coopérative s'est alors lancé un autre défi : financer l'achat du nouveau lieu sans vendre la ferme à La Brigue, et transmettre celle-ci à un groupe qui cherche à s'installer avec un projet agricole et engagé. Deuxième objectif : faire en sorte que la propriété de la Ferme Cravirola, jusque là au nom d'Axel, devienne durablement collective et que cela soit aussi le cas pour le domaine dans l'Hérault.
Les recherches sur les structures de propriété collective existantes, menées entre autre avec l'aide de l'association Terre de Liens (2), ont vite abouti à un constat : la forme la plus habituelle, la SCI, serait complètement inadaptée à ce projet. En effet, celle-ci pose souvent problème en cas du départ d'un des sociétaires. Elle ne règle en rien la question de la transmission et de l'héritage. Mais surtout, elle ne permet pas de faire appel aux « sympathisants » sans que ceux-ci deviennent responsables envers les banques de l'emprunt qui sera souscrit pour financer l'achat du nouveau lieu. Cette dernière incompatibilité, qui aurait été la même-pour tout autre forme de société de personnes, a amené à réfléchir une nouvelle structure de propriété collective sous forme d'une société de capital.
Terres CommunesDes mois d'études du code du commerce et de la littérature spécialisée ont abouti au choix de la « Société par actions simplifiée » (SAS). Cette forme juridique relativement nouvelle a été inventée pour proposer aux entreprises une alternative aux SA et SARL, plus strictement réglementées et lourdes à gérer. Cadeau aux marchés mondialisés donc, qui peut néanmoins se détourner à des fins plus libertaires que libérales.
Ainsi est née la SAS Terres Communes. Cette société deviendra propriétaire de la ferme des Alpes-Maritimes et du Domaine du Bois dans l'Hérault, mais aussi du Suc en Ardèche, un lieu où vit et travaille un groupe lui aussi à la recherche d'une forme de propriété irréversiblement collective.
La loi accorde aux SAS une grande liberté dans la rédaction de leurs statuts. Dans ceux de Terres Communes sont dissociés le capital apporté et le pouvoir, qui sera partagé entre deux types d'actionnaires : un premier collège composé des collectifs usagers des lieux et auquel reviendra 48 % des voix à l'assemblée de la société malgré un faible apport au capita ; un deuxième collège, dans lequel se retrouvent tous les autres actionnaires, qui se partageront les 52 % de voix restants en respectant le principe coopératif d'une personne égal une voix.
Dans ce deuxième groupe se trouveront les anciens propriétaires de la Ferme Cravirola et du Suc, qui auront reçu des actions à hauteur de leurs apports. Ils auront désormais le même pouvoir que les nombreux amis et sympathisants des trois projets, qui eux deviendront actionnaires de Terres Communes à partir d'un apport de 500 € (3).
Rien n'obligera la SAS ou ses actionnaires à racheter les parts d'un sociétaire qui voudrait quitter Terres Communes. Celui-ci devra présenter un acheteur potentiel et le faire accepter par l'assemblée des actionnaires.
Toutes les décisions importantes de la société, par exemple la résiliation d'un bail entre Terres Communes et un des collectifs usagers, seront prise par une majorité renforcée de 75 % des voix. Des décisions difficiles à prendre donc, qui nécessiteront de discuter et de convaincre un grand nombre d'autres actionnaires.
De cette manière, Terres Communes aura un fonctionnement profondément démocratique et respectera les intérêts des groupes habitant les lieux.
En contrepartie de la jouissance des lieux, les collectifs usagers s'engagent au respect de principes élaborés en commun le maintien d'un usage agricole des terres, un mode de production proche des valeurs de l'agriculture paysanne, la recherche pour chaque projet d'une autonomie économique, la solidarité entre groupes, l'ouverture et l'engagement vers l'extérieur.
Terres Communes peut accueillir d'autres collectifs qui veulent sortir de la propriété individuelle et qui partagent les mêmes valeurs. A ceux qui envisagent de s'en inspirer, elle propose son aide pour monter leur propre structure (4).
Aymeric Mercier
Coopérative Cravirola, 06430 La Brigue,
tel : 04 93 04 70 65, cravirol(a)club-internet.fr
(1) REPAS, Réseau d'échanges et de pratiques alternatives et solidaires, Association le MAT, Le Viel Audon, 07120 Balazuc, tel : 04 75 37 73 80 ; RELIER, Réseau d'expérimentations et de liaisons des initiatives en espace rural, 10, rue Archinard, 26400 Crest, tel : 04 75 25 44 90.
(2) Terre de liens, 10, rue Archinard, 26400 Crest, tel : 04 75 59 69 35.
(3) Les souscriptions sont dès à présent ouvertes !
(4) Enfin, à ceux qui cherchent des informations plus détaillées, celles et ceux aussi qui veulent agir concrètement contre la spéculation foncière et soutenir Terres Communes, rendez-vous sur les sites internet
www.terrescommunes.fr ou www.cravirola.com.
S!lence #342 janvier 2007