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Lu sur : Squat!net « L'espace, c'est fichtrement important. Essentiel pour se loger : un toit et quatre murs pour s'abriter, un sol pour poser son lit, ses meubles... Essentiel pour mener une activité : de la place pour un bureau ou un chevalet, de la place comme matériau de base, préalable à toute utilisation ou entrepôt de matériel plus sophistiqué, de la place comme support de toute création, de tout projet.
RéAPPROPRIATION de l'ESPACE
On mure des espaces vides ! D'un côté il y a des tas de personnes qui veulent survivre ou vivre mieux, créer ou agir, et pour qui l'espace est ultra-précieux, des tas d'assos qui languissent sur la liste d'attente de la Maison des Associations, des tas d'artistes sans atelier, de groupes sans local de répète, de troupes sans planches. De l'autre, il y a des tas d'espaces, abandonnés, évidés, barricadés, qui pourrissent lentement derrière les bas-côtés. Le pire, c'est que leur vacuité est soigneusement entretenue et protégée ! Afin de satisfaire les logiques pas franchement humaines du marché (spéculation, lointains projets pharaoniques...) ou des grosses machines étatiques (hésitations, lenteurs de l'administration...). Donc voilà, le paradoxe est trop gros pour que l'on ait des scrupules à contrarier ces logiques et à leur préférer des maisons pleines de gens, de projets et d'étincelles.
L'espace, mort ou vif ? Il y a des béances au milieu des villes... Des arpents silencieux, endormis ou défunts, des cadavres. Des mètres et des mètres carrés que les décideurs économiques ou politiques ont laissés de côté. Nous-nous glissons dans ces vides intermédiaires, interstitiels, nous les animons tant qu'ils ne sont pas réintégrés dans les rouages de notre société, et tant que nous ne trouverons pas notre zone d'autonomie permanente. Nous maintenons en vie à la fois des envies, des canevas, des idées, et des espaces. Nous permettons à nos voisin-e-s d'ouvrir leurs volets non plus sur des friches, mais sur des visages, des voix et des couleurs.
L'espace habité à fond. Pas d'état des lieux dans un squat. Aucune objection à l'abattage de cloisons, à la pose de rampes, d'éoliennes, de gargouilles, de planchers vallonnés, de cours d'eau suspendus et de corridors en spirale. Finis les édifices identiques, les dimensions standard, les règles anguleuses de lointains propriétaires, vive les maisons qui suintent et qui bourdonnent, les maisons façonnées par ceux et celles qui les vivent. Habiter ne veut plus dire avoir juste un cadre pour nos préoccupations routinières et nos repos journaliers, mais répandre dans notre environnement immédiat le contenu fastueux de nos imaginaires, de nos cœurs et de nos caractères. Pour que ce droit ne soit plus réservé aux gens qui ont assez de briques dans leur bourse pour devenir proprios. Et pour que la ville entière devienne un musée habité.
Ne pas payer de loyer. Le loyer engloutit une fraction énorme de nos dépenses, de nos revenus, de notre temps. Nous refusons d'abandonner une telle part d'existence à des gens qui vivent en spéculant. Nous refusons de payer pour un droit qui devrait être inconditionnel, le droit au logement, le droit à l'espace, surtout dans une ville qui regorge de bâtiments vides.
La société marchande : c'est elle que nous vantent les gens au-dessus de nous, les gens qui nous promettent la réalisation de soi dans le travail et le bonheur dans la consommation, les gens qui ne voient de meilleur monde que celui des courses à la croissance, aveugles et effrénées, où l'on produit pour que d'autres puissent consommer, et où l'on consomme pour que d'autres puissent avoir de quoi produire. Comment peut-on imaginer se réaliser pleinement dans un travail soumis aux lois de supérieurs hiérarchiques et aux objectifs marchands, peu variés, de rentabilité, roublardise et compétition, une activité qui monopolise notre énergie 7 heures de nos journées et 40 années de nos vies, et qui au bout du compte nous laisse pantois devant la télé ? Comment peut-on trouver le bonheur dans la consommation passive de gadgets et de loisirs pré-mâchés, dans cette hébétude un peu boulimique, un peu toxicomane, devant les spectacles qu'on nous déverse et les plaisirs de surface que la pub omniprésente veut nous faire croire essentiels ? Comment peut-on prendre pour modèle une société qui nous vend une bonne part d'aliénation au boulot et une bonne part d'aliénation chez soi quand on rentre, et qui, pour faire fonctionner tout ça, dépose entre ses pieds d'immenses dégâts humains et écologiques, notamment au Tiers-Monde ? Non, nous ne sommes pas intéressé-e-s par le schéma travail-consommation, ni ne voulons cautionner l'essorage du Sud et de la planète entière, aussi nous entrerons le moins possible dans le système marchand.
La récup. Nous restons ébahi-e-s devant les monceaux de surplus que l'on préfère détruire ou cadenasser plutôt que de les partager. Notre société veut nous convaincre qu'il faut produire et consommer moult biens, alors qu'elle croule déjà sous les objets et qu'il suffit de tendre la main dans une décharge pour trouver de quoi vivre dans un certain confort. Nous préférons récupérer ce que cette société gaspille, les fruits que les chalands jettent parce qu'ils ne sont pas assez lisses, les meubles que les ménager-e-s jettent parce qu'il faudrait les réparer d'un clou, les vêtements que les minet-te-s jettent parce qu'ils ne sont plus à la mode, le pain de la veille et les espaces abandonnés. La récup est pour nous un moyen de se désengager des fers et des frénésies du système marchand.
Travailler moins. Nous voilà en définitive avec moins de revenus à trouver, moins de temps laissé au travail rémunéré. Nous voilà riches. Parce que le luxe n'est pas l'argent mais le temps, nous voilà riches, riches parce que beaucoup plus libres de choisir ce que nous faisons des moments de nos vies, riches de pouvoir davantage en déterminer le sens. Riches de journées décalées, déjantées, savourées. Riches de pouvoir emboîter le pas à nos envies, de pouvoir être disponibles pour les gens autour, de pouvoir engraisser nos matinées, de pouvoir soudainement dédier des jours et des nuits à d'insolites ou passionnées constructions, de pouvoir partir humer l'air de la montagne d'à côté quand le besoin s'en fait sentir, de pouvoir partager ses journées entre l'apprentissage de la plomberie et de savantissimes lectures... L'art de vivre n'est plus réservé aux aristocrates.
Ne pas se plier aux lois de l'économie. Comment vivre avec moins de 1000 francs par mois ? Squatter, faire de la récup, vivre à plusieurs (chez nous, un seul four, un seul téléphone, un seul ordinateur, une seule perceuse pour 10, alors que les locataires de studios doivent s'en acheter un chacun-e). Nous voilà davantage libéré-e-s de la nécessité du gain. Enfin nous pouvons organiser une bonne partie de notre existence en fonction d'autres buts et d'autres contraintes que celles de l'économie de marché. Plus besoin de nous demander si ce que nous aimons faire est rentable. L'argent n'est plus un obstacle pour tout ce qui ne le concerne pas : les individus ou collectifs motivés par des objectifs sociaux, culturels ou artistiques plus que pécuniaires peuvent avoir un local pour appuyer leurs projets même s'ils sont peu fortunés, s'ils ne sont pas encore reconnus par les institutions ou ne cherchent pas à l'être (et donc ne touchent pas de subventions).
Maîtriser son temps. Nous squattons, nous avons du temps, nous sommes maîtres de son organisation. Nous apprenons à nous dynamiser sans qu'un horaire de boulot nous y oblige. Nous apprenons à prendre du repos quand il est nécessaire et non pas quand le calendrier des vacances l'a arrêté. Nous apprenons à connaître et à respecter nos priorités et nos limites, nous pouvons les explorer d'autant mieux qu'aucune autorité ne se charge pour nous de les fixer. La liberté permet la connaissance, la conscience et, quand il le faut, l'adoption d'une discipline personnelle, choisie et comprise. Nous devenons autonomes.
Choisis ta précarité, camarade. On associe le squat à la précarité matérielle, à celle de l'illégalité, à celle du temporaire. Mais la diminution du confort et de la sécurité dans un squat n'est pas forcément aussi grande et aussi insupportable qu'on veut le faire croire. Et puis, nous préférons nous détacher de ces besoins-là pour que nos vies gagnent en autonomie, en liberté, en sens, en intensité. Quitte à choisir, nous préférons la précarité matérielle et la précarité de l'instabilité à celles d'une existence morne, routinière, à peine vécue.
Hors circuit. Le squat a déraillé des sillons qui aiguillonnent ce monde. Il n'est pas un maillon de la chaîne étatique, et n'a pas grand-chose à faire de ses directives, de ses subventions, de ses normes. Il n'est pas un maillon de la chaîne marchande, et les chants de la rentabilité peuvent aller en envoûter d'autres. Aucune autre logique, aucune autre priorité ne gouverne le lieu que celles qui paraissent importantes à ses acteurs et ses actrices. Attention, maison incontrôlée.
Hors norme. Tel modèle social à respecter, parce que repères, clarté, au moins on s'y retrouve ? Tel schéma d'organisation à appliquer, parce que efficacité, puissance, et puis c'est l'économiste qui l'a dit ? Eh ben fi ! Fi ! Nous n'avons pas envie de reproduire bêtement ce qui nous entoure, surtout quand ce qui nous entoure nous paraît loin d'être la panacée. Pourquoi on s'y retrouverait pas avec des modèles comme de la poix et des schémas en en pâte à modeler ? Vous avez essayé, vous ? Nous on essaye. Pourquoi on s'y retrouverait pas sans hiérarchie ? Sans spécialisation ? Sans coercition ? Sans profit ? Nous on essaye : mettre en place entre nous des rapports sans domination et sans oppression, tenter le consensus, le prix libre, la gratuité...
Hors politicardises. En squattant nous faisons de la politique, et nous sommes ravi-e-s de pouvoir le dire : comme quoi on peut se battre pour des idées sans jouer au politicien ni adhérer à quoi que ce soit. Si nous changerons quelque chose à ce monde ce sera d'abord nos quotidiens, nos propres existences, voilà une étape à l'échelle de tout-un-chacun, peut-être pas si anodine, et trop souvent brûlée. Nous n'avons pas envie de laisser la politique aux pupitres et aux estrades, notre manière de la dire est de la vivre, de la confronter à la pratique. Nous ôtons le pouvoir soporifique de la politique en la rendant concrète : notre maison est le terrain d'expérience de nos utopies.
Hors autorité. Il n'y a aucune raison pour que les décisions concernant la vie du squat soient prises par une partie seulement des gens qui l'animent. Aucune raison pour que certain-e-s imposent quoi que ce soit à d'autres, aucune raison pour que certain-e-s fassent des choses contre leur gré et sans compréhension. Aucune raison de se surveiller et de se punir, aucune raison de ne pas se dire les problèmes en face et chercher ensemble une solution. Aucune raison d'en considérer certain-e-s responsables et d'autres non, aucune raison d'écouter l'avis de l'un-e moins que l'avis de l'autre, aucune raison de ne pas se faire confiance. Aucune raison de décréter une hiérarchie entre personnes embarquées sur le même bateau, pas besoin de fouet dans un groupe qui fait ce qu'il fait parce qu'il l'a choisi de bout en bout. Chez nous, pas de chef, pas de président, pas de comité directeur, pas de conseil des sages, pas de leader, pas de maître spirituel, pas de pion, pas de police interne. C'est l'autogestion.
Hors-la-loi. Légalité ou légitimité ? Il y en a pour qui la loi c'est toujours la loi, la loi c'est la Bible. Tu as fais l'ENA ? Tu traînes au sommet de la pyramide sociale ? Tu bois des cocktails avec ceux et celles qui chatouillent les enjeux planétaires ? Alors tu as le droit de décider de ce qui est bon pour les 60 millions de personnes dont tu n'as jamais vu le visage, et "être citoyen" c'est écouter tes recommandations armées sans réfléchir. Bon ben nous on est pas d'accord. Il y a des lois absurdes, lointaines, que nous nous permettons d'enfreindre, surtout quand nous voyons que concrètement, en agissant ainsi, nous ne faisons de mal à personne. Nous prenons le droit de vivre de manière imprévue sans que ça ne coûte ou ne pèse à quiconque sauf à ceux et celles qui veulent nous prévoir. On pourrait appeler ça de la désobéissance civile.
Hors propriété ? Pas tout-à-fait : nous sommes d'accord quand on nous dit que la propriété donne à l'humain un minimum d'intimité et de stabilité. Mais nous trouvons qu'elle se justifie seulement si le propriétaire se sert de son bien, s'il en a besoin, s'il en fait quelque chose : c'est ce que des têtes ont appelé la "propriété d'usage". Et c'est selon ce principe-là que nous nous permettons de nous sentir chez nous dans les maisons que nous occupons, habitons, animons, entretenons, décorons. C'est aussi selon ce principe-là que nous ne nous permettons pas de squatter des bâtiments dont l'utilisation, même périodique, est manifeste, par exemple des appartements meublés. Par contre, nous ne respectons pas la propriété dont on abuse, celle qui spécule, celle qui ne représente pour le proprio qu'un bout de papier, et pour les plus démuni-e-s une insulte. On étale devant nous des objets dont nous aurions besoin, dont nous ferions des merveilles, et on invoque la propriété privée pour nous interdire d'y toucher puis les laisser pourrir sous nos yeux médusés. Ca respire l'effronterie, et ça nous enrage. Voilà un exemple d'attitudes que nous voulons ne pas reproduire chez nous, ce rapport avide, stratège, comptabilisateur, face aux biens matériels, cette accumulation insensée, apeurée, cette insensibilité aux besoins des autres et du moment.
Hors expertitude. Alors nous, on bidouille. On fait plein de choses par-ci par-là, on bricole, on organise des concerts, on dessine des affiches, on prépare notre défense juridique, on récupère, on aménage, on repeint, on s'occupe d'un resto végétarien, d'une petite bibliothèque, d'une zone de gratuité, d'un labo-photo,... On n'y connaît pas grand-chose, on n'est pas des spécialistes, et ça nous convient, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Do it yourself. C'est pas léché, c'est pas parfait, mais on s'en fout, au moins ça vit, et nos maladresses donnent du cœur à nos constructions. On pourrait chercher la spécialisation, dans le groupe, si nos priorités étaient efficacité, rentabilité, productivité. En plus les experts disent que pour souder un groupe il faut plein d'experts qui ne connaissent que leur domaine et donc dépendent des autres pour le reste. Mais nous ne voulons pas être réduit-e-s à une fonction chacun-e, nous trouvons ça malsain d'isoler une seule de nos aptitudes (d'oublier les autres), et d'en user jusqu'à la limaille, d'en raboter même l'intérêt. Nous squattons justement pour avoir la possibilité d'explorer la multitude des ingrédients de nos petites personnes. Nous trouvons plus riche de partager nos savoirs-faire, d'apprendre sans cesse, plutôt que d'en faire des spécialités en chiens de faïence. Enfin nous pensons qu'il vaut mieux souder notre groupe par des vrais choix et envies plutôt que par des liens de dépendance. Nous ne savons pas si les experts sont utiles à une société, mais nous savons que nous n'en voulons pas comme modèle universel dans un monde déjà sur-expertisé.
Hors cadre. Mais vous y croyez vraiment, à tout ce bla-bla ? A tout ce que vous venez de lire ? Vous croyez vraiment que nous arrivons à mettre toutes ces belles idées en pratique ? Parce que nous, on en doute. D'un côté il y a la théorie, de l'autre la pratique, et pouvoir se vanter de faire d'emblée coïncider les deux, ça nous paraît douteux. Ce manifeste exprime avant tout les buts que nous nous sommes fixé-e-s, qui sait si nous les atteindrons jamais. Au moins nous aurons essayé, et si nous n'arrivons pas à les atteindre, nous saurons d'expérience pourquoi., où sont les terrains glissants. Nos idées donnent un cadre, mais la réalité nous amènera sans doute à partir naviguer à l'extérieur, à interroger ce cadre, à le remettre en question, et, à notre retour, à le comprendre différemment, peut-être le redessiner, peut-être le modérer, peut-être le radicaliser. Les cadres théoriques sont faits pour être tentés, pas gobés. Quand ils sont fixes ils deviennent tristes. Quand ils se font mouvants, bouillants, tourbillonnants, effervescents, alors il faut se changer en apprenti-sorcier-e, et tester, goûter, tâtonner, progresser. A l'aventure.
Hors bord. Attention : ce "manifeste" n'est pas le manifeste d'un éventuel mouvement des squats de France ou d'Europe ou d'Eurasie métropolitaine. Pas plus qu'il ne prétend le devenir. Il est le manifeste de certain-e-s individu-e-s, d'un certain squat, planté dans un certain contexte, dans un certain quartier, à un certain moment, avec un certain passé, un certain groupe d'habitant-e-s, une certaine atmosphère... L'échelle d'un squat est toute petite, chacun est un îlot d'autonomie avec son histoire et son environnement. C'est cette échelle toute humaine qui sabote les généralisations et qui fait une belle part de la richesse de ce monde parallèle. »
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