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Lu sur BIP 40 : "En France, les statistiques officielles sont régulièrement l’enjeu de controverses. Après l’indice des prix ou la statistique du chômage, c’est maintenant la statistique officielle de la pauvreté qui est mise sur la sellette, à l’initiative du Réseau d’alerte sur les inégalités (Rai). Au mépris des évidences, le taux de pauvreté mesuré par l’Insee montre en effet ... une décroissance de la pauvreté relative dans les vingt dernières années. Le message subliminal est clair : il n’y a pas de problème majeur d’inégalités et de pauvreté dans notre pays. En réaction, le Rai a lancé un indicateur concurrent, le Bip 40 (Baromètre des inégalités et de la pauvreté, voir le dossier spécial dans Politis n° et le site bip40.org).
Selon le Rai, la statistique officielle est complètement biaisée : en effet, de l’aveu même de l’Insee, les statistiques de revenus utilisées pour calculer le taux de pauvreté relative ne prennent quasiment pas en compte les revenus financiers et du patrimoine (Pierre Concialdi, Jean Gadrey, Catherine Lévy, Michel Maric, « Cohésion sociale : des politiques à l’aveuglette », Le Monde, 2/07/04). Comment alors évaluer la pauvreté relative, si l’on ne connaît pas les revenus des riches ?
La réponse des autorités compétentes ne s’est pas fait attendre. Le Directeur de l’Insee, Jean-Michel Charpin, et celui de l’Observatoire de la pauvreté, Bertrand Fragonard rejettent les attaques contre le chiffre officiel de la pauvreté (« Qui est pauvre en France ? », Le Monde, 22/07/2004). Selon eux, « la prise en compte des revenus du patrimoine ne modifierait pas sensiblement le diagnostic sur le niveau et l’évolution de la pauvreté monétaire » : en effet ce sont les riches qui détiennent le patrimoine, et le seuil de pauvreté est « peu sensible à l’estimation des hauts revenus ».
Passons sur le fait que deux études publiées dans les années récentes par l’Insee lui-même montrent exactement le contraire : la prise en compte des revenus du patrimoine aboutirait à faire passer le taux de pauvreté de 6% à 9%. MM. Charpin et Fragonard ignoreraient-ils ces travaux ? Mais là n’est peut-être pas l’essentiel.
Rappelons qu’on parle ici de pauvreté relative : être pauvre en France, ce n’est pas la même chose qu’en Ethiopie. La pauvreté doit s’appréhender comme une situation de privation relativement aux normes de bien-être qui prévalent dans une société donnée. Ce que nous disent les experts officiels, c’est que le seuil de pauvreté, qui sert à définir le nombre de pauvres (tous ceux qui gagnent moins que le seuil), ne dépend pas des revenus des riches.
Le seuil officiel de pauvreté est en effet défini par l’Insee comme la moitié du revenu médian. Le revenu médian, c’est celui qui partage la population en deux parties égales : 30 millions de Français gagnent plus, 30 millions gagnent moins. Parmi ces trente millions moins favorisés, certains (environ 3,6 millions) gagnent encore moins que la moitié du revenu médian : par convention on les appelle « pauvres ». Si les 5 millions de Français les plus riches doublent encore leur revenu grâce à la flambée de la Bourse et de l’immobilier, alors que les moins riches voient leur revenu stagner, le revenu médian restera stable. Certes les inégalités de revenu exploseront, mais le nombre de « pauvres » ne bougera pas.
Cette conception de la pauvreté relative aboutit à dissocier largement pauvreté et inégalités. Il ne s’agit pas d’une simple question technique, comme le prétendent souvent les experts. Ce choix du demi-revenu médian reflète une conception politique de la pauvreté, selon laquelle peu importe ce qui se passe en haut de l’échelle : il suffirait, pour analyser et comprendre la pauvreté, de regarder à la loupe les pauvres.
La création de l’Observatoire de la pauvreté en 1998, était significative de cette conception qui isole la pauvreté de l’ensemble des mécanismes qui la produisent et la reproduisent. C’est un Observatoire de la création et de la distribution des revenus, de tous les revenus, qu’il aurait fallu créer. A l’image du CERC, dissous il y a maintenant dix ans par Balladur et jamais rétabli depuis dans ses prérogatives. La précarité, le chômage de longue durée, l’exclusion sociale ne sont pas indépendants de l’organisation du travail par les entreprises, de la sélectivité du marché du travail, des politiques fiscales et de restrictions budgétaires en matière de logement, de santé, de famille... La pauvreté n’est pas une verrue sur un corps sain, elle résulte du fonctionnement d’ensemble du néo-libéralisme, qui concentre revenus et pouvoirs. Il est parfaitement possible d’adopter d’autres indicateurs de pauvreté, qui reflètent ces interdépendances entre grande richesse et grande pauvreté ; il suffit par exemple de considérer le revenu moyen au lieu du revenu médian. Il s’agit d’abord de choix politiques. Ceux de l’Insee et de l’Observatoire de la pauvreté ne nous conviennent décidément pas.
Cet article est paru dans Politis du 29 juillet 2004.
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