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Nanotechnologies : s’informer, s’exprimer… et après ?
Lu sur Internet. ACTU.net : "A l’occasion du débat public sur les nanotechnologies, intitulé Je m’informe, je m’exprime, et les polémiques associées (voir la première partie de cet article), il nous a semblé intéressant de s’intéresser à la portée de telles consultations publiques dans d’autres pays - en l’occurrence, le Royaume-Uni.

Le Responsible Nano Forum a en effet proposé à 28 experts anglo-saxons de faire le point (.pdf) sur la question, cinq ans après la publication d’un important rapport consacré aux opportunités et incertitudes de la nanoscience et des nanotechnologies. La quasi-totalité témoignent de ce que la plupart des questions posées à l’époque restent encore en suspens, que tout reste encore à faire, et que rien n’est règlé.

La nanopollution a déjà commencé
Un article de la revue Environmental Health Perspectives révélait ainsi récemment que l’on dénombrait à ce jour 45 sites -dont 5 en Europe- où des nanoparticules étaient utilisées afin d’assainir les sols et eaux souterraines pollués (cf. la carte qu’en a tirée le PEN), alors même que le rapport de 2004 préconisait de l’interdire tant que des études n’auraient pas établi que ce type de dispersion était sans danger.

Pour Andrew Maynard, conseiller scientifique du Project on Emerging Nanotechnologies (PEN), peu de progrès ont été faits depuis 2004, et l’opinion publique reste encore à l’écart de ces questions.

“Plus important encore” selon lui, il faudrait aller au-delà des nanomatériaux, et se pencher sur les implications d’autres technologiques nouvelles, telles que la biologie synthétique par exemple, auxquels s’intéressent un nombre croissant de scientifiques et industriels, et dont on mesure encore peu les implications sociales, éthiques, environnementales et sanitaires.

Richard Jones, professeur à l’université de Sheffield, note lui aussi qu’il conviendrait, aujourd’hui, de commencer à débattre de la bionanotechnologie, de la neurotechnologie, de l’informatique ubiquitaire et de la géo-ingénierie, sans oublier la convergence des sciences, en tirant les leçons de ce qui s’est passé -et se passe encore- avec la nanotechnologie :

“une des conséquences du retard pris à s’intéresser à la toxicité des nanoparticules a été que c’est cet aspect-là de la question qui, depuis, a dominé le débat autour de la nanotechnologie”.

Lynn L. Bergeson, cofondatrice d’un cabinet d’avocat spécialisé dans le risque toxicologique industriel, voit également poindre l’émergence de technologies qu’elle qualifie d’”hybrides, mais aussi, ou surtout, “actives“, et qu’il serait urgent de commencer à défricher, voire débattre, sous peine d’être débordé par le marché :

“Il est clair que la première génération de nanotechnologies passives va rapidement être supplantée par une seconde, une troisième et une quatrième génération de nanotechnologies actives qui, à leur tour, vont se fondre dans d’autres technologies pour constituer des “technologies hybrides, complexes et innovantes“. Le tempo de ces innovations va inévitablement monter crescendo, accroissant la fracture entre les orientations réglementaires d’un côté et la réalité du marché de l’autre.”

De son côté, Practical Action, une ONG qui, depuis 40 ans, utilise la technologie pour combattre la pauvreté, rappelle qu’il existe aussi un risque de “fracture nanotechnologique” qui, couplée à la fracture numérique, ne peut qu’élargir encore plus le fossé entre (pays) riches et pauvres, et qu’il convient donc de ne pas seulement focaliser le débat sur les aspects sanitaires ou toxicologiques, pour parler d’économie et de développement humain.

Un climat d’incertitude…
A défaut de savoir à quels types de technologies nous serons d’ici quelques années confrontés, et quels seront les problèmes que nous devrons affronter, il n’est pas anodin de faire le point sur les réponses apportées, ces dernières années, aux questions soulevées par les nanotechnologies.

Cherchant à tirer le bilan, point par point, des 21 recommandations du rapport de 2004, le docteur David Santillo, des laboratoires de recherche de Greenpeace à l’université d’Exeter estime à ce titre qu’il est “difficile d’être positif“.

Etrangement, venant de la part d’un défenseur de l’environnement, le risque serait… de trop se focaliser sur les seuls risques toxicologiques et environnementaux, au point d’occulter les enjeux éthiques et sociaux associés à ces technologies, ces nouveaux matériaux et ces nouveaux marchés.

S’il se dit persuadé que la majorité des entreprises des pays riches ont pris des dispositions pour protéger ceux de leurs employés aux contact de nanoparticules, Santillo constate qu’on ne dispose pas de données publiques permettant de s’en assurer.

La barrière de la “confidentialité commerciale” reste en effet l’un des principaux problèmes posés à ceux qui veulent étudier la dissémination des nanomatériaux, vérifier les tests d’écotoxicité effectués par l’industrie ou encore, et plus simplement, être tenu informés de la présence de nanomatériaux dans tels ou tels produits :

“Si l’incertitude engendre la peur et la suspicion, l’absence d’information ne peut que perpétuer cette incertitude, on ne peut donc reprocher à l’opinion publique ses réactions de peur dans un tel climat de “confidentialité”.”

…. et de paranoïa
Illustration de cette paranoïa : 4 des 28 experts interrogés par le Responsible Nano Forum ont préféré garder l’anonymat…

L’un d’eux, qui travaille dans l’industrie pharmaceutique, se dit “stupéfié” de voir que, cinq ans après la publication du rapport, aucun progrès ou presque n’a été fait en terme d’établissement d’un corpus éthique, de standardisation, de détermination du cycle de vie des nanomatériaux, d’informations sur la nanotechnologie, mais aussi d’”engagement sociétal au sujet de l’utilisation des nanotechnologies” :

“Nous sommes passés d’une démarche de transparence à la peur de voir le public découvrir que des nanotechnologies sont employées dans certains produits. Désolé de le dire, mais nous sommes en train de répéter la débâcle de l’alimentation génétiquement modifiée.”

De façon plus diplomatique, mais peut-être aussi encore plus cruelle, Hilary Sutcliffe, fondatrice et directrice du Responsible Nano Forum, estime que “se dessine une nouvelle aire de la responsabilité des entreprises, non seulement du fait du développement de ces nouvelles technologies, mais aussi pour anticiper nos probables désillusions, après avoir tant entendu parler de leurs mérites et vertus“.

En langage moins châtié : il serait urgent que les entreprises commencent à se préparer à la communication de crise qu’elles devront mettre en oeuvre lorsque de vrais problèmes se feront jour, afin de rassurer l’opinion publique, leurs partenaires et actionnaires. Ou, mieux : qu’elles cherchent à être “responsables” dans le développement même de leurs technologies, au lieu de jouer aux apprentis sorciers.

Des trésors d’énergies dépensés… en vain ?
L’expert anonyme qui travaille, lui, dans l’industrie, déplore lui aussi l’amoncellement de consultations, études, enquêtes, débats publics, rapports stratégiques (il en dénombre 8 en 5 ans) : “et maintenant, on nous demande de contribuer à définir une nouvelle stratégie… ça va encore durer longtemps ?” :

“Plutôt que d’investir de l’argent dans un énième processus collaboratif de définition d’une nouvelle stratégie, ne serait-il pas possible de relire tous les rapports précédents… et d’en faire quelque chose, tout simplement ?”

L’expert anonyme se réclamant d’une compagnie d’investissement implore quant à lui les autorités et gouvernements européens de consacrer plus de ressources à la recherche environnementale et sanitaire afin d’encadrer les risques, de clarifier leurs projets de régulation, et donc de permettre à des entreprises comme la sienne de pouvoir enfin investir dans ces technologies :

“Nos études ont révélé plusieurs problèmes, à commencer par le manque d’informations et l’absence de transparence. En tant qu’investisseurs, nous avons besoin d’informations émanant de sources crédibles et objectives au sujet des risques sanitaires et environnementaux en matière de nanotechnologies. Cela manquait il y a 5 ans, et semble toujours nous manquer aujourd’hui.”

Les nanos échappent à la règlementation
Le problème est d’autant plus complexe que si la législation actuelle s’applique en principe aux nanomatériaux, elle ne garantit pas forcément pour autant une protection adéquate, soulignent les chercheurs du Brass (”Centre for Business Relationships, Accountability, Sustainability and Society“), qui travaille aux confins du droit, de l’économie et du développement responsable) :

“Nous devons enquêter pour savoir si, en pratique, les lois en vigueur sont à même d’offrir un niveau acceptable de protection dans la mesure où des nanomatériaux modifiés pourraient s’avérer plus toxiques que leurs équivalents (chimiques -ndlr).”

Franck Barry, représentant de Unite - le plus important des syndicats britanniques - relève ainsi que la directive REACH (qui vise l’”enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des produits chimiques“), s’applique aux substances dont plus d’une tonne est produite ou importée chaque année… ce qui permet précisément à une bonne partie des nanomatériaux d’échapper à REACH.

Par Jean-Marc Manach le 06/11/09
Ecrit par Satyre, à 16:58 dans la rubrique "Pour comprendre".



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