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Aucun des deux fondateurs de la Tartine ne connaît ce métier. Seul Xavier Asselin, qui a aujourd'hui quitté la coopérative (pour vivre l'autonomie -et la simplicité volontaire en s'installant avec sa yourte sur un petit terrain agricole), est attiré par la boulangerie. Leur idée de départ est de faire du pain biologique un produit d'alimentation quotidienne, un produit de base, qu'ils ambitionnent de « démocratiser pour faire se développer l'agriculture biologique ».
Ils démarrent donc sans emprunts et avec un faible investissement de départ (30 000 F), mais dans une région dont le niveau de vie moyen relativement élevé se prête bien à la commercialisation de pain bio. Dès le départ, ils font des choix radicaux sur les modes de production qui ont un impact décisif sur la qualité du produit et sur leur façon de travailler : leur pain sera au levain pur (1), cuit au feu de bois et, en dehors du pétrin mécanique, tout le processus de fabrication est entièrement manuel : « nous ne voulions pas nous passer du travail musculaire u explique Etienne Manipoud, un des fondateurs de La Tartine.
L'écologie étant au coeur de leur démarche, ils choisissent de s'associer avec la minoterie Pichard (2). Le minotier sélectionne sa matière première, les céréales, auprès de divers agriculteurs afin de fournir à ses clients, les boulangers, des farines de qualité homogène. A l'époque, l'association Nature fr progrès (3) a mis en place une démarche visant à faire passer des minotiers à une production 100% biologique. La minoterie Pichard est une des rares à avoir accepté cette démarche, qui impliquait notamment de se plier aux exigences de transparence et de contrôle liés au cahier des charges de Nature et progrès. Elle s'est ainsi séparée de ses clients et fournisseurs habituels pour passer à une production 100% biologique.
L'orientation résolument écologique de La Tartine s'est aussi traduite dans la construction de son fournil : auto-construction à base de matériaux de récupération, isolation en ouate de cellulose, éclairage basse consommation... Même leur four est auto-construit, ce qui a permis de diviser par dix son coût par rapport à un four du marché et les rend totalement autonomes dans la maintenance. u .Tout faire soi-même avec un maximum de matériaux de récupération s'inscrit dans une démarche globale de recherche d'indépendance, de maîtrise des matériaux et donc de maîtrise de notre outil de production » précise Étienne. Autre point fort de ce four auto-construit, il fonctionne exclusivement avec des déchets de bois récupérés de l'industrie. Au départ livrée dans des sacs en papier non réutilisables, la farine est aujourd'hui livrée en vrac et stockée dans des silos à l'arrière du fournil. Deux fourgons servant à la livraison des pains fonctionnent au GPL (4) et, afin d'éviter de faire voyager les pains, La Tartine essaie de relocaliser au maximum sa clientèle.
Pour ce faire, La Tartine a mis en place un point de vente directement au sein du fournil. II prend de plus en plus d'importance. Cela a en outre l'avantage de créer un lien et des échanges avec les clients qui les entourent et qui comprennent ainsi leur façon de travailler. Les autres points de vente de La Tartine sont constitués par des magasins ou coopératives biologiques, ainsi que par une présence deux fois par semaine sur des marchés locaux.
Démocratiser le pain bio
Fidèle à son objectif initial de démocratiser le pain biologique, « la Tartine a accepté de diffuser dans des supermarchés, malgré l'iniquité commerciale de ce type de distribution s. La Tartine travaille donc avec trois moyennes surfaces locales, mais aux dires d'Étienne, sans faire de concessions : « il faut être prêt à partir du jour au lendemain d'un supermarché ». Cette posture semble leur conférer une position de force dans des relations avec des acheteurs, dont on sait qu'ils ont l'habitude d'écraser leurs fournisseurs.
Bien conscients de l'iniquité du système de grande distribution, les boulangers de La Tartine aimeraient pouvoir mettre en placé des filières complètement équitables. Mais beaucoup d'acteurs de ces filières sont complètement opposés à la transparence des marges. « La transparence des filières bio reste à créer, c'est le dernier blocage écologique u. Pour illustrer cette affirmation, Étienne explique comment La Tartine s'était constitué, grâce aux conditions de paiement que demandait le minotier, une trésorerie importante. Au départ, les coopérateurs de La Tartine ont choisi de placer cette trésorerie dans des Sicav (5). Après avoir mené une réflexion sur ce choix initial, ils ont décidé de vendre leurs Sicav et de payer le minotier au comptant, en lui demandant de répercuter ces conditions auprès des agriculteurs auprès desquels celui-ci se fournissait en céréales. Mais ils admettent ne pas pouvoir vérifier si le minotier le fait vraiment, la transparence restant toujours un tabou au sein de la filière. « C'est dommage, ajoute Etienne, l'équité devrait être le cheval de bataille de la bio ! ».
Un travail collectif
Le statut choisi pour La Tartine est la société en nom collectif, avec quatre associés à parts égales. Ce choix est lié à la volonté de ne pas limiter la responsabilité de chaque associé à son investissement. C'est donc selon eux, le choix de la responsabilité, pour éviter les comportements d'entrepreneurs irresponsables qui font faillite et peuvent ensuite remonter une société sous le nom d'un proche. Les quatre associés se répartissent un travail constitué de trois jours de production par semaine, de la présence sur des marchés le mardi et le samedi et de tâches collectives telles que la gestion et les livraisons. "Les
journées de production sont de 12 heures bien tassées » ! Chacun fait son pain « de A à Z ». Les coopérateurs comptabilisent le pain que chacun fabrique et se répartissent les bénéfices en fonction de la production réalisée. Cela leur apporte beaucoup de souplesse au niveau du temps de travail et des revenus souhaités. Ils ont ainsi une production équivalente à une boulangerie de quartier classique, mais font vivre quatre personnes. En outre, cette organisation du travail répond à leur objectif initial de se libérer du temps pour des activités militantes ou domestiques : « nous militons souvent dans les mêmes associations, construisons nos maisons, trouvons du temps pour jardiner... ». Lobjectif de La Tartine n'est donc pas de satisfaire des actionnaires invisibles, mais des coopérateurs associés. Ceux-ci estiment qu'il s'agit d'un choix militant. Ils considèrent leur entreprise comme une coopérative de travail, basée sur des valeurs communes concernant l'écologie bien sûr, mais aussi la notion de travail, pas de hiérarchie, des décisions consensuelles, une diminution importante du temps de travail.
Au nombre de quatre depuis une dizaine d'années et bien qu'il y ait beaucoup de demandes insatisfaites, les coopérateurs de La Tartine ont décidé qu'ils avaient atteint leur taille limite. Cette volonté de limiter leur croissance s'explique d'abord par le fait qu'ils estiment avoir acquis un niveau de confort raisonnable : confort dans les conditions de travail, mais aussi confort matériel. La rémunération à laquelle ils ont accédé aujourd'hui est considérée comme satisfaisante. Ils ont donc décidé de la bloquer et de l'indexer sur l'indice Insee. Les profits qu'ils font sont dorénavant répercutés sur leurs prix de vente, ce qui leur permet de limiter l'inflation des prix de leurs pains. Là encore, il s'agit selon Etienne, d'un choix militant, « car l'inflation est le résultat d'un système basé sur des profits inéquitables ».
Multiplier plutôt que croire
Lautre raison de la volonté des associés de La Tartine de ne plus croître est, avouent-ils, leur incapacité à faire entrer des jeunes dans l'entreprise. Eentreprise a été construite pendant plusieurs années à leur mesure et « peut paraître sclérosante pour des jeunes qui ont plein d'idées ». Les jeunes ont en effet besoin de mettre leur créativité à l'oeuvre en tentant plein d'expériences que les coopérateurs de La Tartine ont déjà tentées et ne veulent plus tenter. La Tartine préfère ainsi voir beaucoup de petites boulangeries s'installer et est d'ailleurs prête à les accompagner.
Dans cet esprit d'essaimage, La Tartine participe activement au compagnonnage du Repas. Elle a ainsi reçu cinq compagnons en immersion. Etienne estime que la jeunesse et la vision critique que peuvent apporter les compagnons sont très enrichissantes. L'échange qui se construit avec les compagnons permet de « dépasser un système de pensée et des valeurs qui peuvent être vieillissants ». Espérons que La Tartine, qui reste très modeste par rapport à son expérience, saura transmettre à ces jeunes le goût d'entreprendre différemment. Car que ce soit dans les filières de l'agriculture biologique, ou dans les alternatives en général, il reste beaucoup de pain sur la planche pour construire un monde écologiquement et socialement durable.
Alban Labouret et Aymeric Mercier
Boulangerie La Tartine, 955, route de La Ravoire, 74210 Doussard, tel : 04 50 44 39 65.
S!lence #330 décembre 2005
(1) Le levain pur est fabriqué à partir de farine complète et d'eau de source. Après fermentation, ce produit noble et millénaire prédigère les amidons de la farine et rend assimilables tous les éléments du grain de blé. Il permet de faire lever la pâte. Aujourd'hui, pour la plupart, les pains sont « levés » à la levure de boulanger, qui ne leur procure pas la même digestibilité.
(2) Minoterie Pichard, chemin du Moulin, 04350 Malijai, tel : 04 92 34 0104.
(3) Nature 6t progrès, 68, boulevard Gambetta, 30700 Uzès, tel: 04 66 03 23 40.
(4) GPL : Gaz propane liquéfié.