"Loi sur la représentativité syndicale" : liquider définitivement l'indépendance syndicale
Lu sur
le Jura libertaire : "Le gouvernement et le patronat, aidés en cela par les bureaucraties syndicales, particulièrement par les bureaucraties confédérales CGT et CFDT, sont décidés à liquider ce qui reste du syndicalisme d’action directe dans le mouvement ouvrier en France. Fer de lance de cette politique, à côté d’une mise sous tutelle par le biais des financements et du paritarisme, du noyautage des syndicats par des réseaux de pouvoir politiciens et bureaucratiques : la modification du «droit syndical» dans l’entreprise à travers la réforme de la représentativité syndicale (loi promulguée le 20 août, qui contenait par ailleurs un article remettant en cause les 35 heures).
«Droit syndical» ou encadrement du syndicalisme ?
La législation concernant le droit syndical a toujours été répressive : en énonçant les «droits» réservés aux organisations syndicales considérées comme «représentatives», elle légitimait de facto la privation de ces mêmes droits et libertés sur le lieu de travail par le patronat, pour les autres organisations syndicales, mais aussi l’ensemble des travailleuses et des travailleurs : liberté d’affichage, de réunion, etc.
Elle délimitait l’action syndicale selon des critères extérieurs au mouvement syndical, critères intimement liés à la démocratie représentative et électorale. Ces «droits» ont eu pour conséquence le développement d’une vision du syndicalisme non plus conçu comme regroupement de travailleuses et de travailleurs, face au patron, visant à arracher par l’action directe des améliorations immédiates (salaires, temps de travail, conditions de travail…), mais comme institution extérieure à nous autres travailleuses et travailleurs, élus «représentant» à notre place nos intérêts face au patron.
Jusqu’à présent, du fait de l’histoire du mouvement syndical en France, profondément marqué par l’influence du syndicalisme d’action directe, ces deux conceptions antagonistes du syndicalisme cohabitent de fait dans les organisations syndicales, et chaque organisation syndicale est caractérisée par un «équilibre des forces» plus ou moins en la faveur de l’une ou l’autre de ces tendances.
Cet équilibre changeant des forces dépend de l’implication des syndiqué-e-s dans le syndicat, de la tradition plus ou moins forte de lutte collective, des processus de prise de décision, du poids des bureaucraties, de la présence ou non de permanents syndicaux, de leur nombre, de leur poids dans la structure, de la proportion d’élus par rapport aux nombre de militants et militantes non élus… La loi adoptée risque de bouleverser cet équilibre en faveur de la tendance cogestionnaire.
Jusqu’à maintenant, la législation précédente accordait de facto un monopole de fait à cinq confédérations dont la représentativité était considérée comme «irréfragable». Cela a eu pour effet, jusqu’à présent, de rendre plus difficile l’implantation et le développement de nouvelles structures syndicales, notamment les structures syndicales combatives, telles que SUD et les CNT.
L’institutionnalisation du syndicalisme : liquider le syndicalisme d’action directe
La nouvelle législation va avoir des conséquences extrêmement importantes sur le syndicalisme. Elle introduit sept critères (contre cinq précédemment) pour définir la «représentativité», et donc conditionnant l’usage des «libertés syndicales» [La dictature patronale prive les travailleuses et travailleurs des libertés de base dans l’entreprise (liberté de réunion, d’association, d’expression…), avec la menace du licenciement. Par «liberté syndicale», il faut donc entendre l’accès relatif et sous contrôle à certaines de ces «libertés» auxquelles n’ont pas accès la majorité des salarié-e-s, par les organisations syndicales.] dans l’entreprise. Ces critères sont désormais cumulatifs, c’est-à-dire qu’il faut les respecter tous pour être défini comme «représentatif», alors que précédemment la «représentativité» et donc l’accès aux droits syndicaux, était appréciée tendanciellement (il n’était pas nécessaire de remplir tous les critères, mais le juge appréciait de manière subjective, si l’organisation syndicale correspondait de manière tendancielle à ces critères), ce qui laissait plus de place à la subjectivité des juges (donc un avis plus ou moins favorable aux syndicats combatifs selon les cours), mais aussi laissait une petite brèche dans laquelle pouvaient s’engouffrer des syndicats combatifs. Ce caractère cumulatif des nouveaux critères referme cette brèche.
L’électoralisme pour domestiquer le syndicalisme
Tout d’abord, et sans surprise, la nouvelle législation ne rompt pas avec l’idéologie de la «représentativité syndicale», c’est-à-dire la soumission du mouvement ouvrier syndical aux critères électoralistes de la démocratie bourgeoise représentative, au contrôle du mouvement syndical par l’État, en opposition avec l’acte fondateur du syndicalisme : la conception de l’indépendance syndicale face à l’État et au patronat. Bien au contraire, elle renforce cette tendance, puisque le critère «d’audience» devient donc incontournable. L’audience est appréciée par les élections professionnelles, et l’organisation syndicale doit dépasser un seuil de 10% dans l’entreprise (8% au niveau de la branche) pour accéder aux droits syndicaux (ou les conserver).
Maigre «consolation», pour les organisations syndicales non représentatives, est introduite la possibilité de désignation d’un représentant syndical d’entreprise (RSE). Celui-ci n’a aucun droit de négociation, et ses heures de délégation sont limitées à 4 heures par mois, contre 15 jusque-là au délégué syndical.
Ce représentant syndical perd son mandat s’il n’est pas élu aux élections professionnelles suivantes, et la section syndicale non représentative doit attendre six mois avant les élections suivantes (qui ont lieu tous les 4 ans contre 2 ans précédemment) pour pouvoir de nouveau accéder à l’expression syndicale de base que sont les RSE. Cela va donc renforcer la logique électoraliste, et polariser les sections syndicales, si elles subsistent, sur ces questions, afin de ne pas perdre les droits syndicaux de base, avec pour conséquence probable l’alignement sur des positions consensuelles — et donc «vendables» électoralement, plutôt qu’un rôle d’aiguillon qui risque d’être impopulaire. Cela risque également de conduire à la disparition des sections syndicales d’entreprise, puisqu’en renforçant le pouvoir des élus (le délégué syndical doit désormais être choisi parmi les élus, les élections professionnelles n’ont lieu que tous les 4 ans, et comme seuls les élus ont le pouvoir de négociation, cela signifiera que tout contrôle par la section syndicale sera rendu impossible).
L’objectif : empêcher l’émergence d’une opposition syndicale, un syndicalisme sous contrôle étatique.
Par ailleurs, l’institutionnalisation et le contrôle du mouvement syndical par l’État est accentué par une autre série de critères : le respect des valeurs républicaines, critère qui peut servir à illégaliser les syndicats révolutionnaires ou anarchosyndicalistes. La «transparence des comptes» qui met sous tutelle les comptes syndicaux (et donc y compris les caisses de grèves, etc.). Le scandale de l’UIMM, les pratiques financières douteuses de certaines organisations syndicales engluées dans la cogestion, ont servi de prétexte à cette disposition qui rompt avec plus de 120 ans d’histoire du syndicalisme. Elle repose sur l’idée fausse que l’État, prétendument neutre, est un rempart aux magouilles qui peuvent surgir dans le mouvement syndical, perpétrées par des bureaucrates peu scrupuleux, alors qu’il a lui-même mis en place, toléré et protégé les auteurs de ces magouilles.
Le seul rempart efficace contre des pratiques mafieuses (détournement, délégués achetés, etc.), c’est l’implication des syndiqué-e-s dans la vie syndicale, le contrôle et la révocabilité des mandats, l’action autonome des syndiqué-e-s, et non l’intervention d’un État qui n’a pour seul but que de mettre sous contrôle les organisations syndicales, tout en exonérant le patronat comme les bureaucraties de toute responsabilité.
L’exigence d’une ancienneté de deux ans pour les organisations syndicales, autre critère, vise également à empêcher l’émergence de nouvelles forces syndicales issues de rupture avec les bureaucraties, ou du développement d’un syndicalisme d’action directe, de lutte de classes. Si la bureaucratie va indéniablement se retrouver renforcée (contrôle plus difficile, renforcement du rôle des élus, espacement des échéances électorales, perte d’autonomie des sections syndicales…), il n’en est pas de même pour les organisations, les syndicalistes de base et les sections syndicales qui se retrouveront affaiblis face au patron (et aux appareils bureaucratiques), et encore moins de l’ensemble des travailleuses et travailleurs, pour qui la lutte directe — et donc l’obtention d’améliorations concrètes — deviendra plus difficile. La législation va accentuer l’institutionnalisation d’un syndicalisme qui va se voir de plus en plus transformé en appareil d’élus prestataires de services, se substituant à l’action collective des travailleurs et travailleuses, avec pour seul horizon l’accompagnement de la régression sociale capitaliste.
Pour renouer avec un syndicalisme de conquêtes sociales, ils nous faut faire échec à cette volonté d’institutionnalisation, qui vise à liquider la lutte sur le terrain de classe, pour le cantonner dans l’arène électorale. Cela signifie défendre le syndicalisme d’action directe, par l’action collective. Au-delà des approches tactiques visant à préserver les militant-e-s et les sections de la répression syndicale, cela signifie, sur le plan politique, contester l’idée de «représentativité», pour défendre la liberté de réunion, d’expression et d’organisation de l’ensemble des travailleurs et travailleuses face à la dictature patronale.
Sam (groupe de Seine-saintDenis)
Infos & analyses libertaires no 73, septembre-octobre 2008
Bimestriel de la
Coordination des groupes anarchistes.
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