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Lu sur CSPCL : "Un an après le conflit des enseignants qui a éclaté dans l’Oaxaca, cet État est le miroir du Mexique. La droitisation que connaît le pays avance à pas de géant, mais la rébellion aussi, qui cherche, et parfois trouve, de nouveaux chemins. La pauvreté dans laquelle vivent environ 67 % des Oaxaquègnes (2 349 570 habitants, sur un total de 3 506 821, selon les données officielles) et l’inégalité sociale « sont deux éléments qui les empêchent de participer activement à la société », affirme la Banque mondiale [1].
Creuset de cultures indigènes et métisses, les dernières années ont vu Oaxaca, la capitale de l’État du même nom, se transformer en une immense vitrine pour touristes qui rapporte beaucoup d’argent aux investisseurs locaux, mexicains et étrangers, mais très peu au commun des habitants. Avec l’arrivée d’Ulises Ruiz Ortiz (URO) au poste de gouverneur, fin 2004, cette situation a encore empiré, inaugurant un nouveau cycle autoritaire caractérisé par l’emploi arbitraire des deniers publics, l’augmentation du narcotrafic, la destruction du patrimoine historique et naturel, la persécution des moyens de communication indépendants et la répression sous toutes ses formes. Brute maladroite et sans pitié, le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz doit son poste non pas au verdict des urnes mais à la fraude électorale, comme le président Felipe Calderón.
Les guerres d’URO
Loin d’être un reliquat du passé, le despotisme qui règne dans l’Oaxaca résume et à la fois révèle les contradictions aiguës du Mexique d’aujourd’hui. Certains vont jusqu’à évoquer à ce sujet un processus larvé de fascisation [2]. Sans entrer dans un tel débat, le fait est que la droite archaïque et oligarchique actuellement au pouvoir a entrepris une modernisation agressive et discriminatoire, qui va de pair avec l’émergence d’une vague de subversion sociale inédite qui la met en péril. Cette droite ne recule devant rien. Elle ne prétend à aucune légitimité et n’a que faire de la concertation, elle cherche uniquement à s’enrichir et à perpétuer sa propre existence. Dans l’Oaxaca et ailleurs, son programme reste inchangé : démanteler les derniers vestiges de l’État du contrat social, soumettre le pays aux nécessités du capital multinational et en finir avec tout ce qui ressemble de près ou de loin à la gauche. Les nuances politiques et les guerres intestines - car il y en a - importent donc peu puisque, dès que le besoin s’en fait sentir, de telles disputes n’empêchent pas cette droite de rallier non seulement le PAN, mais une bonne part du PRI et même de ladite gauche institutionnelle.
Le maintien d’URO dans ses fonctions et l’appui qu’il a reçu de la part de deux exécutifs fédéraux consécutifs (celui de Vicente Fox et celui de Felipe Calderón) ne tranchent en rien sur le panorama mexicain actuel : les premiers mois de la nouvelle administration du PAN se caractérisent en effet par la militarisation des principales régions indigènes du pays, par les nombreux assassinats perpétrés par l’armée et par la demande effectuée par le gouvernement mexicain auprès de son homologue nord-américain de lancer au Mexique un « Plan Colombie », sous le prétexte de lutter contre le narcotrafic [3].
Quant à l’arbitraire dont fait preuve le gouverneur de l’Oaxaca, un avant-goût en avait été donné dès le lancement de sa campagne électorale. Le 27 juillet 2004, en effet, lors d’un meeting de propagande tenu à Huautla de Jiménez, ses sbires ont battu à mort Serafín García, un enseignant, dont le seul délit était de s’opposer à sa candidature. Comme beaucoup d’autres, ce crime est resté impuni [4].
Le jour des élections, le 1er août, par trois fois le dépouillement du scrutin s’écroula comme un château de cartes, dans le chaos le plus complet, aussi Todos Somos Oaxaca (Nous sommes tous Oaxaca), une coalition dirigée par Gabino Cué, demanda-t-elle officiellement l’annulation de la « victoire » d’URO - surnommé le mapache mayor [5] (le Grand Mapache). En pure perte : les jeux étaient faits et tout semble indiquer que le poste de gouverneur constituait le paiement de la dette contractée avec la guerre sale qu’URO avait supervisée quelques années auparavant au Tabasco contre Andrés Manuel López Obrador, ennemi juré de Roberto Madrazo, l’aspirant du PRI à la candidature à l’élection présidentielle.
Quoi qu’il en soit, la première action du nouveau gouverneur fut de déclencher une autre guerre, cette fois contre un journal local indépendant, Noticias de Oaxaca, jugé coupable du crime de dissidence. Le 17 juin 2005, des nervis menés par David Aguilar, député affilié au PRI et « dirigeant syndical », faisaient irruption dans les locaux de ce quotidien. Devant le refus de la rédaction de se joindre à une prétendue « grève », les assaillants ont retenu sur place pendant plus d’un mois les 31 journalistes qui s’y trouvaient [6].
Malgré tout, Noticias de Oaxaca continua de paraître car les otages sont parvenus à envoyer des informations par Internet et le journal put être imprimé à Tuxtepec, à plus de 200 kilomètres d’Oaxaca. Quand la police de Ruiz Ortiz voulut intercepter les camionnettes qui transportaient les imprimés, le propriétaire du journal, Ericel Gómez, loua un petit avion pour que les vendeurs de rue puissent aller le chercher directement à l’aéroport, avec l’aide du syndicat des enseignants. La bataille ne s’acheva pas là, le tirage fut considérablement réduit mais Noticias de Oaxaca réussit finalement à survivre à la persécution des autorités. Du coup, le journal s’est visiblement radicalisé et il est devenu le quotidien le plus vendu de l’État de l’Oaxaca. URO essuyait ainsi sa première défaite.
Un autre signe avant-coureur est l’attaque qu’a subie Santiago Xanica, une communauté indigène zapotèque en pleine Sierra Sur, en lutte depuis des années pour faire respecter ses droits collectifs. En décembre 2004, quelques jours seulement après la prise de fonctions d’URO, l’armée a commencé à patrouiller dans la localité et, le 15 janvier 2005, la police préventive de l’Oaxaca tira sur environ 80 indigènes qu’elle prit dans un feu croisé alors qu’ils effectuaient des travaux communautaires aux abords du cimetière. Abraham Ramírez Vázquez, dirigeant du Comité pour la défense des droits indigènes (Codedi), fut grièvement blessé lors de cette embuscade. Partant du principe que, au temps des assassins, ce sont les victimes qui sont coupables, ce combattant social fut arrêté sans autre forme de procès et croupit toujours à l’heure actuelle dans les geôles de la prison de Pochutla [7].
Peu après, URO s’est embarqué dans un réaménagement au coût exorbitant et néfaste, écologiquement parlant, du zócalo d’Oaxaca, la grand-place, travaux qui lui ont valu l’antipathie de la classe moyenne locale mais lui a permis d’engraisser substantiellement le compte en banque de ses proches.
Dès la fin mai 2006, on comptait déjà près de soixante-dix prisonniers politiques dans l’Oaxaca. N’étant pas satisfait, le gouverneur fit tirer sur la section 22 du Syndicat national des travailleurs de l’enseignement (SNTE), qui rassemble environ 70 000 membres et s’appuie sur une longue tradition de luttes indépendantes.
Depuis des années, à l’approche du Jour des instituteurs (le 15 mai), les enseignants installent un plantón, un piquet de grève-rassemblement, dans le centre-ville d’Oaxaca, pour émettre leurs revendications. Les habitants s’en plaignent et ronchonnent mais leur refusent rarement leur sympathie. Catalyseurs de la conscience sociale, pleinement dévoués à leur travail et fins connaisseurs des réalités locales, ils jouissent d’un grand respect dans cet État du Mexique.
Cette année-là, ils exigeaient le réajustement de leur maigre salaire pour toucher ce qui est en vigueur dans le reste du pays, une revendication qui débordait donc le cadre de l’Oaxaca pour impliquer aussi les autorités fédérales. Cependant, au printemps 2006, toute négociation devint subitement impossible : URO menaça ouvertement les enseignants et essaya de monter l’une des fractions du mouvement contre l’autre, tandis que le gouvernement fédéral du PAN ne voulut rien savoir de cette affaire, pensant en profiter pour porter un coup sérieux au PRI.
Le plantón a commencé le 22 mai, sans provoquer de réponse particulière de la population. Encouragé par ce peu d’écho, le 14 juin, URO ordonna l’expulsion, comptant sur un effet surprise. À 4 h 50 du matin, appuyés par des hélicoptères lançant des grenades au gaz toxique, des agents de différents corps de police attaquèrent les manifestants, tirant sur les gens désarmés. Non contents de la panique causée parmi la population, les policiers ont cassé tout ce qui leur tombait sous la main, y compris le siège de Radio Plantón, la station de radio des enseignants. L’attaque s’est soldée par 200 blessés, sans compter un nombre indéterminé de disparus.
URO manifestait ainsi le talent qui est le sien pour répondre à l’insatisfaction sociale, comme l’avait fait Enrique Peña Nieto, gouverneur - du PRI, lui aussi - de l’État de Mexico, à Atenco, quelques semaines auparavant, avec la collaboration enthousiaste de l’exécutif fédéral du PAN [8]. À la veille de l’élection présidentielle, le gouverneur de l’Oaxaca transmettait donc le message émis par son chef, Roberto Madrazo : le PRI est le parti de l’ordre. Dès cet instant, les élections étaient entachées de sang.
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