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OMME SI TOUT BOSQUET était à l’origine un
parking… « Ils ont détruit la mosquée, l’épicerie », me souffle une militante vue à la
télé – image choc de sa séparation d’avec
le jeune Afghan qu’elle protégeait. Les
journaleux descendus de l’hélico derrière
Éric Besson étaient venus pour ça.Et maintenant ? La question est sur toutes les
lèvres.Maintenant, la « présence massive » des CRS assure
la sécurité des pelleteuses, certains migrants sont entassés
dans des bus aux destinations inconnues, d’autres continuent
à errer…
À la distribution du dîner par l’association Salam, il y a
moindre affluence :une petite centaine de « migrants », surtout
afghans, dont certains arrêtés le matin même : « On a
dit qu’on avait la gale, ils ont eu peur, ils nous ont envoyés à
l’hôpital, d’où on s’est tirés. » Galeux mais libres. On se marre,
ils en ont vu d’autres… Fuyant les Talibans et l’OTAN venue
les sauver à coup de bombes, d’abord vers n’importe quel
pays européen, puis cap sur l’Angleterre. Pourquoi
l’Angleterre ? Ahmad : « J’ai un ami qui a été placé en centre
d’accueil, on lui a donné de l’argent jusqu’à ce qu’il trouve un
travail… » Un autre : « J’ai de la famille qui peut m’accueillir,
ils sont arrivés en 2002, quand c’était encore facile de passer… »
Facile… Il faut bien aller quelque part. L’Angleterre reste le
paradis où l’on n’est pas contrôlé, où le travail ultraprécaire
abonde. Apprenant que leur jungle a disparu, ils restent perplexes.
« They destroyed the jungle but they haven’t destroyed
the Afghani… » L’obstination des journalistes à filmer jusqu’aux
miettes de leur repas leur donne quelque espoir… En
attendant, ils n’ont même plus où dormir. Ça doit remplir
l’objectif de Besson : « Apporter une aide humanitaire aux
migrants les plus fragiles »…
Le lendemain soir, les visages excédés se dérobent aux
caméras, la nervosité est palpable. Et pourtant de la vie,
des rires… À croire que la barbarie des gouvernements ne
viendra jamais à bout de ceux qui font exploser les frontières.
Salman, réfugié politique en France,a accompagné
son petit frère : « Un oncle lui a payé le passage. » Et lui ? « Je suis pachtoun. J’étais joueur de cricket et je suis venu avec l’équipe en Europe. Je me suis échappé, j’ai vécu en
Hollande. » En plus du pachtou, ourdou, dari, hindi, il parle
bien le néerlandais. Et la France ? « Les Français sont gentils… » Ah… Et l’Afghanistan ? « Avant, la vie était facile… » Avant quoi ? Les Soviétiques, les talibans, l’OTAN… ? Il reste
vague. « Le problème, c’est qu’il y a trop de pétrole, trop de
pavot, trop de pierres précieuses… » On n’est pas un pays plein de ressources impunément…
Sur les docks, on trouve un peu du monde entier : des Soudanais, des Tunisiens, des Palestiniens. Vers minuit, deux activistes no-border déboulent. La police est passée à l’acte : arrestations, menaces, des fachos ou des flics en civil ont gazé le squat des Érythréens. Nous voilà sous les ponts : quatre Afghans ramassés d’un côté, trois Irakiens de l’autre, au hasard… Des enfants sortent de l’ombre :10 et 12 ans, les yeux cernés, le visage tendu. Comment sont-ils arrivés là ? Leurs compagnons sont un peu éméchés. « Ils ont fait le voyage en trois jours, les talibans ont coupé la tête de leurs parents », rigole l’un, tandis qu’un autre affirme que leur père les attend à Londres… On leur donne des couvertures, on leur dit de faire attention. « À quoi ? Si la police est déjà passée… » À ne pas tomber dans le canal.
À l’aube, quelques militants traversent la ville avec du thé chaud. Je vais chez les Soudanais, intouchables : ils sont sur un terrain privé, pour l’instant le proprio ne porte pas plainte, une aubaine. Quelques hommes autour du feu réchauffent des frites surgelées. Le campement se dessine dans le petit jour : une tente multicolore peuplée d’absences (ils cavalent la nuit durant derrière leur « passage »), au bord des rails. De l’autre côté, un sentier où passent les enfants du coin pour aller à l’école, sans même avoir peur… Un homme du Darfour raconte : « J’avais presque fini mes études d’ingénieur… J’ai été arrêté et placé dans un camp parce que j’étais communiste. On nous battait.J’ai réussi à m’enfuir. » À évoquer ces souvenirs, la douleur des côtes cassées se réveille. « En Libye, j’ai payé un passage depuis Zouara jusqu’à Marseille, comme tous ici. » Et puis Marseille-Calais. À ma droite, un monsieur silencieux : visage de marbre noir et mains pansées, béquilles : « Il s’est arraché les mains en tombant d’un train. » Tous les moyens sont bons : trains de fret, Eurostar jusqu’au tunnel, camions où il faut grimper au moment d’un virage, dix secondes : le temps de l’angle mort. Dans l’après-midi de ce 24 septembre, Besson revient, escorté de TF1. Il va à la PAF s’émerveiller du bon déroulement de l’opération. Les premiers migrants libérés des CRA sont de retour eux aussi. Et maintenant… ? Des couvertures, des chaussures, l’Angleterre encore et toujours, en attendant les charters vers l’Afghanistan qui décolleront bientôt, les derniers scrupules de l’Europe de Vichy ne sauraient durer. Un Pachtoun est ravi d’apprendre qu’étant fille de musulman je peux l’épouser. Il demande : « Tu veux pas retourner avec moi en Afghanistan ? » Drôle de question, à quelques nuits clandestines de l’Eldorado, à quelques vies de son pays… À croire que l’Europe commence vraiment à le dégoûter.
Article publié dans CQFD N°71, octobre 2009.