L'En Dehors

Nul Dominateur n’apercevait les changements, longtemps insensibles, qui se faisait dans l’esprit des hommes.

Ce que les prophètes appellent les signes des temps, ce que les historiens nomment les prodromes d’une révolution, n’est jamais facile à discerner. L’esprit humain est chose fluide, glissante, contradictoire. On confond souvent sa marche générale avec les remous, fils des obstacles, ou avec les errements et les caprices de la mode. Le dénouement seul éclaire les tragédies du réel.

Le génie désintéressé se trompe quand il essaie de prévoir les mouvements vastes et durables.

Comment les maîtres, enveloppés de présomption et d’encens, verraient-ils, à travers ces nuages, ce que ne distinguent pas les grands esprits attentifs au seul déroulement des causes et des effets ?

Les maîtres marchent toujours dans la sécurité de leur superbe et de l’adulation voisine. Ils connaissent à la brusque secousse ou à la brusque chute le petit fossé ou le profond abîme vers quoi se dirige leur rêve pompeux et voluptueux. (…)

Han Ryner – Les Surhommes – Roman prophétique, Paris 1929 Edition G. Crès et Cie