« On met une meuf en couverture ? »
--> Réflexions sur des illustrations féminines pas toujours féministes… dans Le Monde Libertaire
Pas facile de trouver une illustration pour un article… surtout quand l’auteur.e n’a rien proposé, qu’on est dimanche soir et qu’on doit boucler le prochain numéro. Alors, dans la précipitation, quelqu'un.e choisit une photo ou un dessin, et c’est parti… au risque de provoquer la surprise et les réclamations de l’auteur.e qui trouve que l’illustration, justement, illustre assez mal ses propos.
Sommes-nous particulièrement sensibles au sujet, au sein de la Commission Femmes ? Il est vrai que nous avons souvent été furieuses en voyant les photos qui s’étalaient aux côtés de nos articles. Je me souviens d’une page particulièrement révoltante : l’article traitait des femmes voilées, je crois. Il était accompagné de deux photos : l’une montrait des femmes couvertes du tchador ; l’autre, des femmes en string sur la plage. Quel message voulait-on faire passer ? « Dévoilez-vous, dénudez-vous, les meufs, qu’on en profite, nous les mecs ! A poils, les femmes ! » Or comment ne pas voir que, voilé ou dénudé, le corps des femmes reste ainsi toujours sous le contrôle des hommes. C’est toujours la même obligation faite aux femmes : « soyez désirables – pour tous les hommes ou seulement pour votre mari – mais soyez ce que NOUS, les hommes, voulons ». Quand laissera-t-on les femmes s’habiller comme elles le veulent ? Quand auront-elles le droit de porter des vêtements courts ou indécents sans être harcelées ou traitées de salopes ? Bref, quand les hommes arrêteront-ils de considérer le corps des femmes comme une annexe de leur territoire ?
Dans le même ordre d’idées, l’article « La religion, ennemie des femmes » (27 janvier 2005) était accompagné d’un dessin montrant un panneau signifiant : interdit de peloter les seins d’une femmes. Mince alors, quels empêcheurs de peloter en rond, ces curés ! Voilà une bonne raison pour les hommes de se révolter contre la condition faite aux femmes par les religieux !
Je passe sur la photo aguicheuse digne des magazines pornographiques (une femme nue, le cul posé sur un ballon de foot) pour illustrer l’article : « Acheter du sexe n’est pas un sport » (25 mai 2006). Sans doute, la provocation se voulait amusante. C’est comme avec les blagues sexistes… je me réserve le droit de ne pas trouver ça drôle.
Les deux dessins qui accompagnaient un de mes articles intitulé « anarchaféministes ! » étaient nettement moins choquants. Pourtant, je les trouve en totale contradiction avec ce que j’ai écrit.
Le premier montre une femme devant la porte verrouillée des « droits de la femme » (il y aurait beaucoup à dire sur l’emploi du singulier ici…). Aucun droit pour les femmes, aucune réclamation possible, semble suggérer l’illustration. Or, aujourd'hui en France, les femmes ont des droits. Elles sont, devant la loi, les égales des hommes. Elle peuvent accéder, comme eux, à pratiquement tous les métiers. Elles peuvent, si elles sont victimes de viol, porter plainte. Elles ont le droit de choisir librement leur sexualité. Et c’est là que la situation est grave : pourquoi, malgré ces droits (acquis au prix de longues luttes), les inégalités persistent-elles ? Pourquoi les femmes continuent-elles d’exercer la majorité des tâches ménagères ? Pourquoi, malgré leurs études, sont-elles en majorité exclues de l’espace public ? C’est cela qu’il faut interroger aujourd'hui. Il ne suffit plus de réclamer des droits ou de veiller à faire appliquer ceux qui existent, mais il faut dénoncer les mécanismes plus retors qui freinent l’émancipation des femmes.
Le deuxième dessin met en parallèle l’évolution de l’homme qui, de singe, se redresse jusqu’à marcher sur ses deux jambes, et celle de la femme, qui reste courbée, occupée à nettoyer le sol. Là encore, la dénonciation est claire et sans ambiguïté : alors que l’homme s’est épanoui, la femme est restée enchaînée aux tâches domestiques et n’a pu évoluer. C’est un dessin humoristique, me dira-t-on, inutile d’en faire une interprétation poussée. Ce qui me gêne, tout de même, c’est de le retrouver dans un journal libertaire qui soutient, avec Bakounine, qu’on ne devient vraiment libre que par la liberté des autres. Ne pensons-nous pas que sans l’émancipation des femmes, les hommes restent esclaves eux aussi ? J’aurais aimé voir ce dessin détourné pour nous montrer un homme ne pouvant se redresser tant que sa compagne reste rivée à terre.
Car c’est bien là l’essentiel de notre projet : nous ne voulons ni obéir ni commander. Tant qu’il y aura des individus soumis, il n’y aura pas d’individus libres. Alors il me semble qu’on a tout à gagner à regarder la lutte féministe comme une lutte à mener conjointement par tou.te.s (hommes, femmes, ceux/celles qui ne se reconnaissent pas dans ces catégories). Cette lutte ne sera révolutionnaire que si elle est universelle ; elle ne saurait se limiter à la réclamation de droits pour une seule partie de la population.
Caroline, commission femmes de la Fédération Anarchiste