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L'En Dehors


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Pour comprendre la "crise" agricole.
Lu sur Anarchistes rennais organisés au sein du Groupe "La Commune" de la Fédération Anarchiste - Redirect by ulimit.com : "L'homme n'est pas né agriculteur ou éleveur ; il l'est devenu après des centaines de milliers d'années d'hominisation. Pendant longtemps, la chasse, la pêche et la cueillette vont assurer sa subsistance ; le plus souvent, en se déplaçant de campement en campement, après avoir épuisé les ressources du voisinage ; parfois en se sédentarisant, lorsque certains milieux s'avèrent plus riches en produits végétaux conservables (graines, fruits secs) ou en produits animaux fréquemment renouvelés. C'est au néolithique seulement, il y a moins de dix mille ans, qu'il a commencé à cultiver des plantes et à élever des animaux, qu'il a lui- même domestiqués, introduits et multipliés dans toutes sortes de milieux, transformant ainsi les écosystèmes naturels originels en écosystèmes cultivés. Grâce à de longs siècles d'observation acharnée pour comprendre le mécanisme de développement et de reproduction des végétaux, on passe ainsi progressivement de la prédation à l'agriculture.

Depuis le néolithique donc, le développement de l'humanité s'est accompagné d'une transformation, d'une différenciation progressive des systèmes agraires (on appelle système agraire à la fois l'écosystème cultivé : le sol, les plantes, les animaux, et le système social productif: l'homme, le matériel, les pratiques culturales, les échanges, leur organisation, leur fonctionnement et leurs interrelations). Au cours de l'histoire, l'agriculture va prendre des formes complexes et variées ; différents systèmes agraires vont évoluer, se succéder (culture sur abattis-brûlis, culture attelée, légère ou lourde, avec ou sans jachère, systèmes motorisés, spécialisés).

Aujourd'hui, l'agriculture "moderne", qui utilise beaucoup de capital et peu de main-d'oeuvre, s'est généralisée dans les pays dits développés.

En dépit des milliards dépensés pour la promouvoir, elle n'a pénétré que dans quelques secteurs limités des pays "en développement".

Compte tenu des incidences négatives de plus en plus visibles de cette agriculture productiviste, au Nord comme au Sud, il serait dangereux de penser que ce système agraire puisse se généraliser à l'ensemble de la planète, et même qu'il puisse constituer la meilleure voie possible pour les pays industrialisés. Une remise en cause est incontournable.

Les gains de productivité provenant de la deuxième révolution agricole (motorisation, mécanisation, fertilisation minérale...) ont entraîné une baisse très importante des prix réels de la plupart des denrées agricoles, et le rapport de productivité du travail entre l'agriculture manuelle la moins productive du monde et l'agriculture motorisée et mécanisée la plus productive est passé de 1 contre 10 au dé but du siècle à 1 contre 500 aujourd'hui. Confrontés à cette concurrence, les agriculteurs les moins équipés, au Nord comme au Sud, sont condamnés à la régression et à l'élimination. Des centaines de millions d'exploitation paysannes ont ains d'ores et déjà disparu.

Cette situation (chômage, pauvreté, désertification rurale, auxquels il faut ajouter les conséquences écologiques désastreuses) n'est pas Seulement insupportable sur le plan moral ; elle est proprement aberrante Du seul point de vue économique, puisque les volumes de production assurés par les grands foyers industrialisés trouvent de moins en moins de débouchés faute d'un pouvoir d'achat suffisant, y compris à l'intérieur de leurs propres frontières. L'insuffisance de la demande solvable s'est traduit par un net ralentissement de la croissance et l'augmentation massive du chômage, et donc une nouvelle réduction de la demande solvable : un cercle vicieux.

La "crise" contemporaine
Depuis les années 1960, la mécanisation et la modernisation ont permis à l'agriculture d'entreprendre un développement considérable, provoquant une explosion quantitative des productions. En moins de vingt ans le rendement des plaines céréalières françaises ont été multipliés par deux , et les rendement des vaches des exploitation laitières des Pays Bas a été augmenté de 60 % .

Pourquoi s'est-elle tant développée ? La vocation de L'agriculture étant de nourrir, on aurait tendance à répondre : pour assurer l'alimentation des populations

Pourquoi donc, alors que chaque années, des milliers de tonnes de récolte sont volontairement détruits, la faim reste-t-elle omniprésente dans une vaste partie du monde ? Pourquoi la sous-alimentation chronique affecte-t-elle 800 millions de personnes en Amérique latine, en Afrique et en Asie ? Et pourquoi plus deux millards de personnes Souffrent-elles de carence à un ou plusieurs nutriments (fer, iode, Vitamine A, protéines…) ?

Alors qu'a partir de 1975 , l'Europe devient autosuffisante sur le plan alimentaire, pourquoi la course à la production continue-t-elle de plus belle, et parallèlement, pourquoi une part de plus en plus importante de la population des pays industrialisés ne mange-t-elle pas à sa faim ? C'est que l'explication selon laquelle l'agriculture se développe pour nourrir ne tient pas, et il faut y voir sans doute une autre raison. Cette cause , un ministre américain de l'agriculture l'exprimait en lançant, vers le milieu des années 1950, cet avertissement aux agricu- lteurs : Agrandissez vous ou déguerpissez. Une logique était désormais en marche, celle d'un système économique : le capitalisme, qui allait engendrer, sur le plan humain, social, économique, écologique, des conséquences dramatiques. La superficie moyenne d'une exploitation agricole aux États-Unis est alors déjà de 120 hectares en 1960 ! Pour une bonne connaissance du phénomène déjà en cours, on se reportera utilement à l'oeuvre de John Steinbeck qui dénonce l'avidité de l'oligarchie capitaliste, le système féodal des grands domaines, l'exploitation scandaleuse des ouvriers agricoles migrants par les grands propriétaires spéculateurs utilisant des méthodes terroristes et organisant une répression féroce en cas de soulèvement contre les conditions de travail. Certes, la physionomie de l'agriculture n'a pas attendu les lendemains de la seconde guerre mondiale pour changer. Dès le milieu du XIXe siècle, les nouvelles machines agricoles plus performantes et produites en série ont permis d'accroître significativement la superficie cultivée par travailleur, et opéré une sélection, leur prix très élevé en interdisant l'achat par les petites fermes. Ainsi, de 5.700.000 exploitations en 1892, la France passe à 2.300.000 en 1950. Mais l'analogie s'arrête là, car les travailleurs exclus de l'agriculture étaient alors largement absorbés par le développement de l'industrie et des services, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Les Trente Glorieuses vont produire une accélération jamais atteinte et bouleverser des équilibres qui avaient, jusque-là, lentement évolué. La deuxième révolution agricole, reposant sur la motorisation, la grande mécanisation, la chimisation, ainsi que la sélection de variétés de plantes et de races d'animaux, a finalement provoqué la "crise" contemporaine.

La disparition programmée des petites exploitations
Par sa nature même, le système capitaliste ne peut fonctionner qu'à. grande échelle. Il fallait donc de grandes, si possible de très grandes exploitations, non pas tant pour nourrir davantage de population que pour vendre des machines toujours plus puissantes et sophistiquées (et en outre grandes consommatrices de pétrole), et des quantités toujours plus importantes d'engrais et de produits phytosanitaires.

La tendance à l'agrandissement, à la concentration constitue une constante dans le développement récent de l'agriculture.

Aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Argentine, on observe un doublement de la superficie moyenne des exploitations agricoles en un tiers de siècle. En France, la taille moyenne passe de 16 hectares en 1950 à 34 hectares en 1990. Mais surtout, la part des plus grandes (plus de 50 hectares) s'accroît rapidement.

La surface totale des terres agricoles étant globalement constante (et même plutôt en régression), si certaines exploitations s'agrandissent, c'est que d'autres diminuent... ou disparaissent. Ainsi, la France comptait 2 300 000 exploitations en 1950, 1.600.000 en 1970, 1.200.000 en 1980, 960.000 en 1990, moins de 700.000 aujourd'hui. Et d'ores et déjà, le capitalisme a prévu ses "besoins": 300 à 350.000 exploitations à l'horizon 2010.

Comment s'est mis en place le processus d'élimination ? Il fallait mettre au point des moyens fiables pour éliminer régulièrement une partie des agriculteurs. Les responsables politiques n'ont pas failli à leur tâche. Lorsque De Gaulle revient au pouvoir en 1958, deux experts, Louis Armand et Jacques Ruef, remettent au chef de l'État leur rapport pour jeter les bases d'une nouvelle expansion économique, et faire de la France une grande puissance industrielle. Heureuse coïncidence: l'industrie aura besoin de plus en plus de main-d'œuvre, l'agriculture... de moins en moins.

Le rapport en question exprimait précisément : Le mécanisme des prix ne remplira son office dans le secteur agricole qu'en infligeant aux agriculteurs, presque en permanence, un niveau de vie sensiblement inférieur à celui des autres catégories de travailleurs ! Le gouvernement a donc supprimé l'indexation des prix agricoles et ce, contrairement au traité de Rome qui exigeait la parité entre les prix agricoles et les prix industriels.

Mais le système capitaliste ayant besoin d'un certain nombre d'exploi- tations performantes, capables financièrement de s'équiper en matériels et produits vecteurs de modernisation, il a donc fallu mettre au point une organisation commune. D'où, dans le cadre du marché commun, la mise en place, dans les années 1960 et 1970, de prix d'orientation, de prix d'intervention, d'aides à l'exportation, auxquels succéderont de multiples primes.

Ainsi, divers instruments vont être façonnés pour opérer une mons- trueuse discrimination, une sélection scandaleuse. La tâche à réaliser est un jeu d'enfant pour ceux qui l'ont définie : favoriser ceux dont le système a besoin ; rendre les conditions de travail des autres, les futures victimes, de plus en plus difficiles. Seules pourront continuer d'investir et de progresser les exploitations déjà assez équipées, assez grandes et assez productives pour dégager un revenu suffisant... jusqu'à ce qu'à leur tour, elles régressent, puis disparaissent, après avoir souvent consenti de lourds sacrifices.

Les prêts accordés par le système bancaire, notamment le Crédit Agricole, ne sont pas identiques pour tous. Ceux qui disposent au départ d'une situation plus confortable, ceux qui se trouvent bien en cour dans le monde des notables, ceux qui disposent d'appuis politiques sûrs, ceux qui acceptent de s'engouffrer dans la voie de la modernisation, de l'intensification, de la spécialisation, c'est-à-dire de se plier aux impératifs des sociétés multinationales... ceux-là obtiennent des prêts avantageux.

Et par la suite, la dynamique capitaliste aidant, l'augmentation de la taille des unités de production permettra de réaliser des économies d'échelle substantielles (ristournes sur les approvisionnements, primes sur les ventes dues aux quantités importantes achetées ou vendues). Le blé pour les uns, la paille pour les autres.

L'attribution des multiples aides, primes, subventions ouvre la porte à toutes les discriminations. Parce que les aides sont liées à la surface, on conforte ainsi des situations acquises. C'est le développement inégal cumulatif. Les exploitations de grandes cultures, céréales et oléo- protéagineux, se taillent la part du lion. Ainsi, près de 80 % des aides sont accaparées par environ 20 % des agriculteurs ! 4.500 céréaliers touchent chacun plus de 750.000 F d'aides publiques alors que les 200.000 agriculteurs les plus modestes reçoivent chacun moins de 18.000 F ! Et ces grosses exploitations céréalières, plutôt que de payer des impôts élevés sur les bénéfices, réinvestissent dans l'achat de terres et de matériel. Ces inégalités de traitement ont d'ailleurs fait dire à un ancien ministre de l'Agriculture : La PAC consiste à donner une Cadillac à celui qui en a déjà une. Comme quoi même un ministre peut comprendre ! Dans certaines filières (lait notamment), d'autres pratiques contribuent à l'élimination des plus fragiles : primes de quantité plus ou moins transparentes, financement occulte des exploitations agricoles par certaines entreprises laitières qui se substituent aux banques, prêt à taux zéro, salle de traite cadeau.

Le laxisme et même la complicité des pouvoirs publics permettent aux moins scrupuleux de conquérir des parts de marché, pénalisant ceux qui respectent la réglementation. Ainsi, 40 % de la production porcine, en Bretagne, s'est faite au-delà des autorisations légales. Ailleurs aussi: en avril 1999, le préfet de la Lozère signe un arrêté autorisant une porcherie à poursuivre son activité alors que quelques semaines auparavant, le tribunal administratif avait annulé un précédent arrêté et déclaré illégale l'exploitation de cette porcherie ! La multiplication des projets de moins de 450 porcs de plus de 30 kg permet de contourner la loi sur les installations classées. Le manque de transparence des plans d'épandage permet à certaines parcelles de servir deux, voire trois fois. Des producteurs échappent aux pénalités lors de dépassements de quotas. D'une manière générale, la complexité de certains règlements communautaires ou la difficulté de les faire respecter ouvre la porte à de nombreuses fraudes.

Le remembrement ne constitue pas l'outil le moins efficace pour épurer la profession. L'absence de concertation, et même d'information, lors des opérations de réaménagement foncier, autorise tous les abus dans de nombreuses communes : pratiques de passe-droits qui lèsent les propriétaires les moins bien armés, système de copinage, intimidation, partialité de la commission lors de litiges. C'est souvent au détriment des mêmes personnes que les injustices se cumulent : terres plus éloignées ou de qualité inférieure, perte de points d'eau, de surfaces boisées

... Mais l'arme la plus redoutable, liée aux capacités financières, reste l'attribution des terres.

En théorie , la mise en place des Sociétés d'aménagement foncier rural (SAFER), avec les droits de préemption et de réexamen des prix de cession est censée freiner les concentrations abusives et les baux de comptée. En fait, lorsque les terres libérées sont examinées en Commission départementale d'orientation agricole (CDOA), tout est joué- la magouille, le copinage, les montages sociétaires bidons, la cogestion de la FNSEA ont fait leur oeuvre.

Dans les Côtes d'Armor où 29 hectares étaient proposes a un petit éleveur à 12 500 F l'ha, un gros s'est offert le lot en montant le prix à 40 000 F Les jeunes en quête de terres pour s'installer, ou les petits exploitants cherchant à conforter leur situation en sont pour leurs frais. Des sociétés qui jonglent avec les lois, et surtout avec les lacunes de la Législation accélèrent le démembrement de fermes viables au profit de chasseurs de primes (de source ministérielle, 1998,66,5 % des exploitations vendues sont démantelées . En cinq ans, deux frères se appropriés 600 hectares de terre sans qu'aucune demande d'autorisation d'exploiter n'ait jamais été déposée !

Si des politiques correctes ont été mises en place, visant prétendument à limite? l'aggravation des inégalités et des déséquilibres entre exploitations et régions, elles ne sont apparues que comme des remèdes compliqués et coûteux incapables de traiter les dégâts causés par la soumission des politiques globales aux lois du marché. Et lorsqu'une reforme risquait de remettre trop de privilèges en cause, elle était , rapidement vidée de son contenu. Quand, en février 1991, le Rapport Mac Sharry propose de réduire peu à peu le soutien aux prix agricoles et aux expiations européennes pour les remplacer par une aide directe aux agriculteurs (cette aide aurait été plus forte pour les petits producteurs les régions les plus pauvres), ce sont bien les plus gros exploitants qui sont montés au créneau pour défendre leur trésor de guerre !

un bilan humain et social désastreux
La spirale financière : le phénoménal gâchis humain engendré par la dictature du rendement s'opère en deux temps.

La phase terminale est la disparition de l exploitation, c'est-à-dire la mise au chômage avec toutes les conséquences psychologiques qui l'accompagnent (solitude, sentiment d'inutilité, perte de dignité e état dépressif). Mais avant d'en arriver là, les difficultés financières ont déjà rendu parfois insupportables les conditions de la vie quotidienne. Parce que les conseillers qui sillonnent les routes avaient pour mission d encourager la production à outrance, ils ont incité les nouveaux chefs d'entreprise à se doter de matériels toujours plus performants... et aussi plus chers (tracteurs surdimensionnés, machines sous-employées, ou changées trop vite). Aujourd'hui, le constat est amer : le remboursement des investissements représente désormais 30 % du revenu de l'agricul- teur, contre 15 % il y a 25 ans. 40 % des paysans vivent avec un revenu inférieur au Smic, à la merci d'une erreur de gestion, d'un accident sanitaire ou climatique. 10 % des exploitations sont en faillite, non pas seulement des petites exploitations, tenues par des agriculteurs âgés, comme on tente de le faire croire, mais aussi des entreprises agricoles modernisées, dirigées pour un bon tiers par des jeunes de moins de 35 ans. Et l'agroalimentaire est loin de combler le déficit. En Côtes d'Armor, dans le temps (dix ans) où 2.000 emplois ont été créés dans la filière agro-alimentaire, 17.700 ont été perdus dans la production agricole !

La santé menacée
Celle des agriculteurs : l'obligation de suivre la compétition pour des rendements toujours accrus engendre un stress permanent qui, lié aux difficultés financières, peut conduire aux états dépressifs, voire à l'alcoolisme ou au suicide,' phénomènes loin d'être négligeables dans certaines régions.

La manipulation des produits phytosanitaires multiplie les intoxications, les allergies. Un taux anormalement élevé de tumeurs au cerveau ou à la vessie, ainsi que de maladies d'Alzheimer ou de Parkinson serait dû à l'emploi des pesticides. Les déviations de la colonne vertébrale, les arthroses, les rhumatismes articulaires se développent, en liaison avec le type de travail imposé. Les accidents causés par les machines font de a profession agricole un des secteurs les plus touchés (si la responsabilité individuelle peut parfois être mise en cause, on invoque rarement les surcharges de travail, les matériels inadaptés).

Celle des consommateurs : par les pratiques de l'agriculture intensive (présence de nitrates, pesticides, antibiotiques, métaux lourds...), ainsi que par les traitements qu'elle fait subir aux aliments (raffinage, irradiation, coloration, conservation...), l'agro-industrie produit une nourriture non seulement polluée mais dévitalisée, c'est-à-dire appauvrie en nutriments essentiels (vitamines, sels minéraux, oligo-éléments, certains acides gras et acides aminés, fibres alimentaires).

L'ensemble de ces pratiques transforme l'aliment-vie en aliment- facteur de risque. Cette alimentation dénaturée favorise l'apparition de troubles, de maladies : cancers, allergies, obésité, déficiences immunitai- res, atteinte de la fertilité masculine... Un exemple :parce qu'elles permettent de réduire les coûts de production, les boues de stations d'épuration sont utilisées dans les farines destinées à l' alimentation animal. Or si elles contiennent des protéines,. elles renferment surtout du plomb, du mercure et autres métaux lourds, dangereux pour la santé' humaine.

une désertification rurale accrue
Même si elle ne constitue pas la seule cause (déclin des industries traditionnelles au profit des industries nouvelles , attrait culturel de la vie), la modernisation de l'agriculture, en abaissant régulièrement le nombre d'exploitations dans les communes rurales , va contribuer aux déplacements considérables de populations des campagnes vers les villes. En 1936, la population rurale dépasse encore la population urbaine ; en 1962, cette population urbaine ne représente plus que 38%de la population totale ; en 1975, 20% ; en 1989, moins de 10%.

Si d'un coté, des villes de plus en plus monstrueuses confinent à l'asphyxie, de l'autre , des zones rurales se dépeuplent, des régions entières sont menacées de désertification, des paysages ne sont plus entretenus (avec des risques d'incendies ), des services ne sont plus assurés, des écoles ferment, des commerces disparaissent , des équipement collectifs sont inutilisés, des villages meurent, malgré la volonté parfois vive des habitants de rompre cette fatalité.

Le système productiviste a non seulement endommagé des siècles d'architecture, mais encore bouleversé profondément le tissu social. En divers endroits, ce sont des liens qui se brisent , toute une culture qui disparaît, un patrimoine qui part en lambeaux, des coutumes, des traditions qui se perdent dans l'uniformité ambiante d'une société qui s'est crue libérée à jamais des contraintes naturelles élémentaires.

Peu nombreux sont ceux qui semblent avoir pris la mesure des problèmes posés. Parmi les plus lucide (même si sa conception de la société n'est pas celle des anarchistes), Paul Houée, spécialiste du développement rural, constate : La logique du profit pousse à la concentration, à la spécialisation des espaces : d'un coté, des zones intenses d'activités, de peuplement, de consommation à des coûts élevés , de l'autre de vaste territoires que l'on exploite avant d'y déverser tous les rejets, à l'exception de quelques réserves naturelles ou touristiques.

Des atteintes graves à l'environnement
Présenté en mars 1999 par les ministères de l'environnement et de l'agriculture, un épais document, le rapport Agriculture , monde rural et environnement, dresse un bilan peu complaisant des conséquences sur l'environnement des pratiques agricoles, mettant un bémol à la prétention des agriculteurs trop prompts à s'autoproclamer meilleurs gestionnaires de la nature. L'ampleur des dégâts est annoncée d'emblée : Les dommages causés dans certaines zones par les vingt dernières années demanderont plusieurs décennies pour être réparés.

L'eau est de plus en plus polluée. L'emploi d'engrais et de pesticides est depuis plus d'un siècle la cause principale de l'amélioration des rendements agricoles. En généralisant leur utilisation excessive, qu'exige cette course aux rendements, le modèle occidental de production engendre de graves conséquences sur l'environnement. Par le gaspillage des engrais minéraux, mais surtout par les déjections des millions de porcs, de bovins et de volailles entassés dans les élevages industriels, les eaux de surface, et même les nappes phréatiques, présentent des concentrations en nitrates de plus en plus fortes. Le quart des nappes phréatiques dépasse 40 milligrammes par litre ; le coût direct de la pollution aux nitrates est estimé à 2.600 F par ménage. Lessivés par les pluies, les nitrates en excès filent vers la mer, où ils provoquent les marées vertes, bouleversant l'équilibre naturel du littoral.

Les pesticides, dont des milliers de tonnes ont été déversées dans la nature par la volonté du lobby criminel de la chimie, ont un impact environnemental des plus insidieux : la concentration progressive des toxines le long des chaînes alimentaires. On en retrouve aujourd'hui à l'état de traces plus ou moins importantes dans quasiment tous les écosystèmes de la planète.

Même l'air se trouve contaminé par l'activité agricole. Après deux années d'enquête sur plusieurs sites de Bretagne, l'INRA a observé des concentrations persistantes et anormalement élevées de produits phytosanitaires dans l'atmosphère. Une partie des herbicides qui manquent leur cible va directement dans l'eau des rivières, l'autre se volatilise. La plupart des herbicides se fixent sur les molécules d'eau et transitent dans l'atmosphère par simple évaporation.

Les sols sont lourdement mis à contribution par le productivisme. L'apport excessif d'engrais de synthèse, de pesticides et autres intrants pollue les sols. Incorporés aux aliments , le zinc et le cuivre sont rejetés dans le lisier; si les tendances actuelles perdurent, les chercheurs de l'INRA craignent, à long terme, des situations irréversibles de toxicité pour la plante. La mécanisation de l'agriculture et l'abus de la monocul- ture favorisent le tassement des sols. Celui-ci provoque une diminution de la porosité de la couverture des sols, rendant inutilisable une bonne partie des éléments nutritifs qui leur sont apportés. Ce compactage entraîne également un raccourcissement du cycle de l'eau. D'où l'appauvrissement des nappes phréatiques et les risques plus grands d'inondations. Rappelons qu'aux États-Unis, près de cent millions d'hectares de terres agricoles sont considérés comme sévèrement endommagés.

Par la mise en place des opérations de remembrement, nouvellement rebaptisé réaménagement foncier, le paysage bocager a subi des dommages souvent irréversibles. Ainsi, de 500 à 700.000 km de haies ont disparu en France avec la modernisation de l'agriculture. Au détriment des nombreuses fonctions que remplissaient ces rideaux d'arbres judicieusement plantés par nos ancêtres : production de bois, effet de brise-vent et d'abri du soleil, régulation de l'humidité, assainissement des sols... Par ailleurs, entre 1970 et 1995, deux millions d'hectares de zones humides et 3,5 millions d'hectares de prairies ont disparu essentiellement du fait de l'avancée des céréales et de la déprise agricole.

Concernant l'impact sur la biodiversité, les espèces domestiques et cultivées se sont dramatiquement réduites : trois races bovines représentent 98 % du cheptel, et une seule variété de pomme - la golden - assure les trois-quarts de l'offre marchande.

Un système agraire ne peut se développer et se perpétuer que si la fertilité des terres cultivées est maintenue à un niveau suffisant pour assurer durablement les récoltes nécessaires à la population. Or, non seulement le système productiviste n'assure pas le renouvellement de la fertilité mais, par ses pratiques (utilisation massive d'engrais minéraux et de pesticides notamment), le compromet en sapant ses propres fondements (potentiel agronomique des sols, qualité des eaux, diversité génétique).

Le pillage de l'agriculture des pays pauvres
Au début de la révolution agricole contemporaine, les peuples ont hérité d'agricultures très différentes et très inégalement productives. L'essor irrésistible de l'agriculture motorisée, productiviste, va accroître de manière considérable ces écarts. Il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'en augmentant son élevage bovin, la France colonialiste du XIXe siècle, entre autres, importe des arachides qui fourniront des tourteaux riches en protéines et en sels minéraux. Ces prélèvements abusifs, non compensés par des engrais trop chers, appauvrissent les sols des pays pauvres pour enrichir ceux des pays riches !

Les agricultures manuelles, majoritaires dans les pays pauvres, se trouvent notamment confrontées à la baisse des prix agricoles (le prix réel du blé à la production a été divisé par près de quatre depuis le début du XXe siècle). La motorisation et la grande mécanisation n'ayant bénéficié qu'aux grandes exploitations capitalistes ou étatiques (il faut souligner le rôle déterminant des bourgeoisies dirigeantes comme intermédiaires des multinationales), l'immense majorité de la paysannerie sous-équipée de ces pays ne dispose pas de revenus suffisants pour investir et progresser, et se trouve à la merci du moindre accident climatique ou biologique (aujourd'hui, plus de 80 % des agriculteurs d'Afrique et 40 à 60 % de ceux d'Asie et d'Amérique latine utilisent un outillage strictement manuel). Dans un premier temps, la décapitalisation (vente de cheptel vif, outillage réduit) permet à l'exploitation de survivre. Et lorsque tout a été tenté, pour un grand nombre d'entre eux, l'alterna- tive se résume à l'exode vers les bidonvilles ou les camps de réfugiés, ou la famine sur place. À moins de se livrer à des cultures illégales (pavot, coca, chanvre indien).

Lorsque, dans les années 1960-1970, s'opère la diffusion de variétés à haut rendement de riz, de blé, de maïs ou de soja, d'engrais et de produits de traitement (la révolution verte), les vrais bénéficiaires seront les régions fertiles les plus aptes à rentabiliser les investissements, et les agriculteurs disposant de moyens suffisants, c'est-à-dire une minorité.

La réduction des coûts de transport et la libéralisation du commerce international ont plongé la plupart des pays pauvres dans une dépen- dance alimentaire grandissante. Selon le Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale (1986), en Afrique intertropicale, de 1965 à 1985, les importations de céréales par habitant ont plus que triplé ; dans le même temps, la production est tombée de 135 à moins de 100 kg de céréales par habitant.

La plupart des études économiques montrent qu'au cours des dernières décennies les prix des matières premières agricoles ont baissé par rapport aux prix des produits manufacturés. Selon la Banque mondiale, pourtant peu suspecte de gauchisme, entre 1950 et 1984, le prix moyen pondéré des céréales, rapporté au prix moyen des produits manufacturés importés par les pays pauvres, a baissé de 1,3 % par an ! Ces pays étant essentiellement exportateurs de matières premières et importateurs de produits manufacturés, ont subi, sur cette période, une forte détérioration des termes de l'échange, selon l'expression consacrée. Après les épices, le sucre, le tabac, le coton, le café, le cacao, nous leur arrachons à bas prix le caoutchouc, des matières grasses, le jute, les fruits exotiques.

Un cycle infernal se met ainsi en place, qui atteint tous les éléments du système agraire : dégradation de l'écosystème et baisse de fertilité (accélération du déboisement, médiocre amendement des terres, détérioration des aménagements, malnutrition des plantes), entretien négligé de l'outillage, dégradation générale de l'état sanitaire des hommes (sous-alimentation, capacité de travail réduite, vulnérabilité à la maladie), endettement.

Parce que la modernisation était conçue sur le modèle des pays industrialisés, des causes extérieures à l'agriculture ont aggravé la crise agraire.

Suivant les conseils intéressés des experts des pays occidentaux, de lourdes dépenses publiques en matière d'infrastructures urbaines et de communication, d'administration, de défense ont considérablement grevé les budgets des pays pauvres. Selon une étude conduite dans dix-sept pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique, la protection de l'industrie (exonéra- tions fiscales, crédits bonifiés, subventions, mesures protectionnistes) a été la mesure économique qui, de 1960 à 1985, a le plus lourdement pesé sur l'abaissement relatif des prix agricoles par rapport aux autres prix. D'autre part, si la construction de grands barrages dans certains pays a été préférée à l'exploitation de petits lacs, c'est parce que les grands travaux rapportent aux grandes entreprises de travaux publics des pays développés.

Par ailleurs, la politique de l'aide alimentaire pratiquée par certains pays industriels, dont la France, constitue en définitive une arme alimentaire destinée à soumettre les pays auxquels elle est destinée. L'aide est le plus souvent accordée ou refusée en fonction des politiques conduites. Elle induit, en outre, des effets pervers. D'une part, loin de parvenir à ceux qui en ont besoin, elle enrichit d'abord les classes au pouvoir. D'autre part, elle décourage les productions locales en créant de nouvelles habitudes alimentaires, facteur de dépendance ultérieure. Plus encore, elle désorganise l'économie, empêchant tout développement auto-centre.

un gaspillage fructueux
Un exemple parmi d'autres : un éleveur bovin consacrait 40 % de ses 40 hectares à la culture du maïs (fortes doses d'engrais azotés, aliments concentrés...). Après réflexion, il change radicalement son système d'exploitation : toute la surface est destinée à l'herbe et au foin. Les rendements baissent inévitablement, mais l'apport d'aliments concentrés et les frais vétérinaires sont fortement réduits ; une vache assure six lactations au lieu de trois. Résultat : le revenu augmente d'un tiers tandis que le temps de travail diminue de moitié ! Plusieurs études technico- économiques du Centre d'études pour un développement agricole plus autonome (CEDAPA), créé par André Pochon, montrent que des petites exploitations sont viables, conciliant revenu et qualité de vie. Parce que, selon la formule célèbre, une vache a une barre de coupe à l'avant et un épandeur à l'arrière, il en coûte cinq fois moins cher de nourrir une vache au pré que de la nourrir à l'auge.

Mais alors, puisque le maïs engendre gaspillage et inefficacité économique, pourquoi avoir développé en France cette plante spécifique des régions chaudes et humides, qui contient trois fois moins de protéines que l'herbe et nécessite donc un complément (en tourteaux : soja, colza...), qui accélère l'érosion des sols puisqu'elle empêche la couverture du sol en hiver, qui augmente la pollution par les nitrates et les pesticides, et qui exige un matériel spécial pour être semée et récoltée ? Mais justement parce que le maïs engendre le gaspillage ! Et que le gaspillage renforce la dépendance des agriculteurs ! D'où l'importance de la prime au maïs-ensilage qui encourage cette orienta- tion. Ceux qui cultivent le maïs perçoivent 2.400 F par hectare ; ceux qui mettent en valeur les propriétés agronomiques et alimentaires des prairies ne se voient attribuer que 300 F !

Plus la consommation augmente, plus les profits, pour certains, se multiplient. La consommation d'énergie pour la production agricole est fonction de la technologie. Cette technologie implique un équipement lourd, des installations d'irrigation lourdes, un usage massif d'engrais chimiques. De plus, cette production agraire moderne consomme (en dehors de la consommation énergétique engendrée par les méthodes industrielles de l'exploitation agricole) énormément d'énergie en transport et en stockage. L'aménagement du territoire a en effet progressivement éloigné les zones de production agraire des zones où les produits cultivés seront consommés, c'est-à-dire les villes. Ce transport, quotidien pour les denrées périssables, et le stockage conditionné, multiplient la consommation d'énergie.

Par ailleurs, le choix de certaines productions amplifie ce gaspillage, et notamment la viande dont la production est tout à fait disproportionnée aux besoins. Il faut en moyenne sept calories d'origine végétale pour produire une calorie de nourriture d'origine animale. De plus en plus, on utilise pour l'alimentation du bétail des produits qui pourraient être consommés directement par l'homme. Il faut aussi évoquer la production industrielle des veaux de boucherie. Contrairement au veau fermier qui tête, dans la filière industrielle, le lait est trait, refroidi et stocké à la ferme, puis transporté à la laiterie où il est réchauffé, écrémé, stérilisé et mis en ' poudre. Puis on lui ajoute des matières grasses, on le rapporte a là ' ferme, où il est reconstitué, réchauffé avant d'être distribué aux veaux !

En un demi-siècle, la quantité d'énergie consommée par le système agraire des États-Unis a été multiplié par dix. La loi des rendements décroissants des facteurs de production domine l'agriculture o les cinquante premiers kilos d'azote à l'hectare ont une efficacité beaucoup plus grande que les apports ultérieurs o la productivité diminue beaucoup, en céréales, au-delà de 120 kg/ha o passer de 70 à 90 quintaux de blé à l'hectare à grand renfort d'azote, de pesticides et d'irrigation, occasionne plus de dépenses que de recettes o de même, faire produire 10.000 litres de lait à une vache au lieu de 8.000 dégradera l'équilibre financier, puisque l'aliment nécessaire coûtera plus cher que ne rapportera la vente des 2.000 litres supplémentaires.

Le rendement de l'énergie artificielle est beaucoup plus faible dans l'agriculture hautement mécanisée : aux États-Unis, une calorie d'énergie technique ne produit qu'une demi-calorie alimentaire, tandis que dans l'agriculture indienne traditionnelle - qui utilise avant tout l'énergie solaire, animale et humaine - une calorie technique produit seize calories alimentaires.

Les petits ateliers, les outils très simples n'intéressent ni la Banque mondiale, ni le Fonds Monétaire International, ni les multinationales. Par contre, les tracteurs de 120 chevaux et les salles de traite entièrement automatisées, oui ! Il est plus rentable de, nourrir le bétail, de l'Occident que les enfants d'Asie ou d'Afrique ! o "--

Des remèdes pires que les maux
Le mécanisme d'intervention mis en place dans le cadre de la PAC induit très vite un effet pervers : assurés de vendre toute leur production à des prix garantis puisque les organismes stockeurs achètent sur le marché toutes les quantités de poudre de lait, de beurre, de viande, de céréales, excédentaires, les agriculteurs sont incités à produire toujours plus.

Dès la fin des années 1960, pour de nombreuses productions, l'offre commence à dépasser structurellement la demande. C'est la surproduction qui va emplir les réfrigérateurs de la Communauté européenne.

Les premières tentatives pour maîtriser la production vont apparaître. En 1984 notamment, la Communauté européenne décide de geler dans chaque État la production laitière à un niveau équivalent à celui de 1983 réduit de 2 %. En cas de dépassement, des pénalités seront infligées.

Si ce système de quotas se révèle efficace pour réduire globalement la production laitière, il va accélérer la perte des exploitations les plus fragiles.

La situation est en effet figée au niveau de 1983 : les différences de production demeurent : le gros reste le gros, le petit reste le petit. D'autant qu'il est plus rentable pour les laiteries de ramasser une grosse quantité dans peu d'exploitations que de petites quantités dans plusieurs. C'est ainsi que, les combines aidant, la moitié des producteurs de lait disparaît en cinq ans.

Par ailleurs, pour tenter de contrôler la production de céréales, la Communauté européenne s'attache, en 1988, à faire diminuer les surfaces cultivées : elle propose aux agriculteurs volontaires de geler pendant cinq ans une partie de leur surface céréalière, moyennant une indemnisation. Cette mesure se soldera par un échec puisque ceux qui s'engagèrent dans ce contrat en profitèrent pour geler les mauvaises terres et intensifier leur production sur les bonnes !

La dépendance du monde paysan
Autrefois asservi au notable, le paysan l'est désormais à l'argent. La pénétration du capitalisme dans l'agriculture ne date pas d'aujourd'hui : elle s'est effectuée insidieusement. Le secteur agricole devient un simple maillon du complexe agro-industriel. Le savoir-faire des paysans cède désormais la place à la technicité des ingénieurs de l'industrie agro-alimentaire. Dans les systèmes peu spécialisés, les exploitations assuraient une grande variété de produits destinés à satisfaire la plus grande partie des besoins de la population agricole elle-même (autoconsommation) : grain, légumes, fruits, porc, volaille, œufs, lait, cidre, beurre, fromage, pain, huile... Beaucoup de produits et de sous-produits étaient également destinés à l'auto-fourniture : semences, animaux reproducteurs, fourrages vert, foin, racines, tubercules, litière, fumier. De nombreux outils étaient de fabrication artisanale (faux, chariots, charrues…).

Aujourd'hui, les exploitations sont de plus en plus spécialisées dans un nombre très réduit de productions rentables. La plus grande partie des moyens de production : équipements (tracteurs, grandes machines), engrais minéraux, produits de traitement, aliments du bétail sont acheté. De même, la quasi-totalité des produits est vendue sur des marchés multirégionaux et multinationaux.

En amont de la production agricole (engrais, produits de traitement, moteurs, machines, carburant et autres fournitures) comme en aval (transformation), les petites unités artisanales se trouvent relayées par un réseau d'industries. Par la nouvelle division du travail, une part essentielle de leur activité échappe aujourd'hui très largement aux producteurs agricoles, les marchands et les banquiers, aidés par la toute puissante FNSEA, ayant réussi à faire croire aux agriculteurs que leur intérêt coïncidait avec celui de leurs exploiteurs indirects !

En 1996, M. Scherrer, président d'e l'industrie agro-alimentaire française, déclarait : Depuis 1992, la valeur ajoutée de l'industrie alimentaire dépasse celle de l'agriculture. Il faut que les pouvoirs publics prennent en compte cette réalité. Nous sommes en aval et c'et nous qui pilotons. Le message ne saurait être plus clair.

L'agriculture industrielle intégrée (dans une filière agro-industrielle) illustre parfaitement ces propos cyniques. Les contrats d'intégration passés entre une firme et un éleveur de porc ou de volailles offrent tous les bénéfices à l'intégrateur….et tous les risques à l'éleveur. Et lorsque la saturation du marché limité les ventes, le contrat est revu à la baisse, amputant les revenus de l'éleveur, pratiquement sans recours !

Depuis plusieurs années déjà, des firmes productrices de semences ou de souches animales ont mis au point des croisements, des hybridations qui leur permettent de rendre les agriculteurs partiellement dépendants à leur égard.

Avec les organismes génétiquement modifiés (OGM), cette dépendance économique des paysans vis-à-vis des firmes franchit une nouvelle étape.

Cherchant à faire de l'agriculteur un client et un fournisseur exclusif, profitant des accords commerciaux, des incohérences réglementaires et des vides juridiques, les grands groupes se livrent, à coups de milliards, une guerre sans merci (le marché du transgénique est estimé à 3000 milliards de F d'ici dix ans !). Cette domination trouve son apogée dans la création d'une semence génétiquement modifiées qui ne sert qu'une fois, puisqu'elle s'avère stériles en fin de cycle végétatif. Baptisée Terminator, cette semence recevra un gène destiné à l'empêcher de germer si elle est plantée une seconde fois. Ainsi, chaque paysan serait contraint d'acheter tous les ans ses graines (l'arrêt, sans doute provisoi- re, du programme ne lève absolument pas la menace). Pour MONSANTO, qui vient de racheter le brevet, ce serait l'assurance de dominer le marché mondial de l'agriculture au siècle prochain, l'arme alimentaire absolue, l'appropriation du vivant par une poignée d'apprentis sorciers.

Une résistance à la pensée unique
II est facile de dresser un bilan de l'agriculture productiviste, capitaliste en l'occurrence !

o Chiffre d'affaires : 300 milliards. Dépenses publiques dont elle bénéficie : 179 milliards !

o L'agriculture absorbe la moitié du budget européen.

o L'agriculture française perd 70.000 emplois par an: en 1970, il y avait 2,7 millions actifs en agriculture ; aujourd'hui, on en compte à peine un million.

En trente ans, elle a hypothéqué nos ressources en eau, mis en péril la santé des agriculteurs et des consommateurs, provoqué la disparition de nombreuses petites exploitations, et donc aggravé le chômage, accentué les déséquilibres entre régions et la désertification rurale, entraîné la perte de fertilité des sols, détruit des paysages bocagers, causé la diminution de la qualité des produits alimentaires, augmenté le coût du stockage de certains produits, favorisé la mainmise de quelques grandes firmes sur les réserves génétiques, compromis l'autosuffisance alimentaire du Sud. Difficile de faire mieux en si peu de temps !

Longtemps sous-estime, voire nié, l'impact des modes de production actuels sur l'environnement, la santé, l'emploi ou l'aménagement du territoire ne pouvait se poursuivre indéfiniment. Respecter les contraintes d'ordre législatif ou réglementaire, répondre aux nouvelles attentes de la société, assumer une prise de conscience individuelle : les motivations peuvent varier ; elles conduisent à modifier des pratiques. Des agricultu- res alternatives se mettent en place (rappelons cependant que les adeptes de l'agriculture biologique n'ont pas attendu les normes européennes ou la grogne des clients pour mettre au point des techni- ques respectueuses à la fois de l'environnement et du consommateur, et que nombreux sont les obstacles qu'ils rencontrent). Une réflexion s'élabore, et notamment autour du concept d'agriculture durable. Encore imprécise dans ses contours, elle se définit comme...

o Économiquement viable : les acteurs qui la mettent en œuvre doivent tirer des revenus décents.

o Écologiquement saine : les pratiques ne doivent pas dégrader le milieu naturel (rotation des cultures adaptées au sol et au climat, enfouissement des chaumes, apport de fumier composté, surveillance accrue des maladies, système herbager, litière sur paille, animaux moins concentrés, homéopathie, maintien des talus, entretien et replantation de haies).

o Socialement acceptable : les producteurs doivent travailler sur des fermes à dimension humaine, harmonieusement réparties sur le territoire.

o En recherche d'une plus grande autonomie et d'une gestion plus économe, notamment par la réduction des intrants (engrais, pesticides, carburant, aliments extérieurs) et des investissements (bâtiments d'élevage, matériel de distribution...), l'abandon de certaines cultures (maïs). Le capital immobilisé diminue, la valeur ajoutée se trouve confortée, les exploitations sont plus facilement transmissibles... et coûtent moins cher aux contribuables, puisqu'elles reçoivent peu d'aides des pouvoirs publics o productrice de qualité : les agriculteurs travaillent fréquemment sur la base d'un cahier des charges rigoureux conduisant à des produits identifiables o créatrice d'emplois : les pratiques développées, moins exigeantes en capital mais plus en main-d'œuvre, permettent de maintenir un maximum d'actifs directs o propice à une revalorisation du métier d'agriculteur : plaisir retrouvé dans l'exercice de la profession, sentiment de maîtrise de la production et de la commercialisation, temps accru pour la vie familiale, les activités et engagements extérieurs o favorable au renforcement des liens entre producteurs et consommateurs : des réseaux se créent (Alliance, Cohérence...) entre associations de consommateurs, d'agriculteurs, de protecteurs de l'environnement et de la santé.

Les limites du système
Cette résistance qui s'organise contre un système qui s'enfonce dans ses contradictions ouvre sans doute des perspectives. Mais on perçoit vite les limites du changement possible à l'intérieur d'un tel système.

Comment peut-on, dans une brochure sur l'agriculture soutenable, évoquer à la page 1 un système socialement équitable, et à la page 19 envisager le maintien d'exploitations supérieures à 400 hectares ? S'agit- il d'un sens de l'humour particulièrement développé lorsque Ambroise Guellec, président du Comité de Bassin Loire-Bretagne, déclare, dans une plaquette consacrée à l'agriculture durable : II n'est pas question de remettre en cause le caractère intensif de l'agriculture bretonne ? Par ailleurs, les difficultés rencontrées par les jeunes, issus ou non du milieu agricole, pour s'installer, sont révélatrices d'une logique de concentration que l'on ne peut que subir... ou casser. Alors que le discours officiel fait de l'installation des jeunes une priorité, en 1997, 9.113 installations ont été aidées au niveau national ; en 1998, 8.000 seulement, soit une chute de 11 %. Étant donné que 300.000 exploitations doivent disparaître d'ici dix ans, l'installation déjeunes compromet la dynamique du système en place. Ainsi tout est mis en œuvre pour dissuader, pour décourager les prétendants : les nombreuses démarches administratives, l'absence de réponse aux courriers, le refus des prêts et des aides, l'insuffisance de formation et d'informations, voire les faux renseignements.

Comment croire la FNSEA et le CNJA qui estimaient, en 1992, qu'à chaque départ devait correspondre une installation, alors que la France a perdu plus de 200.000 exploitations depuis ?

Comment croire que les grandes firmes vont accepter sans reagir la mise en place d'une agriculture durable qui les privera de leurs profits, puisque ce type d'agriculture réduirait fortement les ventes de matériels, d'aliments du bétail, d'engrais, de produits phytosanitaires et autres fournitures ?

Comment croire que les gros céréaliers accepteront sans broncher l'amputation de leur patrimoine ou même seulement la diminution des aides colossales qu'ils perçoivent?

La mise au point de semences stériles par les plus grandes firmes, leur permettant une domination absolue, est une réponse claire. Le saccage des bureaux d'un ministre par les plus gros exploitants à l'annonce d'une écotaxe constitue un message parfaitement limpide. Nul n'a jamais vu, au cours des siècles, des classes possédantes, dirigeantes, renoncer d'elles-mêmes à leurs privilèges et à leur pouvoir !

L'histoire est le meilleur démenti à une naïveté ou à une méconnais- sance totale de la dynamique capitaliste qui deviennent dangereuses. Ce qu'il faut, c'est définir une politique de nature économique pour les quelques dizaines de milliers d'exploitations de pointe, et une politique de nature sociale pour la grande masse des autres. Aux premières, il faut assigner un objectif précis : concurrencer les Américains et les Néo- Zélandais. Aux secondes, il faut offrir un statut de gardien de musée, en les payant provisoirement pour occuper le territoire autant que pour produire. Ces propos sont de François-Henry de Virieu dans La fin d'une agriculture, et datent de 1967. Pour qui sait lire entre les lignes, le message est clair.

Il faudra, dans le tiers-monde, des hommes décidés à mettre les révolutions paysannes aux postes de commande, dès qu'ils seront alphabétisés, motivés et organisés (...) /es transitions envisagées vers (ces) socialismes à solide base agraire (...) ne se réaliseront (donc) pas sans luttes contre les privilégiés et les puissants, qui chercheront par tous les moyens - culturels inclus - à prolonger leur domination. Ces propos sont de René Dumont et datent de 1975 ! On n'est plus tout à fait dans le consensus flasque !

À la même période, les Travailleurs Paysans écrivaient déjà : Nous sommes agriculteurs "à notre compte", c'est-à-dire juridiquement pro- priétaires de nos moyens de production. En réalité, c'est plutôt le Crédit Agricole qui en est propriétaire... Les firmes d'approvisionnement et celles de transformation et de distribution nous imposent leurs prix par le marché. Avec la concentration industrielle, ce sont les trusts que nous avons en amont et en aval de nos exploitations. Mais tous les paysans ne sont pas victimes de cette domination. Ceux qui bénéficient du soutien des marchés pour les céréales et tous ceux qui ont pu investir selon les normes de l'économie de profit sont des privilégiés qui profitent de 1 exploitation de tous les autres. Ils n'ont pas les mêmes intérêts que nous.

L'agriculture capitaliste s'est édifiée en faisant disparaître les petits producteurs, en accroissant les inégalités de revenus, en multipliant les intermédiaires. Il faudra refaire partiellement le chemin inverse

o Réduire drastiquement les inégalités de revenus avec pour objectif a long terme l'égalité économique. Le relèvement substantiel des prix agricoles ôterait toute justification au versement d'aides qui permettent l'élimination sélective, et condamnerait les nombreux parasites qui se sont logés le long des circuits commerciaux- de la production à la à la distribution

o Stopper la disparition des petits exploitants en favorisant l'installation des Jeunes qui le souhaitent, et même en suscitant des vocations L objectif a long terme étant ici de faire remonter le pourcentage de la population agricole par rapport à la population active -10 15 20 % et peut-être plus. Il appartiendra à chaque population d'en décider S'attaquer aux plus gros patrimoines (200, 300, 400 hectares ou plus). Objectif a long terme : une nouvelle répartition des moyens de production (terres, cheptel, matériel), la mise en commun des terres agricoles au niveau de chaque commune- La question agricole est en effet fondamentale dans une perspective révolutionnaire. Faut-il rappeler en effet, comment le pouvoir seigneurial, ecclésiastique, royal, bourgeois' capitaliste a peu à peu brisé les solidarités rurales substitué aux usages collectifs la propriété privée ? Faut-" crier une fois encore que seules l'injustice, la force, la violence, l'usurpation ont contribué à la confiscation des meilleures terres. à la formation de domaines fonciers très étendus, de fortunes considérables, l'héritage assurant d'une génération à l'autre, la reproduction de ces inégalités ? À la fin de l'Ancien Régime, un antagonisme déjà bien établi entre un prolétariat et un patronat agricole exprime le conflit entre justice sociale et libéralisme économique. Dés cette époque, grandes entreprises agricoles se constituent : dans les années 1770, une cinquantaine dépasse les 200 hectares dans les plaines céréalières de l'Ile-de-France ; quelques-unes franchissent les 500 hectares ! Qui pourrait croire que ces propriétés résultent d'un travail honnête ?

La terre à ceux qui la travaillent
Pour réaliser un vrai changement, il ne suffira pas de formuler des vœux auprès des pouvoirs dominants, même en trois, exemplaires et sur papier recyclé !Ceux-ci n'ont toujours satisfait que des revendications qui ne remettaient pas en cause leur suprématie. Il ne suffira pas de dénoncer un ordre économique et social fondé sur l'inégalité mais il faudra atteindre le mal à sa racine : l'usurpation des ressources naturelles par la propriété privée, foncière, industrielle ou agraire. Il ne suffira pas de dénoncer l'appropriation du vivant par les grandes firmes agro- chimiques, réalisée à tout prix, quitte à détruire les conditions mêmes de la vie sur terre, mais il faudra encourager l'épargne solidaire, l'accès collectif au foncier et au bâti. Il ne suffira pas de s'affranchir des dépendances à l'égard du système agro-industriel, mais il faudra le renverser.

Et que l'on ne nous parle pas d'utopie, puisqu'une telle expérience s'est déjà concrétisée, même si sa durée fut malheureusement trop courte. Gaston Levai écrivait : L'idéal a été réalisé en Espagne, pendant la révolution libertaire de 1936-1939. Il a consisté en l'expropriation de tous les grands propriétaires et en l'adhésion volontaire de tous les petits à ce que l'on a appelé : les collectivités villageoises. Ces collectivités ont fonctionné comme de vastes coopératives de production. Elles ont été dirigées selon les directives établies par les assemblées générales qui comprenaient les petits propriétaires ayant apporté leur terre, leurs instruments de travail et leur bétail, et les travailleurs salariés, tous réunis maintenant sur un pied d'égalité.

Pour l'application de ces directives, une commission était nommée. Elle comprenait, dans chaque collectivité, un délégué par spécialité - agriculture, fruiticulture, bétail, riziculture, production d'oranges ou d'huile, cultures maraîchères... Ce délégué, qui travaillait à mi-temps, ou à temps complet, selon l'importance de ses activités, coordonnait, avec les délégués des équipes de sa spécialité, les travaux à exécuter.

Jean-Pierre Tertrais
Agriculture, agroalimentaire et santé publique
Groupe La Commune (Rennes)





Bibliographie
o Histoire des agricultures du monde/ M. Mazoyer, L. Roudart - Le Seuil

o Les champs du possible/ A. Pochon, Syros

o La dictature du rendement/ J. Soppelsa, Ellipses

o Les saigneurs de la terre/ C. Guillou, Albin Michel

o Le monde n'est pas une marchandise/ J. Bové & F. Dufour, La Découverte

o Le "rural profond" français/ ouvrage collectif, Sedes

o La longue marche des paysans bretons/ Y. Echelard, Éd. H.A.

o Les paysans/ H. Luxardo, Aubier.
Pour comprendre la crise agricole / Jean-Pierre Tertrais ; Agriculture, agroalimentaire et santé publique / Groupe La Commune (Rennes)_ Paris : éd. du Monde libertaire ; Ixelles : éd. Alternative libertaire._ 48p. ;21 cm. ".
Ecrit par libertad, à 23:40 dans la rubrique "Pour comprendre".



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