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Les pièges du système technicien : démonstration par l’exemple des Vélo’V.
Lu sur Rebellyon : "Nombreux sont les nouveaux objets high tech, surfant sur la mode du développement durable, prétendant œuvrer à une action écologiste : panneaux solaires améliorés grâce aux nanomatériaux , système de location de vélos rempli de puces électroniques, voiture propre, poubelle identifiée, détecteur électronique de pollution, éoliennes industrielles, piles à combustibles… On en arriverait presque à croire que la technologie pourrait arriver à réparer les dégâts commis par des dizaines d’années de développement de la société industrielle. Que le serpent pourrait se soigner la queue.

Ce ne saurait voir que la partie immergée de l’iceberg. Eh bien non, ces objets n’ont rien d’écologistes, et constituent en réalité une vaste duperie. Au risque de se faire taxer de "jamais content" ou "d’éternel opposant", étudions les tenants et aboutissants du développement de chaque nouvelle technologie afin de mettre au grand jour leur perversité. Démonstration par l’exemple des Vélo’V.

Puces and veLo’V

En novembre 2004, le Grand Lyon (la communauté de communes) signe un contrat avec la société JC Decaux , le plus grand des publicitaires, qui prévoit la mise en place de 2 000 vélos en libre service. En contrepartie, Decaux se voit attribuer le marché du mobilier urbain (les panneaux de publicité et les abribus) pour 13 ans.

Concrètement, un peu partout à Lyon et Villeurbanne , grâce à sa carte bleue, chacun peut prendre un vélo dans n’importe quelle des 200 stations et le reposer dans n’importe quelle autre. La première demi-heure est gratuite puis chaque heure coûte 1 euro. Les Vélo’V sont bourrés de composants électroniques, vérifiant la pression des pneus, la tension des freins ou le bon fonctionnement des phares. Dès qu’un capteur détecte une anomalie, le vélo reste attaché à sa borne, grâce à un système d’attache particulièrement lourd intégrant une batterie électrique. Bien entendu un système GPS permet de savoir à toute heure où se trouve chaque Vélo’V. Les nombreuses dégradations (involontaires et volontaires) subies par ces vélos font travailler quotidiennement une équipe de 33 personnes dans un atelier de maintenance. D’autres, en camion, déplacent les vélos des stations pleines à celles vides. Les fameuses stations encombrent les trottoirs même à vide, prenant deux fois plus de place que des vélos normaux. Un Vélo’V pèse, notamment à cause de son cadre d’acier, entre 22 et 23 kilos, soit près du double d’un vélo normal. Selon JC Decaux, chaque vélo lui revient, entre l’achat et l’entretien, à 3 000 euros.

Mis en place au printemps 2005, ce système a rencontré un vif succès auprès des lyonnais. Et les élus de se féliciter des 50 000 abonnés, des 10 000 à 20 000 locations par jour ou des 40 000 km quotidiennement parcourus. Une bonne partie des écologistes s’est réjouie de ce nouveau système, célébrant une "victoire de leurs idées". Silence a notamment publié plusieurs brèves élogieuses, insistant sur la généralisation de la pratique du vélo permise. Cela ne fait que quelques mois que des voix critiques se sont faits entendre, entre autres par plusieurs articles de l’association Pignon sur Rue , du site d’informations alternatives Rebellyon.info [1] ou par un courrier des lecteurs paru dans Silence n°334.

Parmi les critiques retenues, passons rapidement sur la lourdeur des vélos, leur coût très élevé ainsi que l’importante quantité de matières nécessaires à leur fabrication. La place prise par les stations sur les trottoirs, l’inadaptation des vélos, les dysfonctionnements réguliers et le manque de fiabilité du procédé, sont à ranger dans le tiroir des critiques de second plan. Quant au financement de ce système par un publicitaire, profitant de l’aubaine pour augmenter le nombre d’espaces réservés aux annonceurs (sucettes et abribus), assurant donc par la même la promotion de la voiture, cela devrait définitivement désillusionner n’importe quel citoyen averti à propos du bien fondé des Vélo’V.

High tech partout, autonomie nulle part

Mais ce qui mérite notre opposition la plus vive, c’est le renforcement parmi la population de la dépendance à l’égard de la technologie. C’est la banalité de l’intrusion du high tech, et plus particulièrement des petites puces, dans chaque objet quotidien.

Roulez, vous êtes fliqués ! Grâce aux puces et au GPS, on peut en effet connaître tous les déplacements de chaque utilisateur de Vélo’V. "Mais, nous répond-t-on, fliqués, nous le sommes déjà, par l’utilisation de notre carte bleue, de notre téléphone portable, de notre carte de transports commun lisible à distance…". Effectivement, nous le sommes déjà. Est-ce une raison pour accepter de l’être une fois de plus ? Ne devrait-on pas plutôt se servir de chaque arrivée d’un nouveau type de flicage pour mieux le dénoncer et remettre en cause les précédents ? Sommes-nous résignés à la surveillance permanente, omniprésente et sournoise ? À être tracés dans nos achats, nos déplacements, nos activités, nos contacts — dans les moindres aspects de notre vie sociale et quotidienne ?

L’apparente simplicité de la pratique a certes permis l’accession aux déplacements en vélo de beaucoup de personnes non initiées. Mais en généralisant la pratique du vélo, le Vélo’V l’a surtout pervertie. La bicyclette est à la base un instrument d’autonomie : elle permet de se déplacer quand on veut, où l’on veut ; sa mécanique est assez simple pour permettre des réparations individuelles. Avec les Vélo’V, les cyclistes ne sont plus acteurs de leurs déplacements, mais sont infantilisés pour devenir, une fois de plus, de simples clients : il n’y a rien à faire, on ne peut pas les réparer, il suffit juste de s’en servir en échange de supporter des centaines de publicités le long des rues. Finie l’angoisse de la crevaison de pneu, boujour la peur de la panne électrique. S’il est certain que le Vélo’v peut être "bien pratique", notamment pour les gens de passage sur Lyon, son utilisation régulière transforme les déplacements en vélos en actes marchands et robotisés.

Ni puces, ni soumises

Les Vélo’V nous apprennent beaucoup sur les logiques de ce monde dominé par la fuite en avant technicienne, où l’on croit pouvoir résoudre les problèmes sociaux et écologiques par des solutions techniques. Une attitude courante, assez répandue parmi certains écologistes, consiste à rejeter les applications les plus choquantes des dernières avancées technologiques, tout en en approuvant d’autres, sous le prétexte qu’elles lutteraient, par exemple, contre la pollution : nanopuces permettant de détecter la présence d’OGM , piles à combustibles, voitures moins polluantes… On retrouve ici le mythe de la technique–bienfaitrice-qui-va-sauver-la-planète. Sauf que quand on parle des solutions qu’une technologie apporte, on occulte les problèmes qu’elle crée. L’étude approfondie de chaque technologie de pointe nous pousse à croire que le high tech est avant tout un fiasco écologique. Et quand bien même il ne le serait pas, il faudrait quand même le rejeter car le monde qu’il crée ne s’arrête pas aux seuls problèmes environnementaux ou sanitaires. La société industrielle entraîne aussi – et surtout – des dégâts sociaux et humains.

Nous ne voulons pas d’un monde tout propre, tout beau, tout lisse, et entièrement sous contrôle. Sous contrôle des puces détectant n’importe quel mal. Sous le joug des technologies nous maintenant en survie dans un univers vide de sens. Nous pensons qu’il est impossible de séparer le bébé de l’eau du bain. D’avoir les bons côtés d’une technologie sans en avoir les mauvais. Pour lutter contre les conséquences, nous voulons avant tout supprimer les causes.

Non à la prolifération des puces ! Vive les pneus crevés !

    [1] Ndm : Voir les articles de Rebellyon sur les vélo’v dans la rubrique Écologie - nucléaire - Alternatives et dans la catégorie Analyses - Réflexions .

Article paru également dans la revue Silence n°338 de septembre 2006.
Ecrit par libertad, à 23:10 dans la rubrique "Ecologie".



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