MILIEUX LIBRES - préambule -
« Milieux libres ». « Colonies anarchistes ». « Communautés libertaires ». « Communes libres ». « Espaces autonomes ». Recherche constante d’une émancipation immédiate, d’une vie anarchiste au présent. Elaborations éphémères d’espaces où s’essayent des modes de vie en rupture avec les modèles traditionnels et autoritaires. Propagande par le fait.
Première expérience d’envergure au début des années 1890, la Cecilia est créée par des Italiens partis tenter leur chance au Brésil. Dès cette première génération d’anarchistes, les milieux de vie libre sont condamnés par les grandes figures du mouvement. Ce qui n’empêchera pas d’envisager à nouveau ce mode de vie. Après la théorie, on veut passer à la pratique, vivre dès maintenant sa vie, la vie.
Dans les années 1890, ce sont les Naturiens, qui, les premiers en France, bercent l’idée de créer leur colonie anarchiste. Le projet ne mûrira pas mais à la Belle Epoque, les premiers milieux libres finissent cependant par apparaître, avec des naturistes, mais aussi et surtout, des individualistes ou encore quelques communistes égarés, tel Fortuné Henry, le frère du célèbre Emile Henry, poseur de bombe et guillotiné par la République. Jusqu’en 1914, des milieux libres sont donc créés, disparaissent et renaissent sous la dynamique en particulier de Georges Butaud et Sophia Zaïkowska, ou d’autres figures originales, telles Libertad, Lorulot, Armand ou encore ceux qui entouraient Bonnot.
Après la guerre, les anarchistes sont divisés, certains se sont pris d’enthousiasme pour la Révolution russe. Les plus convaincus persistent, devenus néo-naturiens, végétariens ou encore crudi-végétaliens, qui à Bascon avec Butaud et Zaïkowska, qui à Terre Libérée avec Louis Rimbault. D’autres encore rêvent d’exil et de terres propices et traversent l’Atlantique. Départs et voyages éphémères souvent, définitifs parfois. Direction Tahiti, le Costa-Rica, le Brésil, l’Uruguay…
Une seconde guerre et les milieux anarchistes s’amenuisent jusqu’au renouveau de la fin des années 1960. Pourtant, ils sont bien là quand la vie communautaire et l’autogestion reviennent au goût du jour. Bien sûr, ils ne sont pas seuls, mais on ne peut douter de leur présence. La Cecilia refait son apparition, sous la forme d’un film. L’ombre d’Armand (et de sa « camaraderie sexuelle ») rodent. Enfin, la vague des communautés rurales s’étend aux villes, sous la forme des squats urbains, nouveaux lieux de vie en commun. Mais…
Arrêtons là ce court récit. Même si rien de tout ça n’a disparu. Seules les références changent, quoique… Se diversifient ? Et encore… Des pirates de Libertalia aux fouriéristes, de la Commune aux tentatives autogérées en Ukraine et en Espagne, des kibboutzim d’Israël à la Yougoslavie en passant par l’Algérie : des exemples jouissifs demeurent. Dans les esprits, qu’il s’agisse des Diggers et du Ringolevio d’Emmett Grogan ou le Living Theatre… ou dans les faits à Christiana, à Longo Maï, à la Nef des Fous, etc. Qu’en est-il des autres ? De ces anarchistes et libertaires qui voulurent jouir d’une vie libre et émancipée dans l’immédiat, vivre la révolution au quotidien ? Ceux qui laissèrent une moindre place dans la mémoire, ceux dont on ne connaît au mieux que les pages éphémères d’un journal, d’une brochure ?