Oui, nous avons hébergé un « terroriste » … de trois ans !
Quand vous lirez ces lignes, nous serons en prison. Pour quelques jours. Quelques semaines. Quelques mois. Quelques……
Notre « crime » ?
Avoir fondé et animé une école libertaire. Bonaventure. Y avoir accueilli, sans formalité, des enfants de tous horizons (même des mômes de cathos, c’est dire). Et nous être pris d’affection pour un petit bout en perdition au point de l’avoir accueilli chez nous pendant deux ans et demi.
De cela, qui remonte maintenant à plusieurs années, on nous fait aujourd’hui reproche.
Pourquoi ?
Tout simplement parce que le petit bout en question s’est révélé être le fils d’un couple de militant d’ETA arrêté il y a quelques semaines.
Est-t-il besoin de le préciser, nous ignorions ce détail.
Est-t-il également besoin de préciser (les parents s’étant présentés à nous comme ayant des problèmes de « papiers »(1), nous avions quelques doutes sur les véritables motivations de la demande de scolarisation et d’accueil qui nous était faite. Est-il, enfin, besoin de préciser : nous assumons pleinement le fait de scolariser, d’éduquer et d’accueillir tous les petits bouts du monde en détresse sans nous enquérir de l’identité ou des motivations de leurs parents.
Cékomça !
Parce que nous pensons que les enfants ne sont pas responsables de leurs parents(2), seul nous importera toujours leur regard noyé de brume.
Car, enfin, quoi ?
Une école libertaire pourrait-t-elle ne pas être une terre d’asile sans perdre son « âme » ?
Des libertaires qui n’ouvriraient pas en grand leur porte et leur cœur à des enfants en détresse d’instruction, d’éducation et d’amour, pourraient-t-ils être autre chose que des gribouilles ?
On s’en doute, ce genre de discours est complètement incompréhensible pour les
Autorités comme pour le citoyen lambda.
Pour tout ce petit monde, on n’accueille pas pendant deux ans et demi (et ensuite, de temps en temps, pendant les vacances), un môme de terroristes sans faire, plus ou moins partie de la confrérie.
A quoi bon, donc, leur expliquer, en plus, que les luttes de libération nationale visant à instaurer un nouvel Etat, avec de nouveaux patrons et de nouveaux maîtres, ne sont pas vraiment la tasse de thé des anarchistes. Que le mythe d’une soit disant lutte armée opposant quelques frondes à des missiles Tomahawk confine, pour nous, au grotesque.
Que l’assassinat à la petite semaine de quelques seconds couteaux, fussent-ils flics ou militaires, est pour les anarchistes , une véritable insulte à la morale universelle et à l’intelligence politique. Et que, pour ces raisons, il est tout simplement impensable que nous puissions fricoter avec certaines conceptions d’une révolte à laquelle, par ailleurs, nous ne contestons pas une certaine légitimité.
Si on ajoute à cela que l’air du temps est à la criminalisation de tout comportement un tant soit peu « dissident », il est donc clair que nous avons le profil politico médiatique pour être mis au pilori.
C’est de bonne guerre. Sociale.
Reste que le monde sera toujours divisé en deux.
Avec, d’une côté, ceux qui, pendant la deuxième guerre mondiale, ont accueilli les petits juifs et autres (les Israéliens les ont appelés « les juste »). Et, de l’autre, ceux qui ont organisé (ou participé) à la Rafle du Vel d’Hiv et la déportation de ces mêmes enfants.
Avec, d’un côté, ceux qui, chez nous, à l’Ile d’Oléron, ont organisé (ou participé à) en 1941 le renvoi chez les fascistes espagnols d’une cinquantaine d’enfants de républicains basques qui étaient venus, en bateau, après la défaite, se réfugier au pays de la révolution et des droits de l’homme. Et, de l’autre, de simples gens comme nous qui seront toujours terre d’asile pour tous les enfants du monde.
Dans ces conditions, on voudra bien nous pardonner, à défaut d’avoir choisi le chemin de l’honneur, d’avoir, du moins, refusé de prendre celui du déshonneur.
Etre libre ou se reposer, disait déjà un poète antique.
Telle est et sera toujours la question.
Alors oui, nous avons hébergé un « terroriste » de trois ans. Nous lui avons appris à lire et à écrire. Nous lui avons même transmis nos valeurs de liberté, d’égalité, d’autogestion et d’entre aide. Nous lui avons enseigné que les charentais comme les basques, étaient avant tout des citoyens du monde. Et nous l’avons simplement aimé comme un petit bout d’être humain en mal de tellement de choses. Et nous persistons à ne pas avoir honte de tout cela.
On t’embrasse fort, la petite grenouille.
Garde bien tes petites mains serrées sur ces petites pierres de rêve auxquelles tu t’accrochais quand tu avais le blues de papa-maman. Les histoires des grands n’empêcheront pas toujours que tu puisses vivre la tienne sereinement.
Nous t’y aiderons de toutes nos forces et de tout notre cœur.
On t’aime.
Le 20 octobre 2004.
Jean-Marc Raynaud
Thyde Rosell
(1) En septembre 2004, l’Inspection Académiques de Rennes, sur demande de la police de l’air et des frontières a envoyé aux directeurs(trices) de l’écoles un courrier pour retrouver la présence d’un enfant, sans mentionner le motif de la recherche. Un directeur a répondu. Et c’est ainsi qu’un enfant de sans papiers s’est retrouvé en centre de rétention.
En octobre 2004, l’Inspection Académique de La Rochelle, sans davantage mentionner de motif, a carrément relayé un message de la police recherchant notre petit protégé. Et là encore, il y eut une réponse. D’où notre situation présente.
(2) La chartre de Bonaventure commence par : Qu’ils soient le « fruit » du hasard, de l’habitude, de l’erreur, de l’ignorance ou de l’amour, les enfants ne choisissent jamais de vivre. Dans ces conditions…