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Indymédia Nantes : "Ce texte est la reproduction d’un document de 10 feuillets trouvé le 8 novembre 2008 sur une tablette d’un compartiment classe affaires du TGV Sud-Est.
Des insurrections et autres révoltes populaires
«La voix du peuple n’est que l’expression de l’esprit populaire,
lui- même forgé pour le peuple par les leaders et par ceux qui savent
manipuler l’opinion publique…»
Edward Bernays, 1928.
En ces temps de réajustement majeur du marché, l’ordre social
indispensable au fonctionnement de nos sociétés est gravement menacé.
La réorganisation du système productif, les inconvénients climatiques,
sanitaires et environnementaux inhérents aux indispensables progrès
scientifiques et techniques vont engendrer dans les mois et années à
venir de profonds désordres sociaux aux niveaux national et
international. En France comme ailleurs, les décideurs et la classe
dirigeante (entrepreneurs, financiers, élus politiques, membres de
gouvernances privées comme étatiques) doivent s’attendre à devoir gérer
des contestations, émeutes, et autres formes de désordres populaires.
Certes, la société moderne, notamment en France, possède les moyens de
surveillance et de coercition nécessaires au maintien de l’ordre et à
la protection des biens. Mais, en accord avec les principes de base de
la gestion des social-démocraties, la communication et la manipulation
des populations doivent être mises en œuvre en amont de l’usage de la
coercition de grande ampleur. Cet opuscule a pour objet de rappeler,
aux décideurs ayant en charge la gestion des populations, les
manipulations à mettre en place pour saboter toute tentative populaire
de remise en cause de l’ordre établi.
Les cinq phases d’une insurrection et les bonnes réponses
1. Écouter, Ficher, Infiltrer : Les licenciements, la nécessaire baisse
des aides sociales, la paupérisation d’une partie de la population vont
rapidement provoquer des désordres qui demeureront limités tant que les
partenaires syndicaux réussiront à éviter les jonctions entre les
secteurs en crise. Il existe cependant une mince frange de la
population, politisée, qui tentera, afin d’établir un rapport de force
en sa faveur, de généraliser la contestation. Les altermondialistes,
les anarchistes et autres groupes opposés au système doivent être dès
le départ repérés, infiltrés, voire accompagnés, afin de mieux juger de
leurs modes d’action et de leur nocivité potentielle. En cas de
situation confuse, mieux vaut créer un groupe politisé radical qui
drainera les individus les plus décidés et permettra leur surveillance,
leur manipulation et leur arrestation au moment opportun. Les milieux
militants radicaux, constitués majoritairement d’individus instruits,
ont une propension étonnante à produire du discours sur toute forme de
support (tract, affiche, opuscule, e-mail, site web, vidéo de scènes de
conflit), nous offrant là une source inépuisable de manipulation et de
sabotage par désinformation. Forces en présence, individus impliqués,
actions prévues : la simple surveillance du réseau Internet permet
aisément de répondre à ces questions.
2. Mettre en action partenaires syndicaux et partis de gauche : La
contestation s’organise et s’étend ? Mettre en marche la contestation
syndicale. Grèves partielles et limitées, pétitions, manifestations de
rue, occupations provisoires de lieux publics ou d’entreprises,
spectacles de soutien, débordements contrôlés, toutes ces techniques
auxquelles sont rompus les syndicalistes, auront pour fonction
d’appauvrir financièrement les contestataires et de les épuiser.
Laisser la contestation s’exprimer largement dans les médias. Se
souvenir de l’adage : «mieux vaut un bon conflit syndical que la
chienlit». Pour être efficace, il convient de prévoir ce mouvement dans
la durée. Commencer par refuser tout dialogue, puis engager des
négociations avec une partie seulement des syndicats. Parallèlement,
activer des groupuscules radicaux afin d’accroître le morcellement du
mouvement en opposant citoyens et activistes. Introduire à l’aide de
quelques désordres ciblés (répressions violentes, destruction de biens,
arrestation de casseurs) la notion de légalité et d’illégalité des
actions de contestations. Faire appuyer la partie légaliste des
contestataires par les partis politiques institutionnels de gauche et
l’élite médiatisée de la société civile. Ces techniques doivent
permettre de saboter l’unification des contestataires et leur ôter
ainsi le pouvoir de la masse.
3. Créer le besoin d’ordre : Les syndicats sont débordés, la
contestation s’étend et s’organise en dehors des institutions ?
Dramatiser la situation. Favoriser les débordements et au besoin les
créer. Augmenter le degré de répression des désordres, exagérer
l’importance des actions violentes des contestataires, criminaliser les
groupes radicaux. Introduire via les médias des menaces supplémentaires
et d’un niveau supérieur (terrorisme international, pénuries
alimentaires ou énergétiques, crise monétaire) afin de favoriser le
sentiment de peur et d’inquiétude généralisée. Dans cette phase, les
médias ont un rôle prépondérant à jouer. Il convient d’en conserver la
maîtrise totale. Argumenter pour justifier la répression accrue par la
dérive violente et destructrice de certains des contestataires. Là
encore, les groupes radicaux doivent être judicieusement manipulés afin
de créer un lien objectif entre l’État et la partie la plus apeurée de
la population, réunis contre les casseurs «terroristes».
4. Organiser des élections : La contestation ne faiblit pas ou
augmente ? Accroître la pénurie organisée. Cela permet d’accroître la
présence policière (voire militaire) et de rendre une bonne partie de
la population totalement dépendante des pouvoirs publics. En appeler au
sursaut national, et développer la dramaturgie républicaine (la
République attaquée, la Nation en danger). Organiser une mise en scène
électorale : dissolution des assemblées parlementaires avec nouvelles
élections, appel à la société civile (les élites en réserve, les
intellectuels médiatiques, promesse de référendum, nouvelle
constitution, réforme de quelques lois). Dans le même temps, faire
cesser de façon ciblée la pénurie organisée et relâcher de façon tout
aussi ciblée la pression policière et militaire. Ce ciblage est
crucial. La fragmentation de la contestation dépend en grande partie de
cette stratégie de sabotage. Il faut soulager la frange la plus souple
de la population contestataire et la population déjà acquise au besoin
d’ordre. Par contre la répression de la frange radicale doit être
active et visible. Les organisations non institutionnelles (assemblées
populaires, coordinations, comités) doivent être combattues avec la
plus grande vigueur, d’une part en tentant d’y introduire la logique
syndicale (délégation de pouvoir, représentativité), d’autre part en
les criminalisant.
5. Rétablir l’État régalien : La contestation s’étend et se coordonne ?
Elle organise l’approvisionnement et l’autonomie des populations en
lutte ? Elle met en œuvre des modes d’organisation collectifs
performants en dehors de tout contrôle étatique ou par l’élite de la
société civile ? Aucune stratégie ne parvient à saboter la révolte
populaire ? La révolution devient une possibilité ? Provoquer la guerre
civile et rétablir par la force armée le pouvoir régalien de l’état, et
le fonctionnement économique et financier.
Les moyens de la coercition
La gestion des situations insurrectionnelles nécessite de maîtriser
parfaitement — et bien avant le début de la crise — les secteurs-clés
de la force légale, de l’approvisionnement énergétique et alimentaire,
et de la propagande. L’efficacité du sabotage dépendra de la précocité
de notre réponse aux désordres et de notre capacité d’ajustement entre
force d’État, désinformation et manipulation. Les moyens de la
coercition exigent une maîtrise optimale des domaines suivant : le
système J.A.P. (Justice - Armée - Police), les corporations syndicales,
les partis politiques et les médias.
1. La J.A.P. : Le système judiciaire est un élément important de la
propagande et de la répression. En période de tension, la justice doit
encore plus qu’aujourd’hui apparaître à la population comme distante,
sévère et arbitraire. À la notion de «justice pour l’individu» doit
être substituée la notion d’«intérêt collectif». Le besoin d’ordre doit
redevenir un intérêt supérieur de la nation. Si la mise en place des
tribunaux d’exception apparaît évidente dès l’apparition répétée
d’actions dangereuses pour les biens et les personnes, il convient dès
le début des troubles d’accélérer les procédures judiciaires et de les
cibler sur les individus non contrôlés par des centrales syndicales ou
des partis politiques institutionnels. La propagande menée ces
dernières années en faveur de la lutte anti-terroriste nous permet dès
maintenant de disposer de l’appareil législatif nécessaire à la
neutralisation des individus ou des groupes les plus influents. Le
contrôle par les gouvernances du système judiciaire au niveau européen
est effectif depuis les années 1993–2000. Au niveau national, les juges
sont aux ordres.
Les forces coercitives doivent elles aussi être adaptées au degré de
crise. Les unités de police et de gendarmerie doivent savoir faire
preuve de retenue ou de brutalité suivant les besoins. Lorsqu’elles
interviennent en appui ou à la place des forces de police
traditionnelles, les forces armées doivent calquer leur comportement
sur les situations éprouvées de gestion autoritaire des populations
lors des opérations extérieures, notamment en Afghanistan et lors des
conflits africains. Le personnel policier et militaire doit pouvoir
exercer ses missions de coercition avec une totale garantie d’impunité.
L’ensemble des forces de la J.A.P. est dès à présent opérationnel pour
gérer ces situations de crise. Les événements du 11 septembre 2001 ont
permis d’accélérer l’adaptation du système J.A.P. à la gestion moderne
des populations hors et en période de crise. Les opérations de maintien
de l’ordre et de déplacement de populations menées lors des accidents
industriels (AZF) ou climatiques, et les opérations de déminage ou
d’isolement sanitaire (SRAS, vache folle) ont légitimé au yeux de la
population les interventions de police de grande envergure. Le
développement de la téléphonie mobile et des systèmes de
vidéo-surveillance nous assurent un suivi quasi individuel des
individus les plus actifs. Les forces armées et les forces de police
sont opérationnelles pour une situation de crise aigüe.
2. Les corporations syndicales et les partis politiques : Il convient
de toujours garder à l’esprit que les centrales syndicales
représentatives ont conscience que leur survie est liée à la survie du
système. Elles ont pour fonction de contenir la contestation et de
transformer le refus en acceptation par la négociation. Il importe
donc, tout au long du conflit, de travailler, phase après phase, en
étroite liaison avec les leaders syndicaux. L’affrontement médiatisé et
les mouvements de rue ne doivent pas faire oublier l’essentiel : nous
défendons le même modèle de société, la social-démocratie. De même, les
partis politiques légalistes acceptant l’État et le parlementarisme, y
compris les partis de gauche ou d’extrême gauche, sont nos alliés
objectifs. Ils peuvent représenter l’illusion d’un changement radical,
tout en nous garantissant la conservation du système politique et
économique. En cas de révolte trop importante et organisée, seul le
discours républicain et citoyen peut faire accepter le retour à
l’ordre, fut-il nouveau. La promesse d’élections générales et de
renouvellement de la gouvernance a par le passé souvent suffit à
rétablir un rapport de force ou tout au moins une dynamique en notre
faveur, en ramenant les populations à une position d’attente. Tout
l’art du politique est alors de combler ce vide par le discours en
substituant, à l’action des populations, l’attente et l’espérance de la
paix sociale. Partis politiques de gauche et syndicats sont notre
présence au cœur même de la contestation. À toutes les phases de la
contestation, ils représentent le lien possible entre la population et
l’État, et des sources d’information irremplaçables. En conséquence,
leur mise à l’écart ne doit intervenir que dans la dernière phase du
processus (rétablir le pouvoir régalien).
Il convient de reconnaître que ces dix dernières années, les capacités
de manipulation des forces politiques et des syndicats ont fortement
régressé, comme en témoigne la faible participation des citoyens aux
processus électoraux. Les multiples coordinations, comités et autres
collectifs apparus lors des derniers conflits sociaux, et les actions
spontanées s’attaquant aux structures de production révèlent la
faiblesse des appareils syndicaux légalistes. Cette situation
représente un grand danger en cas de troubles de grande ampleur. Si les
centrales syndicales et les partis politiques de gauche ne parviennent
pas à encadrer les opposants, il faudra à l’aide des médias et des
services spéciaux faire apparaître au plus vite des leaders d’opinion
et des opposants charismatiques, afin d’établir l’illusion de la
représentation populaire. Les partis d’extrême gauche ont un rôle
crucial à jouer pour anéantir les volontés d’autonomie des populations.
3. Les médias : On distinguera le réseau Internet du reste des médias classiques (radio, télévision, presse écrite).
Les médias classiques sont habitués à traiter les situations de crise
et à collaborer avec les gouvernances publiques ou privées. La
propriété ou le contrôle étatique des grands médias, la pratique
habituelle dans ce milieu de l’autocensure et de la mise à l’écart des
éléments les plus perméables aux idées des contestataires nous
garantissent la collaboration de ces médias à forte audience. Quel que
soit le niveau de crise, ils savent contenir l’information dans
l’événementiel et éviter d’offrir un espace de remise en cause de la
démocratie d’État et de propagande pour les éléments subversifs. Les
grands médias sont opérationnels.
Le réseau Internet constitue un monde à part à traiter spécifiquement
en situation de crise. Si nous ne contrôlons pas les contenus, nous
avons la main mise sur les réseaux physiques de communication. Nous
pouvons donc à tout moment contrôler les données et les informations
qui circulent sur le réseau, y introduire des éléments de
désinformation, et surveiller les individus et les organisations
utilisant ce média. Nous pouvons également suspendre le fonctionnement
du réseau de façon partielle et ciblée. Le système médiatique et les
réseaux de communication sont totalement aux ordres.
Nos forces et nos faiblesses
Nos forces :
— Une surveillance très performante de la population,
— La maîtrise de l’information,
— Des moyens militaires, policiers et judiciaires opérationnels,
— La maîtrise des moyens de communication et de distribution de l’énergie.
Nos faiblesses :
— Un système centralisé donc très fragile en raison de la
hiérarchisation de notre organisation. Une minorité très active et
informée peut, en agissant de façon ciblée, bloquer totalement voire
détourner les circuits de distribution d’énergie, de communication et
de biens de consommation.
— Un encadrement insuffisant de la population contestataire. Les
centrales syndicales risquent de se révéler inefficaces dans les
opérations d’encadrement des conflits sociaux et de monopolisation de
la représentativité.
— Une forte capacité des opposants à s’auto-organiser et à subvenir de
façon autonome à leurs besoins tant en matière de lutte que de moyens
de subsistance. Les coordinations, comités de lutte, collectifs et
autres modes d’organisation autonomes sont à combattre par tous les
moyens et avec la plus grande fermeté.
Marseillan, le 17 octobre 2008
Document rédigé par l’A.P.E.L. (Association Pour l’Économie Libérale)
Pour en savoir plus
Akram Hubert & Jean Servais. 1999. «Le troisième souffle du capitalisme». Dunod (éds).
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Calsberg John. 2005. «Managing subversion in liberal states». Intern.
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Dubord Guy. 1971. «Le situationnisme : 1. La syntaxe». La Pelle (éds).
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Gore Stephan. 2005. «Measuring subversive capacity of populations
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Vaneigem Roger & Gaston Bourseiller. 2009. «Auto-liquéfaction des élites ou la fascination du désastre». Ludd (éds).
Wilson Oliver. 2001. «Free market and free people : the bad deal». Intern. Journ. of Govern. 24 (3) : 231-243.