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Indymédia Paris : "J'ai vu ce qui s'est passé ce mardi 8 mars à Paris. Je n'ai pas vu de "casse" au sens traditionnel : bris de vitrine, etc. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas eu : seulement que c'était loin d'être le phénomène le plus visible. Et si pas ou peu de casse, pas de casseur ni de casseuse.
Il s'est passé tout autre chose. A première vue : des bandes de petits mecs (car c'était essentiellement masculin) qui fondaient à une bonne dizaine sur des gen-te-s isolé-e-s pour leur prendre des trucs (portables, larfeuilles, etc.). Les critères de choix étaient pas vraiment visibles : les agressé-e-s n'affichaient pas une thune considérable, étaient plutôt isolé-e-s, avaient l'air plutôt faibles (questions de taille et d'allure). Notre groupe de sept personnes, plus âgé-e-s, habillé-e-s de couleurs sombres, avec capuches et écharpes sur le visage, n'a pas été attaqué. Par chance peut-être, parce-que nous étions susceptibles de résister, aussi. Celleux qui ont été agressé-e-s ont reçu des coups, ont vécu l'humiliation terrible de se voir isolé-e-s au milieu de la foule, entièrement passif-ve-s vis-à-vis du danger encouru. C'était une putain de chasse à l'homme, aux manifestant-e-s, dans une atmosphère de défoulement et de gratuité (avec des petits coups inutiles "juste pour participer", des lynchages quand il y a résistance, pas de parole possible). J'ai ressenti une grande angoisse. Angoisse de notre impuissance à aider celleux qui se faisaient dépouiller. Angoisse aussi pour des gen-t-es du lycée pro dans lequel j'ai bossé, qui étaient complètement terrorisé-e-s au milieu d'un manif dont illes ne pouvaient sortir. Angoisse enfin face à ces actes que j'avais bien du mal à saisir et à interpréter.
C'était comme une attaque de skin sur une manif. Comme une attaque de la BAC qui vient pécho au milieu de la foule. Mais je n'aurais jamais pensé que ceux qui le faisaient seraient par leurs actesdu côté de la répression et de l'attaque lâche. La flicaille a été très peu visée, comme innocentée de l'ordre actuel des choses.
Je ne crois pas qu'il y ait eu manipulation directe. Le complotisme m'ennuie : trop utilisé par les médias lorsqu'ils ne comprennent pas, trop usé par les citoyennistes qui veulent contrôler les marges radicales et faire les beaux devant les politiques. Dans le cas présent, j'ai bien du mal à adhérer à un complot directement mené par des RG déguisés ou contrôlant les cailleras. Une telle thèse laisse une part trop grande à leur puissance de manipulation. La manipulation revient trop souvent, dans le vocabulaire gauchiste (avec son corrolaire, la "désinformation") pour justifier l'incapacités de nombres d'organisation à pousser les gen-te-s à sortir de la passivité. Or, il ne faut jamais oublier que s'il y a manipulation, c'est que les gens sont manipulables ; et là, cela renvoie à des causes sociologiques beaucoup plus profondes, qui, en fait, réduisent l'importance de la manipulation elle-même Par conséquent, ce que nous devons nous demander, c'est : les cailleras sont-elles directement manipulables ? Je ne le pense pas.
Ce qui est manipulable, c'est traditionnellement la foule. Plus particulièrement une foule solitaire, une foule dans laquelle des individu-e-s délié-e-s les un-e-s des autres réagissent comme un seul organisme et suivent les directives et les paroles d'un chef ou d'un idéal porté collectivement. Pour dire plus simplement, une foule solitaire, c'est une masse anonyme entièrement portée, dans ses actes et ses paroles, par la figure du Meneur (ou d'une idée menante). L'exemple traditionnel, c'est la masse fasciste ou stalinienne, dans laquelle chacun-e se sent en contact direct avec le Guide, et dans un état d'égalité totale avec les autres. A cette foule solitaire correspond aussi certaines manifs spontanées, à laquelle chacun-e a été poussé-e par la rage, et se retrouve entouré-e par des inconnu-e-s. Ces manifs peuvent être pacifiques comme super-violentes (contre les keufs, notamment) : c'est pourquoi les pouvoirs en place y ont bien vu la nécessité de manifs rituelles et bien réglées, avec des S.O et des pratiques "correctes" - et les organisations soucieuses de "propreté" et d'ordre ont su tirer parti d'une telle "nécessité". Aujourd'hui, les émeutes spontanées sont moins fréquentes et on en entend moins parler. Celle de Barbès, après le meutre "accidentel" d'un jeune par des policiers de la Goutte d'or, n'a presque eu aucun retentissement. Il en va de même pour celle(s ?) de la soirée du 21 avril 2002 à Paris, au cours de laquelle les affrontements ont duré jusqu'à 5 heures du mat' face à des keufs complètement désarçonnés. Mais il y a encore un autre type d'émeute ou d'affrontement : l'émeute (ou l'affrontement) organisée. C'est l'émeute "black block", où chacun-e, loin d'être seul-e, est organisé-e dans un groupe affinitaire (fondé sur des liens et une véritable connaissance de chacun-e par chacun-e) qui poursuit des objectifs politiques précis comme le taguage, cassage des vitrines des représentants majeurs de la société spectaculaire-marchande ou les affrontements avec la flicaille. Quoiqu'en disent bien des gentil-le-s citoyen-ne-s, ces foules affinitaires et émeutières sont loins d'être manipulables, puisque chaque groupe reconnaît les sien-ne-s et détient ses propres objectifs. A la limite, celleux qui peuvent être manipulé-e-s sont celleux qui débarquent au milieu des affrontements sans connaître personne. Les groupes que j'ai vu agir ce mardi 8 mars ressemblent plus à des groupes affinitaires qu'à une foule solitaire. Chacun-e, à l'intérieur des bandes ou des crews avaient l'air de se connaître et d'entretenir une solidarité (de cité, de lycée, liée à des années passées ensemble, etc.). Je ne vois pas comment, dans une telle configuration, des "provocateurs" auraient pu s'infiltrer et conduire les actions : ce serait sans compter sur les interconnaissances et postuler des "tribus sauvages" menable par n'importe qui. On pourrait aussi supposer qu'un groupe entièrement formé par des keufs aurait pu pousser les autres à suivre l'exemple, mais d'une part, c'est bien trop machiavélique et organisé, et, d'autre part, je me demande si cela seul aurait suffi pour entraîner les autres.
Donc, exit la manipulation directe, car les cailleras n'étaient probablement pas directement manipulables dans la situation donnée. Cherchons donc ailleurs. Les jours qui ont précédé ce mardi, nous avons pu voir, lire et entendre que les RG prévoyaient - par je ne sais quel pouvoir de divination - qu'il y allait avoir entre "cinq cent et sept cent casseurs". Une rumeur s'est donc développée qui disait que la manif allait être chaude, ce d'autant plus que le gouvernement, à travers des annonces, demandait que les services d'ordre soient considérables. A partir de là, il me semble fort possible que - le souvenir des précédents mouvements lycéens aidant - la prophétie/rumeur des RG soit devenue auto-réalisatrice, c'est-à-dire qu'est arrivé ce qui était prévu : cela a sonné le rappel. Mais cela n'explique pas du tout la tournure des événements. Les fois précédentes, le racket avait été largement mineur, à côté des voitures brûlées et des vitrines pêtées. Ces fois-là, il y avait vraiment des casseurs et des casseuses. Pour comprendre véritablement, il faut donc voir ailleurs, même si nous avons là le déclencheur principal. Tout d'abord, les voitures avaient été préalablement retirées par les keufs le jours d'avant. Par ailleurs, les magasins étaient fermés, grillagés et directement protégés par des keufs (en civil ou non). Enfin, les keufs ne sont pratiquement pas intervenus dans la manif. En gros, il manquait ce qui d'ordinaire, sont les objets de la rage sociale et émeutière. Pas de caisses à défoncer, de vitrines à pêter (et à piller), de keufs qui démontrent en acte le caractère policier et répressif/dépressif du monde dans lequel nous sommes aujourd'hui forcés d'évoluer. En somme, les conditions d'une émeute traditionnelle n'étaient pas réunies.
Je ne saurais dire dans quelle mesure cette conjonction d'éléments étaient voulues et si ses effets étaient prévus. Je pense que non. Les dispositions mises en place visaient simplement à protéger la propriété à partir des expériences antérieures. De plus, si les flics ne sont pas intervenus, c'est tout simplement parce-qu'ils ne pouvaient pas, à moins de se prendre des coups sévères. Des petits crews vénères comme ce que j'ai vu se fondent trop rapidement dans la foule, on ne peut repérer aisément les coupables (car tout le monde est à peu près habillé pareil) et il leur serait facile d'isoler un keuf. La situation était trop dangereuse pour eux. Il faut sur ce point, arrêter de croire que la flicaille est toute-puissante : elle ne pouvait rien faire, à moins d'interdire la manif ou de tabasser tout le monde : deux choses que le gouvernement n'est pas prêt à faire. Donc exit aussi la passivité voulue des keufs (ce d'autant plus que partout ou un traitement "différencié" pouvait se faire, illes l'effectuaient : métro, carrefours, etc.).
Reste que ceci ne nous permet pas de comprendre pourquoi les cailleras se sont littéralement retournés contre celleux qui manifestaient. Car il me semble qu'il y a un abîme éthique entre la casse traditionnelle et ce que nous avons vu ce mardi 8 mars. S'en prendre à des biens ou à des voitures sous vitrine, quoiqu'en disent les médias et la justice, n'est pas à proprement parler une violence. Il s'agit (et l'interprétation est désormais traditionnelle) de briser l'emballage métaphysique qui entourent, dans la situation marchande, les biens de consommations. Dans ce cadre, on nie la qualité de marchandise des objets, et ce faisant on en nie la propriété. Il s'agit d'un changement de regard : on nie la relation marchande qui fait du produit une marchandise. Il y a une continuité entre cet acte et celui du récupérateur sur les marchés, qui, en récupérant, en se passant de la relation marchande, réaffirme la valeur d'usage aux dépends de la valeur marchande. Cette continuité nous indique bien qu'il ne s'agit pas véritablement de violence, bien que l'acte de casser sorte de la normalité. Dans le cassage (qu'il soit ou non accompagné de pillage) on cherche à dévoiler la mystification de la marchandise : il s'agit avant tout de chercher à mettre à nu le biens (et, parfois, de l'emporter). La personne qui détient le bien est secondaire : la plupart du temps, il ne lui sera fait aucune violence corporelle.
La violence corporelle, c'est tout autre chose. Mettons de côté la violence envers la police : les keufs l'usent et l'aiment tellement qu'il est possible de saisir pourquoi, historiquement, le peuple a dû s'en prendre à elleux. Et je pense que le recours à ces moyens n'a jamais été sans remord pour les participant-e-s, à la différence absolue des keufs et autres exterminateur-euse-s qui se lavent les mains de leurs crimes quotidiens (car eux suivent des ordres : leur irresponsabilité explique leurs manques sensibles et affectifs). Parlons de la situation de ce mardi. Il n'y avait pratiquement que des agressions sur des personnes, pour quasiment aucun gain (rapportée à ce qu'un pillage offre comme possibilité). On pourrait dire que c'était par défaut de magasins : mais il me semble que c'est trop faible. J'ai eu l'impression que les participants éprouvaient un véritable plaisir à agir d'un telle manière. Si l'enjeu était purement fonctionnel (obtenir de la thune), il n'y aurait pas eu ces coups lâches au sol, ces coups de pied donnés au hasard, etc. Je dirais qu'il ne s'agissait ni d'une manipulation ni, à proprement parler, de racket, mais bien simplement d'un tabassage généralisé. C'est là qu'il y a quelque chose d'absolument nouveau. Avant, ce type d'acte était ultraminoritaire. Pourquoi ces tabassages ? Une première interprétation, traditionnelle, me semble fausse. Celle qui dirait : il s'est joué une opposition de classe entre les tabasseurs et les manifestant-e-s. Il aurait s'agit alors d'un simple réglement de compte classe contre classe. Cette interprétation, pour radicale qu'elle soit, ne résiste pas au fait qu'il y avait une présence massive des lycéen-e-s des classes populaires dans le cortège. Si les grands médias transcrivent principalement les discours de lycéen-e-s parisien-ne-s issus d'établissements reconnus, c'est parce-qu'eux font proportiennellement plus partie des syndicats lycéen-e-s et sont plus susceptibles d'avoir la parole lisse que réclament les médias. Donc : pas de consistante opposition de classe.
Pour tenter de comprendre, il faut peut-être passer à un niveau symbolique/métaphysique. Que représentaient les manifestant-e-s pour les tabasseurs ? En premier lieu, illes étaient la figuration même de celleux qui acceptent les règles du jeu. Celle de la manif-défilé tranquille et de l'image à donner dans les médias. Puisqu'ils suivaient les règles du jeu spectaculaire, on peut supposer que, par un processus d'association, illes sont devenu-e-s, dans la tête des tabasseurs, des figurants pour la télé, des acteurs irrespectables qui veulent faire partie du Spectacle. Quand on voit le désir de certains des tabasseurs de passer devant les caméras, on peut se demander si sur ce point la confrontation n'avait pas pour enjeu de déterminer qui sera la star du jour. Si l'on continue sur cette piste, on peut essayer de trouver des binômes qui s'opposent. On pourrait d'abord dire qu'il s'agissait d'un opposition phantasmée par les tabasseurs entre inclus-e-s et exclus du système scolaire, entre ceux qui glandent et foutent le bordel et celleux qui l'acceptent tout en voulant l'améliorer. Pour le coup, il y là une putain d'erreur sociologique qui serait encore redoublée si l'on disait : c'était la violente puissance des cités contre celleux qui vivent en pavillon ou en ville. Tout le monde était beaucoup trop mélangé, la diversité des origines indiquait que ce n'était pas vraiment le cas. Il est possible d'expliquer cette erreur tragique. D'un côté, les médias, avec leur vieille opposition manifestant-e-s/casseur-euse-s laissent toujours entendre que ces oppositions binaires existent ; de l'autre, avec une bonne dose d'aveuglement, la mise en scène de la manifestation pouvait se prêter à un tel phantasme : les camions sonos habituels, l'ordre rangé et festif au centre, et les cailleras sur les côtés. Ce qu'il faut se demander c'est : "par quels processus ont-ils vu ce qu'ils avaient prévu de voir ?". Les médias sont importants pour le saisir. Beaucoup de manifestant-e-s croient que l'enjeu d'une démonstration comme celle-ci est de se montrer médiatiquement, qu'il faut passer par là pour se faire entendre. Cette vision conditionnée spectaculairement de la confrontation trouve en définitive échos dans celle des tabasseurs qui avaient toutes les chances de vouloir y voir cette mise en scène spectaculaire binaire, avec des bons et des méchants.
D'un côté, il y a la puissance du Spectacle, qui conduit à faire voir des choses même si l'expérience démontre l'inverse. Le phantasme de toute-puissance auto-propagé par les médias fait croire au lycéen-ne-s que tout doit passer par les médias, que ces derniers donnent une puissance magique à leurs revendications. Et, en retour, le Spectacle produit des confrontations de plus en plus mises en scène, au point même que l'on peut finir par y voir un jeu d'acteurs. De l'autre côté, on peut tenter de donner des explications internes aux groupes des tabasseurs. Le fait qu'il n'y avait que des petits mecs indique bien un problème autour de la question du sexe. A l'intérieur de ces groupes, comme dans la plupart des groupes d'ami-e-s, règnent une atmosphère totalement viriliste et sexiste. Chacun sa tâche, chacun son rôle. D'un côté, les filles et les bourgeois qui manifestent (d'ailleurs la télé est réputée pour être "pleine de pédés"), disent et font des trucs de meufs ; de l'autre les durs qui jouent les coqs et veulent s'émoustiller les uns et les autres. Je ne m'attarderai pas là-dessus. Ce qu'il importe de comprendre, c'est qu'il s'agissait toujours de montrer aux autres qu'on en était capable : ce qui n'a rien de spécifique à ce type de groupe. Dans ce qui n'était plus qu'un jeu, il fallait dépassser (et la masse du groupe était là pour y aider) ses propres réticences à frapper aveuglément et violemment sur n'importe qui. Ce qui aide à dépasser ce type de résistance, c'est de pouvoir se dire qu'il ne s'agit que de choses, de symboles, d'objets, et non de véritables personnes.
Les keufs de la BAC ne regardent jamais dans les yeux mais au niveau du front pour ne pas croiser le regard des victimes qu'illes tabassent. Les agents des camps réduisaient ceux qu'ils allaient exterminer à l'état de "matériau" ou de "vermine", et celleux qui mourraient le plus rapidement étaient celleux, qui, dans leur regard, gardaient les traces d'un humanité profonde.
Pour que les tabasseurs s'en prennent aussi violemment aux manifestant-e-s, dans les conditions que nous avons précisées (absence de bagnole, commerces fermés, pas d'affrontement avec les keufs), il fallait que soit perçue une différence de nature entre eux et les autres. Dans un système éducatif qui nie hypocritement son rôle de reproducteur des inégalités sociales au nom de la "méritocratie" et sous-entend que la différence de réussite repose non sur ces différences sociales mais sur des degrés d'intelligence, et donc ancre la hiérarchie sociale dans le domaine du naturel/génétique, il serait presque naturel, pour celleux que l'institution rejette, de s'en prendre aux bons manifestants qui ne font que redoubler symboliquement les bons en cours. Si pour que la violence corporelle soit mise en oeuvre, il faut voir dans l'autre quelqu'un qui n'a pas la même nature, il ne faut pas oublier la responsabilité du système qui lui-même transforme des différences de classe en différences de nature. Si les manifestant-e-s ont été tabassé-e-s, c'est en partie parce-que les tabasseurs les voyait d'une nature différente. Quand on ajoute à cela le fait que la différence de classe, au-delà du niveau d'intelligence, est souvent pensée en terme de racisme (de l'école, des profs, etc.), il n'y a qu'un pas à franchir pour se dire que les tabasseurs se vengeaient contre des blancs (même si ce n'était vraiment pas le cas...) qui ont toutes les chances de réussir et les oppriment au jour le jour. Ce mode d'appréhension de la société française, où la différence de classe est assimilée à une différence de race est le dérivé du côté des opprimé-e-s, de l'idéologie raciste. Quand on connaît le racisme fréquent des keufs et de la société française, on peut aisément comprendre qu'une telle interprétation surgisse, avec les conséquences que l'on sait. Le problème, c'est que le racisme de la société française n'est pas tant dans les têtes (comme résultat d'une "ignorance") que dans ses institutions qui reproduisent une société divisée en classes. Je ne m'étendrai pas plus là-dessus. Ce qu'il faut saisir, c'est que dans un monde où les immigré-e-s se retrouvent principalement dans les classes populaires, les mécanismes qui reproduisent ce système de division sont facilement perçues comme racistes, alors qu'il s'agit avant tout de la reproduction d'un système social inégalitaire. Les conneries du 8 mars sont notamment le produit de cette simplification "cohérente" du conflit de classe. Pour le pire : non seulement il me semble que les tabasseurs avaient eux aussi tout intérêt à manifester (même violemment contre les keufs et le pouvoir), mais ils n'ont pas su voir que c'était loin d'être que des blanc-he-s qui manifestaient.
Je pourrais maintenant résumer mes explications de ce qui s'est passé le 8 mars pour que ce soit plus clair pour tout le monde :
D'abord, les conditions qui ont produit cette situation extra-ordinaire.
- Il y avait des conditions spatiales spécifiques : absence de caisses, de magasins ouverts à pêter ou à piller.
- Il y avait des conditions de répression spécifiques : les keufs sur les bords empêchaient toute casse véritable, les keufs pouvaient difficilement intervenir sans s'en prendre à tout le monde ou sans se prendre des coups, les rues sur les côtés et les stations de métro étaient fermées enfermant tout le monde danss un vaste piège. Surtout, des keufs qui n'agissent pas, cela enlève tout ennemi direct, et surtout un ennemi qui aurait pu être commun.
Ensuite, les déclencheurs ponctuels d'une manifestation avec un tel nombre de personnes sur les bords.
- Une rage des lycéen-ne-s qui selon moi, va bien au-delà des revendications avancées.
- Une volonté de participer au rituel spectaculaire de la manifestation.
- Des rumeurs des RG indiquant qu'il y aurait beaucoup de "casseurs".
Enfin, ce qui peut expliquer ce tabassage généralisé.
- La spectacularisation des conflits sociaux qui en fait un vaste jeu avec des figurants (des figurants à être et/ou à taper).
- Des logiques de groupe virilistes et sexistes qui poussent à l'actualisation massive de gestes que l'on ne ferait pas forcément seuls.
- Le phantasme médiatiquement entretenu de situations manichéennes : les bons/les méchants, les bons élèves/les mauvais élèves, les bons lycées/les mauvais lycées, les villes riches/les banlieues pauvres, les blanc-he-s/les immigré-e-s.
- Des dispositifs institutionnels qui ancrent et naturalisent les différences : de classe (et, dans la situation actuelle, de "race"). Cette naturalisation, associée aux trois points précédents, a contribué à forger un regard pour lequel le-la manifestant-e n'est plus un semblable mais un tout-autre, une chose, un symbole, etc.
Tout ceci ne vise pas à justifier ce qu'il s'est passé ce mardi 8 mars, mais seulement à tenter de le comprendre sans passer par des interprétations unilatérales et fausses : celles qui évoqueraient, de manière raciste, le caractère sauvage de ceux qui ont agi ; celles qui crieraient trop facilement à la manipulation ; celles qui mettrait avant tout l'accent sur les conditions spatiales de la manifestation ; celles qui, à prétention radicale, en viendraient à justifier ces actes par une trop simple opposition de classe.
Pour tout dire, ce qu'il faut aujourd'hui, c'est ne plus jamais laisser une telle situation avoir lieu. Les manifestations spontanées sont bien plus intéressante que ces manifs prévues à l'avance : on bouge dans son propre quartier, on se fait entendre, on gêne la circulation, on montre sa rage sans que la répression puisse faire quoique ce soit. C'est ce type d'événements ponctuels qui fait bien plus flipper les pouvoirs en place. De plus, le vécu est bien plus intense, on est plus entre soi, dans des lieux connus, on peut croiser celleux qui avaient pas l'intention de venir, etc. Autre chose : occuper son lycée, bloquer les portes d'accès, y organiser des repas collectifs, préparer des petites actions, ça fout beaucoup plus le bordel que les manifs en rang et c'est beaucoup plus intéressant. Pourquoi ne pas organiser des AG dans les lycées pour faire des actions et ateliers de réflexion (sur le modèle éducatif, la reproduction des inégalités sociales, l'individualisation des parcours, la possibilité de destin collectif entre ami-e-s, la nécessité de rapport prof-élève...) ?
A cela pourrait s'adjoindre des grosses manifs. Mais dans ce cas, il faudrait changer de tactique, ne pas reproduire les manifs plan-plan des fonctionnaires qui ne mènent pas à grand'chose. Ce que les manifs ordinaires oublient, c'est la nécessité d'une confrontation, de foutre un gros bordel flippant. On dira : puisque la manif est dans l'ordre du symbolique, il faut mettre en scène un conflit abstrait. Je rappelerais plutôt qu'une manif est une démonstration de rage, c'est corporel, c'est chacun-e qui vient avec son désir, sa rage pour démontrer sa force et sa détermination à, au minimum, bouleverser ce monde. On ne vient pas pour simuler un conflit comme des figurants mais pour montrer que ce conflit existe. Ce qui a principalement manqué à la manif du mardi 8 mars, c'est cette union habituelle (négative, certes) entre tous contre le pouvoir répressif. Il faudra donc, à moins d'en rester là, prendre plus de risque, se préparer physiquement un peu plus, prendre les moyens de se défendre contre les keufs, et commencer à y aller vraiment car nous n'aurons rien sans sortir des cadres qui nous sont donnés.
à 00:53