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Dans les quartiers, les gens ont un peu appris à se connaître.. On passe la soirée et un gros bout de la nuit à discuter ensemble sur la barricade. T’etais mon voisin inconnu, parce que notre ville n’échappe pas aux règles de toutes les villes, maintenant on se connaît un peu mieux. Un de ces fameux nouveaux chemins qu’ouvrent les barricades.
Et puis, un ennemi commun, peut être un peu trop abstrait - le gouverneur, le fait qu’il y en a plein qui galèrent, un système visiblement en faillite ; et un ennemi commun, peut être trop concret - la PFP, la flicaille, les escadrons de la mort… de fait, ça crée des liens. T’es plus celui qui a un peu plus de fric ou un meilleur travail, t’es celui qui est la sur la barricade a discuter et a partager deux trois trucs. On est « compañeros ».
Tout était pas mal base sur la radio aussi. La radio nous dit rendez vous la pour faire ça, on y va. Ou on se retrouve a la barricade pour Ca se passe bien, le maestro a passé presque trois jours a sculpter, et ça donne bien, entre autre un hélico avec un mec qui tombe et écrit desaparecidos, des tanketes, un Ulises, des PFP… La répression…
Celle de l’APPO devait se faire a Santo Domingo. Le matin, pas possible c’est cerclé de flics. Coups de téléphone. “Si vous allez a Santo Domingo ça romps la table des négociations, changez de lieu”. Ca change de lieu et ça se passe ‘bien’, pas mal de flics autour, pas mal de monde qui passe dans la soirée, bonne ambiance, y’a des chanteurs, tout le monde se lève et tape dans ses mains ou leve le poing pour ‘son de la barricada…’
Quelques marchands nous ressortent leurs tee-shirts et cds gravés, quelques touristes passent…
Pendant ce temps la sur le Zocalo c’est l’officielle. La grosse.
Une queue de 4 heures pour pouvoir rentrer dans le carré ou y’a les oeuvres entourées de policiers, toutes les rues autour bloquées avec les barricades de l’Etat (acier noir, tout soude et bon grillage, c’est classe) et pis des policiers municipaux avec des boucliers. Les tanketes sont cachés un peu plus loin, ils ont juste mis des canons a eau de pompiers. Y’a un tas de PFP sur la place, prêt a intervenir, mais le gouvernement a eu la décence de les ranger dans un grand camion bâché blanc, sans insigne fédéral ni rien…
Les deux font leur spectacle, y’a des flics, quand même pas mal de touristes nord-americains qui se sont ramenés sur le zocalo, présents en ville depuis pas longtemps, et puis voila.
C’était un peu le seul espoir de voir renaître une occupation d’espace collectif, beh non… Tiens, pis la table de négociations c’est quoi ?
Ce truc qui, dans les derniers jours, a fait changer de parcours en live une manif, comme le lieu de l’évènement de Rabanos sans que quiconque autre que l’élite organisatrice le sache… Un truc qui a peut être aidé un peu a libérer des prisonniers, mais.
C’est surtout 10 personnes, qui parlent avec le gouvernement, au niveau fédéral. Issus d’orgas, ils ne peuvent de fait parler que de truc réformistes ; Ils ne représentent ni le peuple, ni eux même en tant que personnes, c’est un peu un nouveau type de fantômes de la politique moderne quoi.
Alors le gouvernement il prend ça au sérieux, et pis il dit genre ‘si vous faites ça, pas gentils hein, ben la table de négociation elle sera plus la, alors le faites pas hein’. Et puis ça suit. Ceux qui sont dans la APPO, et au jus, acceptent ça pour l’instant.
‘Bon vous pouvez faire des marches, mais vous peignez pas les murs hein. Ou vous pouvez faire ça, mais vous restez la, hein.’ La contestation encadrée…
Y’a pas mal de monde qui s’en rend compte, qu’il y a rien a gagner avec ça, que c’est juste un moyen comme un autre de tuer ce qu’il reste. Mais…
Puis la APPO, organisation crée par des orgas, principalement de maestros au début puis qui s’est élargie ensuite, basée sur un fonctionnement similaire a celui de la section 22.. en quoi c’est le peuple réel ?
Le ´todo el poder al pueblo’ qui signe les communiques est bien joli, mais le peuple ?
260 consejos, dont la bonne moitie qui viennent d’orgas, ou de partis politiques traditionnels, en quoi ça peut prétendre représenter un peuple ?
Alors certes, le peuple, lui, s’y identifie pas mal “La APPO eres tu, la APPO soy yo, la APPO somos todos”, y’a pas mal de monde pour le dire et le penser. Mais dans le concret la APPO c’est pas forcement proche de lui…
Ça pouvait être un moyen de s’organiser autrement, de recréer de la politique entre humains, mais ça devient quoi, en plus des rapports de pouvoir, du poids des organisations et de la possibilité pour certains groupes politiques de se tenir une place dans un éventuel autre futur. Une nouvelle constitution, c’est ambitieux et pas si con, mais au fond n’est ce pas avancer vers du pareil en ‘moins pire’ ? Peut il y avoir une autre possibilité, pour éviter le pouvoir et la domination, que les conseils locaux et l’autonomie ?
A l’heure actuelle, même si il y a tout un travail de fond qui continue et un mouvement fort qui existe encore dans le cœur des gens, de fait, y’a des leaders et des gens qui poussent et organisent a la manière d'une avant-garde. C’est moche et/mais ça permet a certains liens entre les gens de continuer encore, mais bon, c'est pas spontané, c’est tout sage et bien encadre.
Dans des municipios les gens ont pu se reparler un peu avec les traditionnelles posadas, 9 soirées avant la noël ou les gens ils se retrouvent. Ça a pu platicar ce que ça avait pas vraiment fait depuis la répression, petit a petit, pendant que les gosses cassent la piñata.
Les prisonniers sont prisonniers, les morts sont morts, et si des légendes disent que les disparus c’est pour leur voler leur âme ‘par ce que pour faire autant du mal que ça Ulises et ses potes ils ont fait un deal avec le diable et ça implique de piquer les âmes de quelques personnes’ - ça enlève pas le fait qu’ils sont pas la et que ça réchauffe pas le moral des gens.
Bon alors c’est quand même la merde et c’était prévisible.
Le ‘comment faire face a la répression’ n’avait pas été réellement pensé, alors qu’il est sur qu’a un moment ou un autre, l’Etat quand il perd pied il envoie ses troufions, pas besoin d’être théoricien pour capter ça… Vis-à-vis de ça y’a pas mal de gens lucides, qui se disent que pour un mouvement social conséquent faudrait être entraîné, manier la kalash et savoir manger des racines dans la montagne. Mais bon, à ce niveau là, faut admettre en même temps que tout mouvement urbain est fondamentalement une joke.
Ici comme ailleurs, ça semble pas mal clair que le seul changement social possible, c’est l’autonomie. Discuter sur les barricades avec ses voisins et aller bosser le lendemain c’est marrant, mais bon.. Y’a un moment ou il faut que le monde autour soit clairement remis en cause. Et a ce niveau la, à part l’autonomie, sur un plan concret il n’y a pas grand-chose.
Vis-à-vis de la APPO, c’est un peu la même. Un conseil ‘estatal’, c’est ‘estatal’, même si c’est un conseil... Et puis si il sert a gérer la vie politique d’une ville reliée à l’économie marchande plus que l’autonomie de peuples, c’est d’un intérêt relatif. Non pas que ça soit le cas maintenant, ou le pouvoir de l’APPO est limité, mais..
Tient, d’ailleurs hier et aujourd’hui a lieu une pleniaria de la APPO.
Une petite 50-60aine de personnes sur les 260 consejos ; ça planifie les actions futures, et puis ça discute. Quelques compas prônent une certaine radicalité et y disent que à tomber dans le réformisme, on s’y retrouve pas, et que les buts comme l’intérêt de la lutte c’est d’aller plus loin, de développer une certaine conscience et d’avancer vers autre chose.
Mais la position réformiste reste bien majoritaire, l’était hier soir en tout cas et peu de chances que ça change ; c’est quand même comme ça depuis pas mal de temps.
Bon alors deux possibilités vis a vis de la situation...
Ou c’est chouette les gens prennent le dessus sur la peur et la vie va revenir, ou c’est l’aliénation – si tant est qu’elle était un peu partie – qui reprend tranquillement le dessus.
A l’image des derniers temps, et du programme d’activités qui semble se dessiner a la rencontre de la APPO, j’aurais tendance a opter pour la seconde solution ; du culturel et du réformisme...
Léger manque de perspective à mon goût dans ce qui se passe par ici ces derniers temps. Pas mal dans la survie, certes, mais où est la dignité dans le combat pour la survie, et où est la possibilité de lutter contre sans lutter pour…
Reste à voir avec le temps, les prochaines semaines seront décisives, la tournure que prend le mouvement nous le dira bien.
Sinon..
Dans certains municipios, c’est payé 900 pesos pour peindre deux jours, par le gouvernement. Une ‘stratégie de diversion’ disent certains, ‘on veut la justice et pas du fric’ disent d’autres.
Et puis il y a ceux qui ferment leur gueule et qui peignent.
900 pesos, c’est beaucoup.
Autonomie, Terre et Liberté.
28 Décembre 2006. Un simple partisan de l'autonomie personnelle et collective ; Oaxaca.