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Mensonges au carburant
APRÈS LA LECTURE DU LIVRE de Fabrice Nicolino « La Faim, la Bagnole, le Blé et nous », quand vous entendrez les promoteurs des « biocarburants » vanter les mérites de leurs. . , nécrocombustibles, vous éprouverez l'envie de leur cracher à la gueule et vous aurez raison!
Pulvérisons tout d'abord une imposture. La transformation de différents végétaux en carburants présenterait un bilan écologique favorable, C'est rigoureusement mensonger. Bien sûr on pourra toujours objecter que la controverse n'est pas close dans la communauté scientifique, et que l'écobilan des « biocarburants » reste à faire. Néanmoins, deux professeurs d'université américains, Ted Patzek et David Pimentel, ont livré un article dans la revue Bio Science Magazine de novembre 2006 qui fait référence. D'ailleurs depuis sa parution, les détracteurs ne se bousculent pas au portillon. Le constat formulé par ces deux scientifiques est accablant puisque selon eux (page 128) « [...] pour produire un litre d'éthanol, il faut 29 % d'énergie en plus que ce qui est obtenu. Il faudrait 1,29 unité d'énergie -fossile, pour comble- pour obtenir un litre d'éthanol. Fossile, donc contribuant à l'aggravation de l'effet de serre. Ce chiffre est fou, mais aussi infiniment sérieux. Car il intègre tout, à la différence d'autres calculs officiels. Il faut en effet compter 14 intrants d'énergie différents pour produire le maïs, matière première du bioéthanol. Et 9 pour la fermentation et la distillation du végétal. »

Précisons, pour les naïfs éventuels, que le formidable boom de l'éthanol a commencé plusieurs années avant l'émergence de la problématique du réchauffement climatique et sa pise en compte dans ce que l'on nommera « le discours officiel » .
Fabrice Nicolino, preuves à l'appui, en fait la démonstration magistrale dans son ouvrage. Ainsi, en France, dès 1992, la réforme de la PAC prescrivit la mise en jachère (avec subventions à la clé) de 15 % des terres agricoles de l'UE, étant entendu que ladite mise en jachère ne valait que pour la culture de produits destinés à l'alimentation humaine ou animale. Sur le... champ, les puissants lobbys de l'agro-alimentaire, avec la complicité active des gouvernants de l'époque (et en particulier les « socialistes » Vaillant, Glavany, Pierret) firent flèche de tout bois pour plaider la cause de « l'intérêt national ». La caution scientifique faisait défaut? Qu'à cela ne tienne, l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) alimentée sur fonds publics, fut transformée en joujou docile entre leurs mains.
Le climat et l'écologie devinrent des arguments forgés et utilisés a posteriori pour masquer l'objectif réel des barons de l'agrobusiness à l'échelle planétaire, faire encore et toujours plus de fric quitte à ce que (page 166) « cette infamie menace de mort immédiate ou différée des hommes, des espaces, des espèces».
A ce stade peut-être êtes vous tentés de dire: d'accord cela est très bien, mais hormis (ce qui n'est quand même pas une paille) sur le plan de l'écobilan des agrocarburants, vous n'avez pas prouvé grand-chose. Bien, retenons l'objection et venons-en rapidement au fait pratique.
Les experts du CGIAR (Consultative Group on International Agricultural Research) estiment (p. 114) -sans qu'ils soient contredits sur le sujet-, « [...] qu'il faudra doubler la production alimentaire mondiale dans les vingt-cinq prochaines années pour satisfaire les besoins croissants d'une population en expansion.»
Or, d'ores et déjà, de par l'addition et la combinaison de récoltes moyennes et de la dévolution de plus en plus importante de terres arables à la culture de plantes (canne à sucre, maïs) destinées à la fabrication d'agrocarburants, la Banque mondiale (p. 108) « envisage sans frémir une augmentation de 40 % du prix moyen des céréales». 40 % ! Bon allez, nous n'allons pas continuer à vous assommer de chiffres, mais sachez que tous sont plus accablants les uns que les autres.
Pour la petite histoire, retenons qu'il faut 225 kg de maïs pour remplir le réservoir d'un 4x4 américain avec de l'éthanol. De quoi nourrir un pauvre du Sud pendant une année entière.
La charge de Fabrice Nicolino se lit d'un seul trait, mais la lucidité nous oblige à dire qu'il se fourvoie quand il reprend à son compte les propos de l'agronome Lester Brown (p. 109) : « La concurrence pour les céréales entre les 800 millions d'àutomobilistes du monde qui veulent maintenir leur mobilité et les 2 milliards de personnes les plus pauvres qui essaient seulement de rester en vie est en train de devenir une affaire homérique. » Ce mode de raisonnement revient -in fine- à atomiser et diluer les responsabilités. En quelque sorte, l'auteur renvoie dos à dos les capitalistes, lesquels sont à la base les véritables prédateurs de la planète (dont ses habitants), et justement, les milliards de personnes qui -la plupart du temps à leur corps défendant- le servent, et par là même contribuent -hélas! - à l'exercice de ses terribles méfaits et ravages.
Enfin, tout à son immersion prolongée dans le sujet qu'il développe brillamment, Fabrice Nicolino en fait un chouïa trop lorsqu'il affirme péremptoirement (p. 154) : « La critique de notre monde réel, qu'elle vienne de la gauche ou plus récemment de l'écologie dite politique, est muette sur les objets. [...] » et, à la conclusion de son épître, il rajoute que la même observation vaut « chez nos fringants anarchistes. »
Allez, Fabrice, remets tes tablettes à jour et ce sera parfait. Tu as été fort pingre dans l'utilisation et l'illustration de la décroissance, alors qu'inversement les anarchistes savent parfaitement en faire tout à la fois un carburant vraiment propre et un moteur d'avenir.

Sami Chemin

Le Monde libertaire # 1493 du 8 novembre 2007

Ecrit par libertad, à 08:50 dans la rubrique "Ecologie".



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