--> Ce texte est dédié à mon ami et camarade Jock .
Tu ne parles pas français et je ne parle pas bulgare… qu’à cela ne tienne, nous conversons tous les deux en anglais. Rien n’était fait pour que l’on se rencontre un jour, et pourtant, le destin en a décidé autrement.Je suis anarchiste, toi, tu te dis marxiste. Je vis en Europe, tu es originaire du pays des Aborigènes. J’ai grandi dans les années froides, les années de plomb, toi tu n’étais même pas encore né à cette époque. Mais voilà, par le plus grand des hasards, il a fallu qu’on se rencontre, que nos vies s’entremêlent. En fait, je parle ici de hasard mais ce n’en est pas vraiment un. Tous les deux, nous sommes voués à la cause antifasciste, nous haïssons le racisme, l’ordre établi, les forces de pouvoirs. Tous deux nous agissons, comme nous le pouvons. Nous pensons tous les deux que l’empathie est une chose précieuse, nous croyions tous les deux en la solidarité.
Ton histoire est banale et dramatique. Un jour de décembre 2007, le 28
pour être précis, alors que tu n’avais que 21 ans, ta vie a basculé. Tu
es rentré dans un véritable cauchemar parce que tu as défendu la vie de
deux jeunes garçons roms. Tu étais en visite à Sofia, en Bulgarie,
lorsque tu as vu deux jeunes roms se faire attaquer par une quinzaine de
jeunes voyous bulgares et tu n’as pas hésité à leur porter secours.
Seul contre quinze, tu n’avais pas beaucoup de chances alors tu as sorti
un couteau pour leur faire peur, pour qu’ils partent mais ils ne sont
pas partis. Au lieu de çà, ils ont foncé sur toi. Résultat ? Une
commotion cérébrale et des blessures de coups de pavé au bras pour toi
et décès d’un des attaquants dû à un coup de couteau unique. Pour
protéger tes amis qui avaient assisté au début de la bagarre, tu n’as
pas dit à la police qu’ils étaient témoins, tu n’as pas donné leur
adresse, chez qui tu séjournais. Tu as attendu qu’ils quittent le pays
pour enfin parler de leur présence. Leur témoignage aurait pu jouer en
ta faveur mais toi, tu as d’abord pensé à eux comme tu l’avais fait en
défendant les deux jeunes. Tu n’as vraiment pas eu de chance, combattre
le racisme et le fascisme dans un des pays le plus corrompu d’Europe, et
manque de pot, la personne décédée était le fils d’un notable qui plus
est. Si tu avais tué les deux Roms, en aidant la quinzaine de voyous, tu
aurais été proclamé grand sauveur ou tu aurais peut-être juste fait les
faits-divers d’un journal local mais malheureusement, tu n’as pas
choisi le bon camps, tu as choisis celui des opprimés. Le verdict est
tombé lourdement. Vingt ans de prison, pas de transfert dans ton pays
natal, pas de remise de peine.
Plus d’un aurait été complètement abattu et ne se serait jamais relevé…
Mais toi, non. Je ne sais pas d’où te vient toute cette énergie, tout ce
courage. Tes parents t’ont drôlement bien éduqué, ou alors, c’est toi,
c’est dans tes gènes, je ne sais pas.
Plutôt que de te morfondre sur ton sort, tu as décidé de créer la
Bulgarian Prisoners Rehabillitation Association (BPRA) , l’Association
de réhabilitation des prisonniers bulgares. L’association, la première
en son genre en Bulgarie, apporte un soutien légal et financier aux
détenus dans les prisons bulgares. Et comme à l’accoutumée, ton empathie
et ta solidarité t’ont porté préjudice. Je ne connais pas les brimades
et autres violences que tu as subi. Je sais néanmoins que tu as commencé
une grève de la faim le 13 janvier 2013 (date haute en signification
pour moi, c’est la date de naissance de mon défunt grand-père,
communiste résistant déporté en Allemagne durant la seconde guerre
mondiale). Je ne sais pas quand tu as terminé cette grève de la faim et
si, au final, cela t’a apporté quelque-chose. Je sais que tu as été
victime de sanctions disciplinaires après avoir rapporté des faits au
Ministère de la Justice bulgare ets je sais que la Cour européenne des
droits de l’homme t’a donné raison le 21 juin 2016 (dossier 69125/12).
Maintenant, après dix ans d’incarcération, tu te bats encore et
toujours. Ton combat actuel se concentre sur la démission du directeur
de la prison de Sofia. « Celui-ci avait été démis de ses fonctions et
son remplaçant avait procédé à plusieurs réformes, les premières depuis
le début des années 1990, comme l’installation de caméras dans des
locaux où les matons torturaient les prisonniers. Mais ces réformes
n’ont pas fait long feu au retour du directeur Krestev. Son
administration protège également les gangs de narcos qui font la loi
dans la prison. Récemment, ceux-ci ont violé un autre prisonniers avec
du piment, au beau milieu de la cour de promenades, sous l’oeil de la
caméra. Les rackets, agressions et viols avaient déjà lieu auparavant,
mais le fait qu’elles ne se produisent plus derrière des portes closes
en dit long sur la complaisance de l’administration pénitentiaire. Qui
plus est, le directeur diminue les temps dans la cour, interdit aux
prisonniers de jouer au football, ferme l’accès aux espaces de travail
laissant les prisonniers dans l’ennui. L’Association des Prisonniers
Bulgares se mobilise donc (c’est la première fois qu’une telle
mobilisation a lieu dans les prisons bulgares) pour la destitution du
directeur Krestev ».
Voilà, Jock, j’espère que l’on se rencontrera un jour ailleurs que
derrière des barreaux. J’espère que d’autres auront le courage que tu as
toi et tant d’autres. J’espère que tous nos combats ne seront pas
vains, que nos sacrifices en veuillent la peine. En tous les cas, deux
jeunes roms (et bien d’autres) ne t’oublieront jamais.
Bulgarian Prisoners Rehabillitation Association (BPRA)