LA QUASI-TOTALITÉ des médias est concentrée entre les mains des puissances d’argent, essentiellement celles d’un bétonneur et de deux marchands de canons. Parallèlement, d’autres faiseurs d’opinion, c’est-à-dire les instituts de sondage – lesquels manient avec un art consommé les ficelles du marketing – contribuent également au conditionnement des esprits.
L’articulation entre ces deux « supra-dispositifs » en vue de servir et renforcer l’idéologie dominante a largement démontré son efficacité au cours des dernières années et plus particulièrement lors de la dernière élection présidentielle.
Qu’entendons-nous par efficacité ?Pensons alors à un vieux proverbe chinois: « Quand le sage montre la Lune, l’imbécile regarde le doigt. » Mais encore? Eh bien c’est simple… le couple médias-sondagistes a constamment poursuivi une stratégie précise, ainsi, pour occulter les véritables objectifs dissimulés dans ladite stratégie, ce tandem n’a eu de cesse d’amuser la galerie à coup de petites phrases, d’un flux constant de sondages savamment manipulateurs, de mise en scène de situations accentuant la « peopolisation » du champ politique.
Ces procédés extrêmement sophistiqués visaient en réalité un seul but: implanter puis arrimer solidement dans les esprits les modèles politiques qui prévalent dans nombre de pays capitalistes, à savoir la réduction de la représentation politique à deux forces (lire deux partis), toutes deux asservies obligatoirement à l’idéologie et à l’ordre capitaliste.
Les différences, transformées en divergences pour le bon peuple, devant porter au mieux sur des sujets « sociétaux » (terme issu de la novlangue pour mieux vider davantage le politique de sa substance) ou, au pire, sur la mise en exergue de différences cosmétiques entre telle ou telle personnalité.
Dit autrement, les servants de l’idéologie dominante n’ont eu de cesse de stigmatiser le prétendu archaïsme du champ politique hexagonal pour nous enjoindre de nous débarrasser séance tenante de nos vieux oripeaux, et de nous convertir sans plus regimber au « nec plus ultra » de la démocratie que serait par exemple: un parti républicain côté pile et un parti démocrate côté face.
Évidemment, pas chiens pour deux sous, ces penseurs à deux balles consentent à être généreux sur les détails ou, si vous préférez, nous autorisent à choisir les appellations qui nous conviennent, sous réserve de ne pas ergoter sur le principal, autrement dit d’acter que le capitalisme est l’horizon indépassable de notre temps et qu’il faut par conséquent se doter des institutions et formes de représentation politiques qui assureront sa perpétuation éternelle.
Revenons plus pleinement à nos mangeurs de grenouilles.Du côté des conservateurs « pur sucre » la mise en forme de ce rêve a déjà eu lieu. Le César de l’Élysée a un large temps d’avance sur la famille d’en face (vu que parler de camp opposé serait un abus de langage). Pendant que le premier a mis ses légions en ordre de bataille et peaufine les derniers préparatifs de son offensive contre le camp des travailleurs, les seconds font dans la comédie de boulevard et agitent leurs épées de bois.
Idéologiquement, les seconds ont fait leur mue depuis belle lurette sans avoir eu besoin de la légitimer avec un quelconque Bad Godesberg. Pour autant, leur dispositif scénique souffre d’obsolescence car la cartographie des partis, en dehors de la sphère d’influence ou de l’emprise du César modèle réduit, est en pleine décomposition, d’où leurs glapissements et tentatives de « recomposition » pour ne pas être largués définitivement dans la distribution des rôles et prébendes.
L’ennui, pour ces pitres, est qu’il leur faut privilégier les prochaines élections législatives sans attendre leur grand parti ramasse-restes, faute de quoi César ne leur laissera que des rogatons.
Autrement dit et pour l’heure, l’émergence d’un clone de l’UMP paré de couleurs plus chatoyantes que l’icelle – forcément puisque « progressiste » – attendra.
Nous ne verserons pas une seule larme sur les déboires présents et futurs de tous ces sinistres personnages qui ont l’impudence de prétendre incarner le côté senestre de la politique.
Itou la pusillanimité des représentants autoproclamés de la gauche de la gauche et l’impuissance sur laquelle leurs incantations débouchent, nous ne plongerons pas dans l’affliction.Tous méritent notre colère. L’heure est particulièrement grave, sinon dramatique, ce qui n’empêche pas tous ces stratèges en chambre de continuer à privilégier leurs intérêts de boutiquiers, plutôt que d’organiser la riposte de l’ensemble des travailleurs pour faire rendre gorge au César qui s’apprête à nous enfoncer son glaive dans nos flancs. Bien sûr nous délirons, car il n’a jamais été dans l’intention de ces tigres de papier d’amener les travailleurs dans la rue. Bien pire, chaque fois qu’ouvriers et étudiants ont secoué vigoureusement le joug qui les opprime, la plupart se sont évertués à freiner le mouvement d’abord, puis à l’aiguiller sur les « bons rails » c’est-à dire à faire l’apologie des urnes, étant entendu qu’en votant « bien » on allait voir ce qu’on allait voir.
Oui, l’heure est dramatique. César et ses généraux pensent et annoncent urbi et orbi que leurs sales coups passeront comme une lettre à la poste, d’où le fait qu’ils bombent le torse et se moquent ouvertement des valétudinaires « d’en face », c’est-à-dire des partis dits d’opposition et des syndicats. Mais il faut dire que les Curiaces en question ne sont guère coriaces, aussi auraient-ils bien tort de se gêner. Ne nous leurrons pas, Sarkozy et ses séides ne sont pas des rodomonts, oui ils veulent frapper fort et vite. Ces cogneurs ont parfaitement évalué la situation, aussi leur premier objectif est de casser le droit de grève, car ils savent que là est l’arme principale des travailleurs. Admettons que ces mercenaires du patronat parviennent à leurs fins, alors c’est un vrai boulevard qui s’ouvrirait devant eux. Dans la foulée, ils pourraient continuer à dépecer le Code du Travail, dynamiter les régimes spéciaux, généraliser la précarité du travail, transformer l’éducation nationale en une myriade de PME, pondre d’autres lois liberticides, réprimer d’une main de fer toute forme de contestation, criminaliser davantage la pauvreté, etc.
Nous n’avons pas lieu de forcer le trait ni de noircir le tableau, car cette chronique des mauvais coups… évitables est programmée et déclinée sur tous les tons par César et ses courtisans aux dagues acérées. Et pendant ce temps-là, les bureaucraties syndicales défilent à la queue leu leu devant les nouveaux maîtres, se gargarisent du dialogue qui leur sera offert, pour ensuite pleurnicher soit parce que les délais pour discuter sont trop serrés, soit parce que décidément il y a trop de « chantiers » ouverts simultanément!
César est magnanime qui tient à peu près ce langage: «Vous pouvez choisir le coloris de la corde de chanvre qui vous pendra et même le lieu de l’exécution. » Eh oui, au cas ou les bureaucraties syndicales joueraient la montre, une très probable chambre bleue horizon légiférerait pour aboutir au même résultat. Les temps à venir feront le lit des hypocrites puisque Chèrèque et ses frères de gamelle n’auront de cesse de se défausser les uns sur les autres pour s’exonérer des responsabilités qu’ils revendiquent, à savoir représenter… et défendre les salariés!
Les gros mous de l’ex-gauche « plus rien » se hisseront sur leurs maigres pattes et jureront qu’ils mèneront une terrible bataille parlementaire en déposant des montagnes d’amendements. Puis, quand la broyeuse aura bien déchiqueté le droit de grève, tous les pitres que nous venons de citer retourneront à leur niche, car les bougres savent bien que trahir les travailleurs mérite bien un gros no-nos à ronger. Certes, nombre de facteurs objectifs constituent autant de handicaps pour mener une lutte d’ensemble. Parmi ces « lests » nous citerons particulièrement: le fort volume de chômeurs et de travailleurs précaires, le fort endettement des ménages, le chantage à la fermeture d’entreprise et surtout le crédit accordé aux urnes même quand les illusions accordées à cette voie vont diminuendo. On ne saurait minimiser les handicaps que nous venons de citer, néanmoins potentiellement la classe ouvrière et tous ceux qui ont intérêt à faire rendre gorge à César et ses généraux ont largement les moyens de briser les pièges destinés à nous broyer les os. Question de prise de conscience, ce qui suppose pour les travailleurs de recouvrer la confiance en leurs propres forces, lesquelles sont immenses. Si des milliers de Spartacus se lèvent, César et sa valetaille seront défaits, dans le cas contraire très longue et bien froide sera la nuit.
S.C.
in Le Monde libertaire # 1480 du 31 mai au 6 juin 2007
Hebdomadaire de la Fédération anarchiste, adhérente de l’Internationale des fédérations anarchistes