Lu sur
CMAQ : "Lerreur de la théorie révolutionnaire jusquà ce jour est davoir inoculé une nature révolutionnaire dans le prolétariat. À partir de ce concept, toutes les déviations opportunistes et autoritaires ne furent quune question de conséquence. Le prolétariat est le produit du capital, sa nature est de reproduire les catégories du capital : la production de valeur, la marchandise, le salariat, le marché, etc., tout ce qui compose le rapport social dexploitation, dans le seul et unique but de se reproduire lui-même comme prolétariat, de saffirmer comme classe face au capital. Ici, il faut bien comprendre que la lutte de classes est un produit du capital et quun des termes ne peut exister sans lautre. Ce qui implique que la conscience de classe ne conduit pas logiquement à une conscience révolutionnaire (sur ce point, nous y reviendrons plus loin).
La nature du prolétariat, de par ses limites comme un des éléments qui composent les prémisses du capital, cest-à-dire la lutte des classes, est contre-révolutionnaire. Cest cette nature contre-révolutionnaire du prolétariat qui fut la grande faiblesse des théories révolutionnaires fondatrices du XIXème siècle et cest encore cette même grande faiblesse qui se reproduit dans les nombreuses théories révolutionnaires contemporaines.
Depuis Marx, la théorie révolutionnaire a cru saisir dans lactivité du prolétariat plus que la simple contradiction qui fait le mouvement du rapport social dexploitation quest le capital : la lutte de classes. Le prolétariat, au travers son activité dialectique à lintérieur du capital, était saisi comme potentiel révolutionnaire, donc que son activité était de par sa nature communiste et révolutionnaire. Et quà partir de ces conditions comme classe à lintérieur du capital, le prolétariat pouvait devenir classe consciente delle-même et ainsi réaliser son potentiel communiste emprisonné par le capital. Voilà comment par la logique hégélienne, le prolétariat devient un sujet révolutionnaire.
LA QUESTION DORGANISATION
Ce qui découle de ce que je viens dexposer sur la prétendue nature révolutionnaire du prolétariat est lélément central qui va maintenant nous permette dessayer de comprendre ce qui ne va pas avec lorganisation révolutionnaire. Nous avons vu que le prolétariat ayant été faussement inoculé dune nature révolutionnaire et ayant par conséquent à lintérieur de lui-même un potentiel virtuel, le communiste, il ne restait plus quà ce sujet révolutionnaire de prendre conscience de lui-même pour que la révolution advienne. Mais voilà, le prolétariat étant en fait intégré au capital et ne pouvant sortir de cette réalité, il se trouva donc aliéné de sa conscience.
La conséquence de cette aliénation première, cest quune deuxième médiation aliénante devait sinterposer pour apporter cette conscience de classe : cest lorganisation révolutionnaire. Cette organisation qui se veut lexpression consciente de la nature révolutionnaire du prolétariat, en exprime aussi le programme et ce programme nest rien de plus que la tâche historique du prolétariat de faire la révolution, soit la prise en main de léconomie (lautogestion) qui est supposé réaliser le communiste.
Mais puisque la réelle nature du prolétariat est de reproduire les catégories du capital afin de se reproduire comme classes, il est impossible pour lui de réaliser le communisme en affirmant sa nature puisque sa nature est intégrée à la reproduction des prémisses du capital. Ce qui explique pourquoi la conscience de classes ne pose pas les limites de cette conscience. Et le programme qui nest rien de plus que laffirmation de la nature du prolétariat, donc lexpression de sa conscience, contient aussi ses limites comme programme de la contre-révolution. Doù, finalement, la nature nécessairement contre-révolutionnaire de toutes organisations révolutionnaires qui ne pose pas les limites de la conscience de classe, quelles soient communistes, anarchistes, social-démocrates, anarcho-syndicalistes, bolcheviks, conseillistes ou même situationnistes.
La contradiction qui hante ces organisations se résume dans le « programmatisme » qui dun côté veut affirmer la nature révolutionnaire du prolétariat et de lautre veut construire le communisme qui fondamentalement commence par la destruction du prolétariat et des conditions de son existence : les prémisses du capital. Ce nest pas dune conscience de classe que nous avons besoins mais dune conscience révolutionnaire qui est aussi lexpression des limites du prolétariat comme sujet révolutionnaire.
LA CONSCIENCE RÉVOLUTIONNAIRE
Donc, puisque nous avons vu que le prolétariat ne peut être un sujet révolutionnaire de par sa nature même et que la conscience de classe est insuffisante à déterminer la tâche révolutionnaire, il nous faut maintenant définir quest-ce que la conscience révolutionnaire et qui en est le sujet. Également, nous avons soulevé que la conscience (révolutionnaire ou de classe) dans le rapport dexploitation capitaliste est aliénée par ce même rapport, doù a émergé le concept situationniste de « spectacle », et quaucune médiation extérieure ne peut apporter cette conscience sans devenir elle-même aliénante et autoritaire (ce qui est le cas de la NEFAC par exemple). Mais essayons de dépasser ce paradoxe.
Si en effet, la conscience de classe implique laliénation par lorganisation révolutionnaire, la conscience révolutionnaire doit en être la négation et le dépassement. Ce qui veut dire que la conscience révolutionnaire actuellement ne peut être de prime abord que lexpression des limites de la conscience de classe. Mais quest-ce que ça veut dire dans le concret ? En fait, la conscience révolutionnaire pose les limites de la lutte de classes en tant que la lutte de classes ne débouche pas de façon naturelle sur la révolution et donc quelle contient ses propres limites.
Ici, la lutte de classes, cest ce que nous avons maintenant lhabitude, entre nous, de nommer le « citoyennisme », et dans les pays du Moyen-orient, cest ce qui a été diabolisé par « islamisme ». Ce sont deux formes culturelles et sociales de la lutte de classes, du prolétariat qui défend ses intérêts contre ceux du capital, qui saffirme comme classe de façon, il est vrai, inconsciente mais réelle. Bien entendu, le « citoyennisme » et l « islamisme » contiennent leurs propres limites sur leur propre champ culturelle et sociale, qui ne sont pas les mêmes que celles du « programmatisme », cest-à-dire de la révolution vue comme laffirmation du prolétariat en tant que classe révolutionnaire, mais il en reste pas moins que cest au travers ces mouvements culturels et sociaux que sexprime la lutte de classes aujourdhui et cest au travers cette expression bien réelle quil faut se situer comme conscience des limites et comme volonté du dépassement révolutionnaire.
Finalement, ce que je cherche à démontrer par ce point de vue cest que lun ne va pas sen lautre. Que la question culturelle est effectivement intégrée au développement du rapport social dexploitation capitaliste, à la dialectique de la lutte de classes, mais que toutefois, cette question ne se réduit pas à ce développement. Bien au contraire, car la question révolutionnaire se pose aussi en terme de culture (voir plus loin), mais surtout en question de vie quotidienne. Ce qui pour moi revient à dire que lactivité réelle des individus à lintérieur de leur communauté sociale et culturelle se pose inévitablement sur le terrain du capital sans que ce denier soit le seul et unique terrain sur lequel se pose la question des rapports sociaux.
LE SUJET RÉVOLUTIONNAIRE
Maintenant que nous savons que la conscience révolutionnaire est lexpression des limites de la conscience de classe et de leurs différentes variantes culturelles, il nous faut trouver le sujet à partir doù se développe cette conscience révolutionnaire. Mais avant daller plus loin, jaimerais souligner davantage que la conscience révolutionnaire nest pas seulement lexpression des limites de la conscience de classe, mais en est aussi la volonté de dépassement. Ce dernier point est primordial pour comprendre la suite.
En effet, la conscience révolutionnaire est plus quune simple expression des limites, sinon cela voudrait dire que le sujet est révolutionnaire quà partir de contingences extérieures seulement et donc que la subjectivité du sujet est niée. Cest justement cette logique objectiviste et totalitaire que jai voulu démontrer en décortiquant le « programmatisme » comme logique contre-révolutionnaire et qui tire ses sources dans la philosophie de lhistoire de Hegel et dans le matérialisme historique de Marx. Au contraire, la conscience révolutionnaire ne peut être conscience et révolutionnaire que si elle est aussi lexpression de la volonté du sujet à faire la révolution et à construire le communisme. Et cest là à mon avis que la question culturelle revient au galop.
Dans la question culturelle, pour reprendre la pensée de Nietzsche dans ce quelle a dintéressante, cest la question des valeurs qui est posée. En dautres mots, quelles valeurs attribuons-nous à lindividu, aux plaisirs, à la raison, à la morale, à lhistoire, au travail ? Cest effectivement à partir dun tel questionnement quil est possible au sujet de développer sa conscience subjective et de refuser les conditions de son exploitation, sa prolétarisation. Et cest peu dire que cest lorsque la théorie révolutionnaire a posé lindividu et le plaisir au premier plan contre la raison, la morale, lhistoire et le travail - abstraction qui trouve leur incarnation réelle dans une forme quelconque dÉtat ou dÉglise - que le sujet révolutionnaire a trouvé sa meilleure expression. Il nexiste rien au-delà de lindividu qui puisse lui dicter le sens de son activité quotidienne; ni travail, ni patrie, ni raison universelle, ni religion, ni même lhumanisme, ni la même la citoyenneté, la conscience révolutionnaire ne joue pas avec la métaphysique. Ce qui fait la force du sujet révolutionnaire, cest quil se pose lui-même comme médiation de sa conscience.
En sommes, le sujet révolutionnaire ne peut quêtre lindividu affirmant sa souveraineté, lUnique en quelque sorte. Pas cet individu abstrait de la réalité sociale, mais plutôt cet individu qui prolonge sa souveraineté, sa liberté, avec celle des autres, cet individu dont la principale activité est de vivre et avoir du plaisir en sassociant avec dautres individus.
QUE FAIRE ?
Tout ça sest bien joli, mais on ne peut rester à rien faire, on a besoin de sorganiser quelque part, non ? Cest exact. Cependant, la question organisationnelle ne se pose pas de la même façon que peut la poser la NEFAC.
Ici, lintérêt nest pas de faire de la propagande, ni davoir un programme auxquels les gens puisent se rallier. Au contraire, lintérêt de lassociation est de valoriser lindividu comme sujet révolutionnaire, donc daffirmer les limites du « programmatisme » et de ses nombreuses variantes et de le déconstruire comme aliénation idéologique. En dautres mots, cest de discuter et dapprendre à se connaître comme individu unique, libre et souverain en se débarrassant de toutes les références idéologiques et métaphysiques qui nous abstrait de nous-mêmes. Donc, de développer une organisation fondée sur la souveraineté de lindividu et sur ses relations damitié.
Dans la vie de tous les jours, une association dindividus libres et souverains ne devrait pas se fonder comme institution permanente avec sa constitution de droits et devoirs et son programme de buts et principes, car une telle institution devient très vite autonome par rapport à ses membres et fonctionne quand transformant ses membres en fonctionnaires (ou bureaucrates). Toutes associations ne devraient tenir son existence que de façon contingente, cest-à-dire que lorsque les individus qui sassocient en jugent la nécessité et fonder cette association sur cette nécessité. De cette façon, une association ne peut devenir autonome parce que les individus qui laniment la font vivre que le temps quils jugent nécessaire à leurs activités. Cest pourquoi, je considère la question de lorganisation comme étant une fausse question. Ce nest pas lorganisation qui fait la révolution mais lactivité quotidienne des individus. Ce qui nous amène à poser la question des racines organisationnelles de nos activités ou ce qui veut dire la même chose, quest-ce qui détermine le sens et les modalités de nos activités comme individu, comme association dindividus et même comme communauté dindividus, car cest bien plus lorsque nos activités sont déterminées par une médiation autonome et hétérogène comme le capital que les rapports sociaux qui en découlent sont des rapports daliénation et de domination.
Mais encore, il faudrait réfléchir en quoi les activités humaines sont des médiations entre lindividu et le monde quil interprète et transforme selon ses intérêts et aussi en quoi le langage, donc la discussion, est lactivité humaine, la médiation par excellence qui contient tous les autres. Tout cela, nous démontrerait limportance du débat et de la rencontre pour construire le communisme, sauf que je crois que pour linstant jen ai assez dit.
Gavroche
Très bonne analyse du problème prolétarien
Je trouve ce texte très brillant. ça fait du bien de lire des trucs aussi réfléchis et intelligents à travers tout ce bourbier de pédanterie et de condescendance qu'on peut lire un peu partout sur ce site et ailleurs. Je crois aussi que l'individu (souverain et libre - au sens d'autodéterminé) est la seule entité qui puisse réellement dépasser l'aliénation du capital au sein du capitalisme. Car en effet, les doctrines eschatologiques (Hegeliennes, marxistes, staliniennes, castristes, etc.) enferment l'existence humaine dans une illusion abstraite qui freine la volonté subjective. Sans tomber dans l'hyper-subjectivisme (nous sommes aussi hétéronomes), je pense qu'il faut faire confiance en la puissance intrinsèque de l'homme que l'on peut, pour la nommer, appelée volonté immanente. La transcendance sous toutes ses formes (ex: Dieu, Destinée, Raison universelle, Humanité, etc.) a déjà trop coûté à l'être humain. Ce dernier a trop longtemps et trop souvent laissé de côté son jugement personnel (éthique, esthétique, spirituel) entre les mains d'autorités dites compétentes (Églises, États, etc.). L'individu doit certes considéré son aspect extradéterminé (dans le sens de conditionné de l'extérieur) mais afin de surpasser cet état, dans le but d'éventuellement se réapproprier son existence et le sens qu'il accorde à celle-ci. La valeur de la vie doit être jugée par L'être humain et non point imposée par le capital ou l'$. La référence à Nietzsche me semble très pertinente. La mort de Dieu dont il a tant parlé nous propose de prendre le relais de ce dernier, c'est-à-dire d'accorder dorénavant nous-mêmes, par le biais d'associations volontaires et libres, la valeur des valeurs, le sens de la vie, la raison de l'existence. Nietzsche propose en fait de créer notre vie comme une oeuvre d'art, selon nos goûts et dégoûts, de vivre la vie plutôt que la théoriser et l'enfermer sans cesse dans une réalité de tout manière illusoire. Enfin, je crois que la perspective historique peut nous aider à connaître les croyances des anciens et apprécier (ou déprécier) les valeurs archaïques ainsi que les cultures traditionnelles, mais celle-ci ne doit jamais entraver la marche du prÉsent et la liberté de l'action spontanée et volontaire. Nietzsche, dans sa deuxième considération intempestive, dénonce l'effet paralysant de l'historicité et critique vivement les théories de la finalité de l'histoire humaine de Hegel et de Comte. L'association volontaire entre individus libres et conscients de leur caractère relativement hétéronome, me paraît en effet être le plus réaliste dans la société aliénée par la force du capital dans lequel nous vivons. Le prolétariat et sa conscience de classe me paraît effectivement être contre-révolutionnaire au sens où vous le présentez car ce dernier semble pouvoir réaliser pleinement sa condition d'existence uniquement à l'intérieur du rapport de classe de type capitaliste. La bourgeoisie, le travail salarié et le capital lui donnent ses raisons d'être en quelque sorte.
J'espère ne pas avoir trop déformé le contenu de votre pensée et avoir apporté quelque réflexions supplémentaires intéressantes sur le sujet (qui soi dit en passant fait changement des débats nivellés par la bas qu"om entend régulièrement entre réformistes-citoyens).
Encore une fois bravo pour votre texte.
stirnerfreuk