Pendant ce temps au Pérou...
Lu sur
Voix de faits :
Pérou : "le réveil de la jungle". Entretien avec la USLGalerie photo du premier mai de l'USL péruvienne
Rencontre
avec un camarade péruvien de l’USL (Union Socialiste Libertaire). Entre
révolte indigène et résistance sociale, découverte du Pérou de ceux et
celles d’en bas.D’où vient la lutte actuelle des peuples indigènes ? Quelle forme prend-elle ?
À propos de la lutte actuelle des peuples de l’Amazonie (awajun-wampis,
kichuas, arabels, huaronis, pananujuris, achuar, murunahus, o
chitonahuas, cacataibos, matsés, candoshis, shawis, cocama-cocamillas,
machiguengas, yines, ashaninkas, llanezas), il faut préciser que la
lutte des peuples ne concerne pas seulement ceux de l’Amazonie.
Sont
en effet aussi concernés les communautés de la sierra : quechuas et
aymaras se sont aussi soulevés pour la défense de leurs terres et leur
culture, nous pouvons dire que depuis l’an dernier nous avons assisté
au réveil de notre « jungle » et de la région andine (que nous avons pu
voir également au niveau international) pour faire face à la politique
néolibérale (de privatisations, vente de terres originaires,
soudoiement des cultures autochtones et de leurs droits humains)
engagée par l’État péruvien, afin de remplir les mandats du grand
marché capitaliste et de l’impérialisme.
Ce dernier souhaite implanter ses entreprises transnationales sur le territoire des peuples originaires.
Mais
grâce à la contestation du peuple lui-même organisé, des organisations
ou des collectifs populaires, politiques et corporatifs (nous y
incluant pour la Campagne Internationale de Solidarité Libertaire que
nous avons lancée, avec l’appui de plus de 50 organisations libertaires
au niveau international), nous sommes arrivés à ce que le gouvernement
péruvien recule par rapport à l’application des décrets législatifs (D.
L.) 1090 et 1064, qui facilitaient la vente de la terre des communautés
natives.
Cependant, il reste à lutter pour la non-privatisation
de l’usage de l’eau, l’abrogation du reste des D. L. qui porte atteinte
à la souveraineté et à la vie même des indigènes, pour l’expulsion des
transnationales qui agissent dans ces régions, grâce à la protection du
Traité de Libre Échange (TLC) signé avec les États-Unis, et pour
l’usage des terres et des ressources par les communautés elles-mêmes.
D’un
autre côté, nous nous devons de souligner que ces luttes ont mis en
évidence que la société péruvienne continue d’être profondément raciste
et hypocrite. La presse a mis en exergue la supposée férocité des
tribus d’Amazonie en lutte.
De plus, elle a présenté les
policiers assassinés en réponse au massacre de Bagua, en tant que
victimes. Le gouvernement n’a eu de cesse de présenter des spots
publicitaires, qui réaffirment cette supposée image négative des
peuples originaires en lutte, dans le seul but de minimiser les crimes
qu’il a commis à l’encontre des communautés.
Ce qui veut dire
qu’aux yeux de l’opinion publique, s’est construite l’idée que les
personnes provenant d’Amazonie sont des tribus de sauvages et
d’assassins, et que le gouvernement avec l’aide des forces répressives
est le symbole de l’ordre et du progrès, qui protège tout le pays de la
« voracité et de l’anarchie ».
Sans la fermeté de la
contestation des natifs d’Amazonie, il n’y aurait pas eu de débat
national, et n’auraient pas éclaté à l’opinion publique leurs
revendications contre l’oppression qu’ils subissent depuis des siècles,
avec l’introduction violente de la société occidentale, qui prétend
soumettre leur organisation sociale.
Celle-ci contient beaucoup
d’éléments, qui s’approchent de notre positionnement libertaire. Par
exemple leur relation à la terre et ses ressources (flore et faune)
dont ils ne se réclament pas « propriétaires », car eux-mêmes se
sentent comme enfants de la terre, et dans l’obligation de maintenir
son équilibre.
De plus, l’organisation collective du travail
dans les communautés natives et paysannes est un aspect à suivre qu’il
nous paraît important de stimuler. Les communautés natives manient des
niveaux de représentativité qui donnent une prépondérance à la décision
des bases.
C’est-à-dire que c’est une organisation du bas vers
le haut. Les représentants se présentent comme de simples porte-voix
des décisions des communautés.
Nous croyons que ce type
d’organisation est celle que l’État redoute le plus et cherche à
détruire. En plus, de les expulser de leurs villages et laisser le
champ libre, ou la terre clôturée, il permet aux entreprises
transnationales impérialistes d’y planter leurs griffes et tentacules
de fer, et ainsi de piller les ressources avant d’empoisonner
complètement l’écosystème.
Quelle est la situation sociale au Pérou ?
Au Pérou, les licenciements et la précarisation des droits sociaux des
travailleurs se poursuivent en toute impunité. Comme cela a eu lieu au
cours de la décennie 90, sous le régime génocidaire d’Alberto Fujimori,
au cours duquel, nous avons reculé en ce qui concerne toutes les
conquêtes salariales - que ce soit le droit à la grève, à se syndiquer,
à la stabilité salariale. Il y a quelques années, le gouvernement l’a
confirmé cyniquement à travers une loi la journée de 8 heures de
travail, alors que c’est une conquête obtenue en 1913 par le
prolétariat d’ El Callao (principale ville portuaire du pays), et en
1919 par le reste du prolétariat, à travers le mouvement ouvrier
anarcho-syndicaliste de l’époque, (avec des figures importantes comme
Manuel C. Lévano et son fils Delfin Lévano, Carlos Barba, Nicolàs
Gutarra, Adalberto Fonkén et beaucoup d’autres camarades libertaires).
La
situation des allocataires est de plus déplorable. Ce sont, en
particulier les sans-emplois et les retraités du système national de
Pensions, des ex-travailleurs des entreprises privées, qui continuent à
souffrir des pensions « de faim et de mort ». Des pensions gelées
depuis plus de 8 ans, et dont le montant minimum est un montant qui
n’arrive même pas à couvrir les 10% basiques du panier familial.
En
plus, la grande majorité des bénéfices sociaux qu’ils auraient dû
percevoir (les retraités) grâce aux normes établies au cours des
dernières décennies, n’ont pas été appliqués. Ce qui veut dire que
l’État lui-même s’est ingénié à contourner la mise en application des
allocations légales. Ceci a provoqué une avalanche de demandes, sans
précédent, des allocataires. Beaucoup de cas sont arrivés jusqu’aux
sphères de la cour inter-américaine des droits de l’Homme.
Mais
même ainsi quand il s’agit d’appliquer les sentences de l’entité
supranationale, l’État péruvien s’arrange aussi pour diluer le
processus, et entre temps, les allocataires continuent à mourir sans
arriver à voir à ce que justice soit faite.
Pouvez-vous nous présenter le mouvement syndical et social au Pérou et ses sensibilités ?
Pour ce qui concerne le panorama salarial et syndical, il faut signaler
qu’il existe actuellement un grand contingent de travailleurs qui sont
en train de se faire licencier à cause des mesures prises par le grand
capital dans notre pays, afin de pouvoir « affronter l’actuelle crise
mondiale » qu’ils ont eux-mêmes provoquée. Ce sont les ouvriers du
textile et les mineurs qui ont été principalement affectés, et qui
malgré leur combativité n’ont selon nous ni la force ni la capacité de
pouvoir éviter les coups donnés par le patronat.
Au niveau du
secteur du textile, il n’existe pas de fédération des Travailleurs du
textile, qui les regroupent. Des avancées sont en train d’être
réalisées vers une restructuration de cette entité, mais sur la base
d’une dénommée « Coordination syndicale Textile », qui regroupe de
jeunes syndicats, et est perçue avec défiance par les dirigeants
traditionnels, vu que dans une certaine mesure ils ne se sont pas
soumis aux diktats de la plus grande centrale syndicale bureaucratique
de notre pays, la Confédération Générale des Travailleurs du Pérou
(CGTP).
Il faut également souligné que la CGTP, depuis son
origine, a été cooptée dans sa direction par des membres du Parti
Communiste Péruvien - Unidad, qui a toujours maintenu une position
stalinienne. Actuellement ses hauts dirigeants syndicaux, comme le
secrétaire général de la CGTP Mario Huaman, fricotent avec le leader du
Parti Nationaliste, Ollanta Humala. Malgré les ambitions
présidentielles de chacun, il apparaît que les projections pour les
élections de 2011, soient de faire une proposition présidentielle
conjointe.
Dans le cas des mineurs, eux comptent sur une entité
qui devrait leur permettre une cohésion : la Fédération Nationale des
Travailleurs Miniers Métallurgiques et Sidérurgiques du Pérou.
Celle-ci, au cours de la deuxième moitié de la décennie 80, et en
particulier au cours du premier gouvernement d’Alan Garcia, fut
l’actrice de grèves combatives, qui eurent comme conséquences une
amélioration de leurs bénéfices sociaux et en particulier, ils
réussirent à arracher à l’État une loi de retraite minière, avec des
conditions assez favorables quant aux conditions de pensions et
d’indemnisation. Malheureusement, à cette occasion, la vengeance de
l’État frappa par le biais du commando Rodrigo Franco (paramilitaires),
qui assassina Saul Cantoral, secrétaire générale de la Fédération
Minière.
Actuellement, la direction de la Fédération Minière est
gagnée par l’opportunisme. Les appels à la grève sont nombreux, mais en
même temps, il se produit aussitôt des suspensions de ces mesures, à
cause de promesses du parlement ou du gouvernement, afin d’évaluer
leurs revendications. Cependant, jusqu’à présent il n’y a pas eu un
seul des points revendiqués qui ait été conquis. Aussi incroyable qu’il
soit, on mendie toujours l’application de la loi de retraite minière,
qui a coûté la vie à beaucoup d’ouvriers, et qui n’a toujours pas été
promulguée par le gouvernement apriste[1]. Le parlement n’ a pas voulu,
non plus, ni réviser ni approuver la loi pour le paiement des utilités
des mines en faveur des travailleurs.
Il existe aussi la
Confédération des Travailleurs du Pérou (CTP), clairement et
historiquement d’orientation apriste, c’est-à-dire en phase avec
l’actuel gouvernement, et qui ne remplit que le rôle de « jaune » ou de
syndicat pro-patronal, en créant des regroupement parallèles pour
déstabiliser les autres secteurs en lutte. La CTP et la CGTP affichent
des lignes opposées qui prétendent représenter la classe travailleuse
au Pérou, mais ne sont que deux centrales bureaucratiques, qui
maintiennent des accords sous la table et qui démobilisent leurs bases.
Ce qui veut dire qu’ils maintiennent les travailleurs adhérents inertes
et passifs.
Mais, même ainsi, nous croyons qu’un véritable
travail syndical est possible dans notre pays. Nous avons eu des
rapprochements organisationnels et de militantisme avec les secteurs
textiles et avec d’autres secteurs de base pour construire une
alternative syndicale de classe, autonome, de base, fédérative,
horizontale, avec une démocratie directe et une capacité de combat.
Pouvez-vous nous présenter l’USL et de manière générale le mouvement libertaire ?
L’Union Socialiste Libertaire est le fruit de la maturité politique de
ce qu’ont été des expériences collectives antérieures comme Qhispikay
Llaqta et Etoile Noire -Estrella Negra- (2004 et 2007). Nous nous
considérons comme une organisation anarchiste qui prétend construire
une réelle proposition anti-autoritaire autour de nous et consolider la
lutte libertaire là où ça nous soit possible.
En
réalité le travail, en tant qu’organisation de tendance libertaire que
nous sommes en train de réaliser, dans le champ de la lutte populaire
et dans les mouvements de masses, commence tout juste, puisque ce
mois-ci nous venons de fêter la première année de lutte et de travail
libertaire.``
Néanmoins, nous avons déjà été immergés dans les
luttes des peuples de l’Amazonie. Nous avons des contacts avec des
organisations de base, de même qu’avec celles des classes ouvrières, et
même avec des travailleurs licenciés et au chômage, auprès de qui nous
sommes arrivés par le biais de nos bulletins Lutte Libertaire. Le
malaise et le trop plein des directions opportunistes et
bureaucratiques est généralisé, ce qui est en soi un champ fécond pour
planter la graine libertaire, tâche à laquelle nous sommes en train de
nous adonner.
A propos du mouvement libertaire péruvien, nous
pouvons dire que l’anarchisme a bénéficié d’une très bonne santé, ici,
jusqu’à la fin des années 30, avec des organisations ouvrières et
populaires fortes et consolidées. Puis, avec les trahisons du Parti
Socialiste et du Parti Apriste, tout a été réduit et quasiment éliminé.
Actuellement on essaye d’amener l’anarchisme au camp populaire. Au
cours de la décennie 80 et 90, il y a eut quelques expériences
(collectifs, journaux, fanzines, etc.) mais ils ne se sont pas
développés. Aujourd’hui à Lima, qui est la capitale, nous sommes le
seul groupe organisé. Nous devons également mentionner que dans notre
ville grâce aux discussions réalisées, dans certains ateliers de
formation libertaire, s’est formé le Ciné-club libertaire « Fernando
Ferran » qui prétend diffuser à travers l’image et l’art les
propositions anarchistes. Il existe des publications libertaires mais
pas de groupes. Dans d’autres villes, oui, il y existe un meilleur
aspect où la proposition libertaire dans les universités et les
quartiers s’y consolide.
En tant que militants de l’USL
(étudiants et travailleurs), nous croyons qu’en général les idées
libertaires sont entrain de prendre dans notre pays, et que les
possibilités d’un travail de plus grande échelle est possible, puisque
les travailleurs sont déjà bien fatigués des directions corrompues et
que les communautés luttent pour maintenir leur forme de s’organiser
qui contient clairement beaucoup de libertaire.
Pour poursuivre
un peu plus sur le panorama du Pérou, sur les luttes des mouvements
sociaux et populaires, ainsi que pour lire nos documents et textes,
nous vous invitons à vous rendre sur notre site Internet.
Commission des Relations Internationales - Union Socialiste Libertaire (Pérou)
http://uslperu.blogspot.com/(Propos recueillis par Pati et Bastien, S.I. de la CNT).