C’est un terme commode qui permet de nommer une réalité qui elle n’est pas commode à définir et à délimiter.
L’exercice de définition est aujourd’hui indispensable car, dépend de lui, les concepts et catégories qui seront les instruments de la stratégie politique et sociale à mettre en place pour le changement et les instruments de l’analyse pour éviter les erreurs.
Son utilisation abusive et
souvent inconsidérée permet à tout un chacun, et plus particulièrement aux
organisations de la « Gauche » de dire tout et n’importe quoi et
surtout de faire l’économie d’une analyse politique sérieuse.
GRANDEUR ET DECADENCE DE LA
CLASSE OUVRIERE
Il fut une époque, pas si
lointaine, où le terme « mouvement social » aurait été incongru,
voire insultant. C’était l’époque où l’on ne jurait, certains continuent, que
par la « classe ouvrière » et sa mission quasiment messianique de
libération de l’humanité de l’oppression.
La référence théorique que nous
avions toutes et tous et qui s’exprimait en terme de « classe » était
bien commode et nous renvoyait à des analyses simples et rigoureuses dans
lesquelles les concepts avaient des contenus précis et les options stratégiques
étaient toutes tracées.
Le développement du système
marchand, et en particulier dans les pays dits « développés » a eu
raison de ces concepts et de ces stratégies.
La classe ouvrière, tout en demeurant
exploitée par le système du salariat, n’en a pas moins tiré une série
d’avantages substantiels, les « acquis sociaux », qui lui ont fait
abandonner son projet de renversement du système : dans aucun pays
développé le système ne s’est effondré.
Les « acquis sociaux »
sont aujourd’hui devenus un enjeux d’une catégorie beaucoup plus vaste que ce qu’était
la « classe ouvrière », le problème c’est que ces nouvelles
catégories sociales n’ont pas/plus l’impact et l’expérience de la classe
ouvrière traditionnelle et faire une référence mythique plus ou moins naïve, à
cette classe, n’y suffit pas.
La classe ouvrière
« industrielle », car c’est d’elle dont il s’agit, est une catégorie
sociale qui correspond à un stade particulier du développement du système
marchand.
Quelles sont les caractéristiques
de ce stade de développement ?
- un système en pleine industrialisation,
- un système ayant un énorme besoin de force de
travail,
- un système marchand se développant dans quelques
« états-nations » concurrents et constituant l’essentiel de
l’économie mondiale.
Cette situation induit une
conséquence très particulière que l’on ne retrouve plus aujourd’hui : la
classe ouvrière est au cœur stratégique du développement du système et
donc l’Etat national, garant du développement national du système doit composer
avec elle.
C’est cette situation qui a fait
dire aux théoriciens de la « rupture » que cette classe en
constituait l’élément moteur.
L’observation était convaincante,
mais hélas fausse. Pourquoi ? Deux raisons essentielles :
- le système marchand, contrairement aux
prévisions, a voulu (tactiquement), et pu (stratégiquement), améliorer la
condition ouvrière au point de désamorcer tout processus révolutionnaire ;
- la mondialisation du capital a relativisé le
poids politique de cette classe.
Dès lors, et, on peut aujourd’hui
l’affirmer, très tôt dans le 20e siècle, les plans théoriques de
renversement du système marchand étaient obsolètes… toutes les tentatives ont
fini par des échecs, même les soit disant « succès » en fait tout à fait temporaires.
PERSISTANCE ET DEVELOPPEMENT
DU SALARIAT
Ce reflux, compensé par la
technique et la prolétarisation de nouveaux pays, et donc cette relativisation,
de la classe ouvrière industrielle, dans les pays développés, ceux-là même dans
lesquels devait se faire la révolution, n’est pas synonyme d’un recul du
salariat… au contraire. Le développement
du capital, dont le salariat est le rapport social dominant n’a fait que
développer ce dernier en lui faisant conquérir, et en développant des secteurs
jusqu’à lors plus ou moins à l’abri : agriculture, services, professions
libérales,….
On en arrive ainsi à une
situation qui peut paraître paradoxale et source de tragiques confusions :
un recul de la classe ouvrière et une généralisation du salariat. En
l’absence d’une analyse sérieuse du phénomène, toutes les dérives sont
possibles et elles ne manquent pas.
Confondre classe ouvrière
et salariés serait donc une erreur. Erreur « sociologique »,
mais surtout erreur politique, car, vouloir transposer mécaniquement le
« schéma théorique insurrectionnel classique de la révolte ouvrière »
à l’ensemble des salariés aujourd’hui n’est pas très sérieux… Pourtant
certaines organisations, par manque total d’analyse, n’hésitent pas à maintenir
plus ou moins, dans leur discours du moins, cette fiction, tout en n’ayant
comme action politique que la pratique électorale (des noms ?).
La disparition de l’image
traditionnelle de la classe ouvrière industrielle n’a rien à voir avec une
éventuelle modification du rapport salarial. Il est vrai que la « classe
ouvrière » était devenu à ce point mythique que les références qui lui
étaient faites ont peu à peu fait perdre le sens et n’en ont plus du tout
aujourd’hui.
C’est une réalité cruelle pour
celles et ceux, et ils/elles sont nombreux/ses, qui, presque religieusement ne
s’en réfèrent qu’au textes sacrés de la « liturgie » socialiste.
Peut-on pour autant parler de
« disparition de la classe ouvrière » ?
Formellement non. Il existe, même
dans les anciens pays industriels, berceau du capitalisme, des « secteurs
ouvriers », mais ceux-ci ne jouent plus le rôle économique et
stratégiquement politique que pouvait jouer la « classe ouvrière » de
l’ère industrielle. Ces secteurs n’ont plus qu’une importance économique
relative et peuvent, ce qu’ils sont régulièrement, liquidés par des transferts
de secteurs industriels dans le cadre de la mondialisation. Cette situation
modifie même, ce que ne comprennent, ou ne veulent pas comprendre, les
syndicats, les conditions de mobilisation et de luttes.
Il y a eu incontestablement une
« perte de pouvoir stratégique » de la classe ouvrière au cours des
dernières décennies, et cette perte a porté irrémédiablement atteinte à cette
référence autrefois incontournable. Durant le 19e siècle et le 20e
jusqu’au année 80, on peut parler de véritable force de frappe sociale de cette
classe : elle impose, par la force de ses manifestations et de ses actions,
des réformes et des acquis incontestables. Elle a été la référence dans la
dynamique des luttes sociales… elle ne l’est plus, sinon pour l’Histoire.
DE LA CLASSE OUVRIERE AU
« MOUVEMENT SOCIAL »
Le développement du système
marchand a donc profondément changé la donne sociologique et politique des
classes sociales. Il n’en demeure pas moins que ce système demeure et est
fondée sur le rapport social qu’il a instauré à son origine et qui, sur le
principe, reste inchangé, le salariat.
La déliquescence stratégique de
la classe ouvrière, n’a cependant pas éliminé le conflit inhérent à ce rapport
social. La situation s’est même aggravée avec le processus de mondialisation du
capital qui remet en question les conquêtes sociales à mettre à l’actif des
luttes ouvrières passées. Le problème c’est que cette « classe
ouvrière » qui avait arraché ces conquêtes, n’existe plus, en tant que
telle, pour les défendre.
Ceci explique la véritable débandade
politique et sociale des salariés face aux prétentions du Capital qui entend
revenir, et qui revient, sur tous ces acquis, les liquidant les uns après les
autres sans que les salariés trouvent la parade.
Ce que nous appelons le « mouvement
social » est cette masse disparate de salarié-e-s, dispersés, éclatés,
en de multiples corps, professions, statuts, aux intérêts sectoriels
hétérogènes, défendus par des syndicats boutiquiers, dépassés et incompétents
qui en rajoutent dans la confusion. Masse disparate mais qui prend conscience
que les « acquis sociaux » dont elle bénéficie sont peu à peu
sacrifiés sur l’autel de la compétitivité et de la rentabilité.
Les gestionnaires, de gauche
comme de droite, du Capital s’en donnent à cœur joie de diviser, segmenter,
opposer, les différentes parties d’un mouvement qui n’arrive à trouver aucune
stratégie pour conserver ses « acquis sociaux » et encore moins de
penser une alternative à ce système.
Mais, vouloir faire jouer au
« mouvement social » le rôle qu’a pu, ou aurait pu jouer, sans aller
jusqu’au bout, la classe ouvrière, est tout simplement absurde. C’est d’une
part ne tirer aucune leçon de l’Histoire et d’autre part ne pas comprendre
comment se joue le « changement ».
Le « mouvement social »
est une des expressions même des contradictions du système marchand, mais ce
statut ne dit pas comment peut-il développer une stratégie de changement, c’est
d’ailleurs son principal problème aujourd’hui. Le passif des erreurs et
impuissances politiques passées pèse sur lui. Comment peut-il les
dépasser ?
Patrick
MIGNARD
voir aussi :
« LE TROISIEME AGE DU
SYNDICALISME »
« LE TRAVAIL EN QUESTION (1)
(2) (3) (4) »