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panik |
interview de laurence Roques télérama du 03 mai 06.Spécialiste
du droit des étrangers et de l'immigration, Laurence Roques
est avocate au barreau de Créteil. Elle préside la commission « droit
des étrangers » du Syndicat des avocats de France. Ce
dernier s'est joint au recours formé devant
le Conseil d'Etat par le Syndicat de la magistrature, contestant la
circulaire du ministère de l'intérieur (21
février 2006) sur les interpellations des
étrangers en situation irrégulière. Le
collectif «Uni(e)s contre une
immigration jetable» appelle à une manifestation nationale
à Paris, le 13 mai 2006. www.contreimmigrationjetable.org La loi
sur l'immigration modifiant le Code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), présentée
par Nicolas Sarkozy, subira-t-elle le sort du CPE ? C'est en tout cas son retrait pur et simple que demandent près de cinq cents associations regroupées dans le collectif « Uni(e)s contre une
immigration jetable», associées à une
cinquantaine de « mouvements,
associations et services chrétiens », signataires d'un appel contre les dangers de ce projet "qui va acculer à la désespérance les milliers d'étrangers depuis
longtemps en France". Pour eux, ce texte, dont l'examen
devant l'Assemblée nationale a débuté le 2 mai, est tout simplement dangereux, xénophobe et électoraliste.
Explications par Laurence Roques, présidente de
la commission "droit des étrangers" du Syndicat des avocats de France. Télérama :
Que contient ce projet de loi, pour soulever
un tel tollé ? Laurence Roques : D'abord, il faut se souvenir
qu'il y a deux ans et demi à peine Nicolas Sarkozy avait déjà réformé
la loi sur l'immigration en réduisant considérablement le droit des
étrangers. Ce changement s'est révélé inefficace et inapplicable.
Pourquoi ? Parce que cette
loi légalisait des pratiques administratives incompatibles avec les engagements internationaux de la
France. Du coup, les tribunaux ont
cassé les procédures d'expulsion.
Et les immigrés en situation irrégulière qui avaient les moyens de saisir les juridictions sont restés sur le territoire français, sans que
l'administration leur donne pour autant des titres de séjour. Cette loi du 26 novembre 2003, qui entendait afficher
une "fermeté" à l'égard des
clandestins, a, en partie, raté son
objectif. Il fallait donc la remplacer par un nouveau texte, plus dur encore. Télérama :
Quelles sont les nouveautés du texte ? Laurence Roques : Comme en 2003, le coeur du débat
concerne l'immigration familiale. C'est le cheval de
bataille permanent de Nicolas Sarkozy, ce qu'il appelle "l'immigration
subie". Concrètement, une des mesures phares de la nouvelle
loi consiste à durcir les conditions d'obtention d'un titre de séjour
pour les conjoints étrangers de Français. Ils devront obtenir d'abord,
depuis leur pays d'origine, un visa de "long séjour", puis attendre trois
ans au minimum pour avoir une carte de résident (et quatre ans pour
demander la nationalité française). Pendant tout ce temps, on va les
maintenir dans la précarité puisqu'ils ne seront titulaires
que d'une carte d'un an renouvelable, sous réserve qu'ils vivent avec leur
conjoint. Ça veut dire qu'on va leur rendre la vie impossible. Autre domaine visé : le regroupement familial.
Jusqu'à présent, la réglementation imposait
des revenus suffisants, ainsi qu'un
logement acceptable. Dans la nouvelle loi, on ajoute "le respect des principes qui régissent la République
française", sans définir cette condition, la laissant à l'appréciation totale du préfet. Quel
étranger connaît suffisamment le
fonctionnement de nos institutions ?
On peut parier qu'il n'y en aura pas beaucoup. Ensuite, l'avis du maire sera nécessaire, et
chaque ville va pouvoir accepter ou
refuser ce regroupement familial. Comme pour le logement social, des municipalités vont faire de la place et d'autres
non. Mais ces nouvelles dispositions
n'empêcheront évidemment pas les
familles de venir. On pourra bâtir un mur
en béton autour de l'Europe, les gens arriveront encore à le franchir. L'immigration zéro est impossible. Les gens
viendront sans droit au séjour, sans droit au travail, sans possibilité d'intégration. On va créer encore plus de clandestins, plus de précarité, plus
de délinquance, et des risques
supplémentaires d'explosion sociale.
Est-ce volontaire ? II est possible
que Nicolas Sarkozy veuille déclencher une guerre civile pour que le pays en appelle au retour à l'ordre. Dans
l'immédiat, l'idée est d'éviter au
maximum que les étrangers installent
leur famille en France et qu'ils s'y reproduisent. Télérama :
Ce projet parle d'• Immigration choisie •. Laurence
Roques : II
s'agit de sélectionner les "bons éléments" capables de contribuer au "rayonnement de la France ". Concrètement, le
texte crée une nouvelle carte appelée "Compétences et talents". Moi,
je l'appelle la carte Star academy ! A qui sera-t-elle délivrée ? A
quelques artistes ou sportifs ainsi qu'à des scientifiques, des industriels,
des techniciens de haut niveau, des informaticiens... Or, cette carte, s'ils ne
l'ont pas déjà sous une autre forme, ne risque pas de les intéresser : elle n'a
qu'une validité de trois ans et elle peut être retirée dès que les contrats de
travail cessent. Dans d'autres pays européens, les conditions qui leur sont
offertes sont bien meilleures. Certains de mes clients pourraient l'obtenir,
mais préfèrent partir pour l'Angleterre, où ils sont mieux accueillis. Télérama : La
régularisation des clandestins est Laurence Roques : Jusqu'à présent, ils ont droit à une carte
d'un an renouvelable chaque année, à condition qu'ils aient déjà passé dix ans
en France. Ils n'auront plus droit à rien. Ceci est en contradiction avec la
Convention européenne, qui assure que lorsqu'on a vécu un certain nombre
d'années dans un pays, qu'on y a créé une vie privée on a droit à des papiers.
Quand Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'Intérieur, créait cette
carte en 1998, il ne faisait pas dans l'humanitaire. Il se contentait de
respecter les conventions internationales. Les autres pays européens ont fait
de même. Que va-t-il se passer avec la loi Sarkozy ? Contrairement à ce qu'il
espère, les clandestins vont évidemment
rester, parce qu'ils ont le boulot qu'ils sont venus chercher, mais ils le feront sans aucun droit, sans aucune protection et sans espoir de voir leur
situation s'améliorer. Ils seront
des sous salariés, jetables et corvéables. Télérama : En fait, ce
sont toutes les possibilités de rester
en France qui sont réduites... Laurence Roques : Effectivement. La suppression de la
carte de séjour de dix ans en est une des plus éclatantes illustrations. Les étrangers
pouvaient obtenir de plein droit cette
carte quand ils étaient intégrés depuis
longtemps et avaient noué des attaches familiales importantes. Désormais, elle sera délivrée de manière discrétionnaire par le préfet, sous
réserve que soit remplie la fameuse
condition de "connaissance linguistique
et d'intégration", sans
que ces termes aient été définis.
Est-ce que seront prises en compte la tenue
vestimentaire, les pratiques politiques, religieuses, alimentaires ? Si la loi passe, il sera plus difficile d'obtenir cette carte de dix ans que de devenir Français, puisque la naturalisation impose moins de
conditions. C'est très fort !
Je ne suis pas convaincue que les services de Sarkozy aient mesuré cet effet
secondaire. Mais cela ne m'étonne guère,
car ce texte, comme les précédents, a
été rédigé dans l'urgence, sans débat démocratique,
sans consulter personne. Télérama : Vous
attendiez-vous à une telle mobilisation
contre ce projet ? Laurence Roques : Les temps ont changé, ces derniers
mois, et nous nous sentons moins seuls à nous battre. Sarkozy, qui
avait fait passer sa première loi dans la quasi-indifférence, a,
cette fois, réussi à se mettre à dos un grand nombre de personnes qui ne sont
pas forcément des gauchistes. Chacun se disait : "L'immigration ne nous concerne pas, des sans-papiers, on n'en a pas près de chez nous, on ne peut pas accueillir tout le monde, c'est normal..." Mais
quand des enseignants sont soupçonnés
d'aider l'immigration clandestine
parce qu'au nom du droit à la scolarité ils n'ont pas demandé sa carte d'identité à un étudiant; quand,
au nom du serment d'Hippocrate, des médecins
doivent se battre pour que la police ne viennent pas chercher les clandestins
aux urgences, on finit par réaliser que ce sont les principes fondamentaux
qu'on attaque. Non seulement cette loi sera inefficace - puisqu'elle va créer de plus en plus de
clandestins et que les "élites" ne
viendront pas plus nombreuses , mais
elle est clairement xénophobe. Quand on suspecte les conjoints de Français, c'est qu'on ne veut plus de
mariages mixtes ; et si on ne veut plus de
mariages mixtes, on ne veut donc
plus de procréation mixte. C'est dire aux Français : "Mariez-vous avec des Français". Ça rappelle la prime à la
naissance d'enfants français chère à
Le Pen. A quelques mois de 2007, il
est incontestable que Nicolas Sarkozy, en proposant une loi à vocation
électoraliste, drague sur les terres du
Front national. Propos
recueillis par Véronique Brocard Répondre à ce commentaire
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à 18:42