"Dans ce vieux monde de machines informatisées, nos prothèses de communication numérique nous isolent chaque jour un peu plus en réduisant au minimum les relations humaines, et nous conditionnent insidieusement jusqu’à notre manière d’appréhender et de comprendre notre situation de survie."
L'invention de la crise, Éditions L'Harmattan, 2012.
Un flot d'images surabondantes et de préjugés conformistes, largement
diffusés et rabâchés par tous les moyens, crée un réel artificiel où
nous croyons vivre. Ces images que nous consommons quotidiennement par
les flux de distractions et d'informations sont prises pour la réalité
d'un monde qui nous échappe.
L'accumulation des représentations fragmentées répandue par les médias
de masse crée une réalité morcelée du monde où les interactions, les
liaisons et les rapports sociaux entre individus ont été exclues.
L'ensemble dans son fonctionnement interactionnel n'y est plus
accessible, le système global n'est plus compréhensible. L'info en
représentation est une mise en scène de morceaux choisis juxtaposés,
recomposés en dehors de leur histoire, séparés de leurs situations
particulières, une succession de clichés conformes au système. Comme
expérience quotidienne de la déformation fragmentée du monde,
l'information spectacle est une formation au consentement, l'intégration
servile à la réalité marchande.
Tout ce qui n'est pas compatible avec le monde des affaires se retrouve
exclu du spectacle de l'information. Ce qui n'est pas dit dans la
communication d'informations est souvent plus important que ce qui est
exprimé. Les omissions en disent plus long sur les intentions que son
contenu.
Les infos ne vous diront jamais qu'en quelques dizaines d'années, les 1 %
les plus riches se sont approprié 99 % des mass-médias. Ils diffusent
maintenant de partout leur point de vue, protégeant ainsi leurs
intérêts. Les autres médias suivent par peur d'être dépassés. Leur
manière de voir les choses, répandue de partout, est une idéologie qui
domine tellement le monde, qu'elle n'est même plus perçue comme la
propagande de la classe dominante. Ce conditionnement a envahi tout
l'espace de son temps. Tout ce qui pourrait nuire aux intérêts des
actionnaires de ces multinationales médiatiques est effacé de la réalité
qu'ils produisent. Ce qui est tu en dit beaucoup plus sur le
fonctionnement.
Suite au krach des Subprimes, nombre de chefs d'État ont déclaré qu'ils
allaient réglementer les spéculations financières et s'attaquer aux
paradis fiscaux. Les attaques contre la banque suisse UBS ont abouti à
la fin du secret bancaire. Elles ont permis de faire croire à une action
de grande ampleur contre les évasions fiscales. Mais ce qui n'a pas été
dit et qui en dit long, c'est que UBS représentait à peine 2 % des
avoirs évadés américains (3 % des français). Cette grande opération
politico-médiatique a occulté 98 % des évasions fiscales américaines,
masquant le trafic des grands trusts internationaux anglo-saxons et des
multiples sociétés offshore par lesquelles transitent plus de 13 500
milliards de dollars.
La Suisse a été prise comme bouc émissaire, et les sanctions
surmédiatisées ont permis aux 98 % des évasions fiscales d'être plus
florissantes que jamais, bien à l'abri à l'ombre des projecteurs. Les
paradis fiscaux sont en pleine expansion dans le silence médiatique. Ce
trafic maffieux se développe dans un secret hyperprotégé, ce qui le rend
très efficace et prospère.
Ce qui est mis en avant de la représentation du monde cache ce qui gêne
les affaires, qui disparaît ainsi du spectacle de l'info. Ce qui n'est
pas communiqué est toujours plus important pour la compréhension du
fonctionnement des interactions du système. Le conditionnement à la
soumission fonctionne par représentations de morceaux isolés du
contexte, de parcelles détachées de leur situation en faisant
abstraction de l'ensemble, et omissions de l'essentiel trop injuste et
trop scandaleux.
La critique de la production de camelotes beaucoup trop éphémères est
toujours passée sous silence. Il est aujourd'hui techniquement possible
de produire de la qualité en moindre quantité. La plupart des
marchandises pourraient avoir une durée de vie deux fois plus longue
pour un coût de production similaire, ce qui permettrait d'en produire
deux fois moins, et ainsi d'augmenter le pouvoir d'achat et réduire la
pollution. Cela pourrait provoquer du chômage, à moins que l'on réduise
le temps de travail équitablement par une juste répartition des
richesses. Mais ce sujet reste tabou, car il remet en cause tout le
système.
La question qui ne sera jamais posée dans les représentations des
mass-médias, consiste à savoir qui paye pour l'austérité dans un monde
qui n'a globalement jamais été aussi riche. Ce n'est pas une crise de
manque de richesse, au contraire. Il y a beaucoup trop d'argent qui
circule dans les réseaux trop juteux de la spéculation financière qui
parie à la baisse sur les dettes des États affaiblis par leur
renflouement des banques, et sur les risques d'une économie ravagée par
la récession qu'ils ont eux-mêmes provoquée.
Le volume des dettes des États dépend des notes que les agences de
notation américaines leur ont données. Lorsque la note baisse, les taux
d'intérêt de la dette augmentent. Ce qui n'est pas dit par la propagande
de la soumission, c'est que cette note n'est pas le résultat d'une
enquête sérieuse, approfondie et impartiale sur la solvabilité de cet
État, mais seulement une référence indexée sur les cours du marché des
dérivés, un baromètre des spéculations en cours, un outil financier au
service des gangsters de la mondialisation.
On omet de vous dire que la hausse des taux d'intérêt sur les dettes des
États correspond étonnamment aux gains engrangés par les spéculateurs
qui misaient sur la baisse. Par ailleurs, en France, le paiement de ces
intérêts est une somme à peu près équivalente à la totalité des impôts
sur le revenu. On peut donc considérer que ces impôts passent
directement dans les poches de ces milliardaires, qui ont organisé ces
dettes par des taux d'intérêt prohibitifs et une évasion fiscale sans
faille, mise en place dans le secret et le silence médiatique. Ainsi,
c'est la majorité des populations qui payent pour surgonfler les
fortunes gigantesques d'une poignée d'escrocs, ce petit groupe fermé de
la haute bourgeoisie.
Sous prétexte de sauver l'économie, le renflouement des banques par des
États serviles a facilité les trafics des spéculateurs de l'ombre et
stimulé les affaires des truands de la finance mondiale. Les liquidités
abondent sur les marchés parallèles opaques et les bulles spéculatives
recommencent à gonfler dangereusement.
Les informations ne diront rien sur un nouveau krach majeur, bien plus
important que celui de 2008, qui semble aujourd'hui plus que probable.
Les gouvernements, déjà désarmés, n'auront plus d'argent pour sauver le
système, car ils se sont fait plumer et ont déjà tout donné pour les
banques et les sauvetages abracadabrantesques des pays en faillite.
Pillant les États et ruinant l'économie, ces milliardaires maffieux
raflent tout ce qu'ils peuvent avant les autres, et surtout avant qu'il
ne soit trop tard...
C'est le black-out médiatique sur ces seigneurs de l'escroquerie globale
qui règnent sur un monde d'illusions et de risques, complexe et obscur,
le milieu des affaires louches où tout n'est qu'objet de profits et de
surexploitation, grands destructeurs de la nature et de la vie sur une
planète ravagée. Leur seul projet consiste à en faire plus, en gagner
beaucoup plus ; baisser les salaires, les diviser par deux et même plus,
supprimer la sécu, les allocations chômage et les retraites, parier sur
tout et n'importe quoi, dérober tous les dividendes, s'accaparer tous
les intérêts, s'emparer de tous les gains le plus vites possible, monter
de nouvelles grandes escroqueries fumeuses encore plus lucratives, tant
qu'il est encore temps.
Peu m'importe de prévoir l'imprévisible dans la confusion et les
contradictions d'un monde en perdition, à savoir si l'euro s'écroulera
avant le dollar, si la bulle financière crèvera avant que la guerre
n'éclate, si le réchauffement climatique sera plus meurtrier que les
pollutions chimiques ou nucléaires, si les mouvements populaires
l'emporteront sur la répression et montée du fascisme... De toute façon,
il semble évident que si on les laisse faire, la misère et le "bien
pire" restent à venir.
Ce système, qui prétend pouvoir tout contrôler, ne peut fonctionner que
si l'on y croit, sans aucun doute. Mais dès lors que les informations
deviennent contestables, que les politiciens sont pris pour des
menteurs, que les spécialistes experts apparaissent comme des
manipulateurs, que la pub devient ridicule et l'exploitation
insupportable, alors le conditionnement n'opère plus, l'idéologie
dominante se fissure et s'effrite, et les usurpateurs de pouvoir, égarés
dans la confusion générale, ne maîtrisent plus grand-chose. Quand
l'irruption du désordre déchaîne l'irrespect des règles et le refus des
contraintes émergent de multiples possibilités imprévisibles, révélant
au grand jour la vitalité des désirs dans l'ébauche spontanée d'un
changement inévitable.
Lukas Stella, janvier 2013.
à 15:42