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Ce qui a tant frappé les esprits lors des attentats du 11 septembre 2001, hors l’aspect symbolique des cibles visées et le caractère hautement spectaculaire du mode opératoire choisi, c’est l’implacable détermination de terroristes non pas comme jusqu’alors acceptant de perdre éventuellement la vie dans les aléas de la guerre livrée à l’Occident, mais partant au combat en sachant qu’ils n’en reviendront pas dans tous les cas de figure.
Depuis, de la Palestine jusqu’à l’Irak en passant par l’Afghanistan et maintenant le Sri Lanka, l’attentat-suicide a cessé de représenter l’exception d’un jusqu’au-boutisme nihiliste pour devenir la règle partout où la rébellion se heurte aux murs conjoints des armes, de la technologie et de l’argent qui réduisent ses propres moyens à l’impuissance.
Bien sûr, on peut évoquer à juste titre l’endoctrinement et son enfant le fanatisme, religieux au premier chef, nationaliste au second, mais celui-ci explique-t-il à lui seul la production apparemment inépuisable de candidats au martyre ?
Les célèbres kamikases japonais sacrifaient leur existence comme ultime ressource militaire à une situation critique pour leur pays, pour lequel le suicide guerrier n’a jamais constitué un mode a priori de gestion du conflit, mais un pis-aller, la dernière arme à utiliser quand toutes les autres ont fait faillite.
Ce qu’il y a d’inédit -en tout cas à cette échelle-, c’est qu’aujourd’hui les sacrifiés volontaires ne se trouvent pas vraiment en situation de combat : en fait, ils se battent avant le conflit militaire ou après, abandonnant le pendant aux armées régulières, dont les soldats poussent rarement l’abnégation de soi jusqu’à la mort (quand la bataille est perdue, on se rend plus souvent à l’ennemi qu’on ne cherche à le détruire en se détruisant soi-même).
Ensuite, les victimes ne sont généralement pas des combattants ni même des personnages influents, mais des individus ordinaires qui n’ont la plupart du temps de pacte passé avec l’ennemi que celui de le servir sans passion pour ne pas mourir de faim, ou même pas de pacte du tout, quand il s’agit de travailleurs madrilènes ou londoniens assez souvent nés au même endroit que ceux qui les tuent.
N’y a-t-il pas dans cette volonté homicide qui n’épargne ni soi-même ni les siens –et même les épargne moins que l’ennemi réel ou supposé- quelque chose qui déborde le simple fanatisme et l’affirmation de valeurs prétendues nobles que l’horreur de l’acte discrédite aussitôt, pour devenir l’expression du désespoir, où n’est jamais absente la haine de soi ?
Le système ultralibéral* promu par les Etats-Unis (et dans une mesure plus ou moins importante par ses alliés occidentaux et orientaux), dont la démocratie -soit un pluralisme de façade en matière politique- est l’alibi, déjà de moins en moins supportable dans les pays les plus prospères où l’écart ne cesse de se creuser entre des ploutocrates toujours plus riches et des précaires toujours plus nombreux, devient intolérable dans les économies émergentes où son action ne fait qu’exacerber une dichotomie nantis/démunis, dominants/dominés, déjà paroxystique.
Ce qui étonne n’est pas tant que l’injustice libérale et la « vitrification » sociale qu’elle véhicule** rendent les peuples fous, mais plutôt que certains d’entre eux acceptent leur aliénation, préférant, mais jusqu’à quand ? être bafoués que morts (ne connaissant pas de bien plus précieux que l’existence, on ne le leur reprochera pas).
Du proche ou lointain Orient, on sait que le mal est fait. Reste qu’en mettant tout son pouvoir d’influence et sa colossale puissance financière au service de mouvements et de factions susceptibles de déstabiliser, voire de renverser, les gouvernements régulièrement élus qui n’ont pas l’heur de lui convenir –on pense en particulier à ceux du Venezuela et de Bolivie***- l’administration Bush court très manifestement et très volontairement le risque de produire dès maintenant le désespoir sans issue qui produira demain des kamikases qui n’auront même plus pour explication à leurs actes l’étrangeté d’être musulmans.
* Considérant le réveil du djihad, de l’ultra-nationalisme et des irrédentismes de toutes sortes comme une réponse au nivellement de la mondialisation marchande.
**En assurant à force de propagande le contraire, à savoir que « chacun a sa chance ».
***quoique dans le Guatemala aujourd’hui « démocratique », les Indiens recherchent leurs morts dans les fosses communes de la guerre civile, tandis que l’ancien dictateur- boucher Rios Montt, grand protégé des USA, se pavane tranquillement en ville (voir Courrier international du 12/10 /06).
Mathias Delfe