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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Les petits chaperons rouges de la LCR
Lu sur le Plan B : "Depuis 2002, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a noué avec les grands médias une idylle bouleversante. Comment un parti révolutionnaire se persuade-t-il que la presse bourgeoise est une presse amie ?

C'est le soir du Grand Soir. Le 5 septembre 2002, Olivier Besancenot participe à sa première émission de divertissement, « On a tout essayé », animée sur France 2 par le comique Laurent Ruquier. Un dialogue explosif s'engage entre le chroniqueur Jean-François Derec et le porte-parole de la LCR : « Première question : Je vais chercher une lettre recommandée. Vous devez me répondre :
a) C'est trop tôt, repassez à 15 heures ;
b) C'est trop tard, il fallait venir hier ;
c) Désolé, c'est la pause, je suis en RTT ! »
Réponse du « facteur » (transcription intégrale) : « Sûrement pas la dernière. » Laurent Ruquier enchaîne en hurlant : « Bientôt, on ne dira plus : je prends mes RTT, mais plutôt je prends mes RRTT, c'est-à-dire mes réductions de réduction de temps de travail ! ha ! ha ! »

L'interview reprend. « Bon, deuxième question. Comme il y a une queue d'enfer pour peser mon paquet, je vais à une machine automatique, elle est :
a) hors-service ;
b) elle ne rend plus la monnaie ;
c) la machine est en RTT ! » (Rires.)

À ce moment, chacun perçoit qu'un rien suffirait à faire basculer du côté de la révolution les masses chauffées à blanc par ce déluge de subversion. Gérard Miller tend alors au candidat de la LCR une coupe de champagne et une liasse de billets : « Est-ce que vous acceptez, juste pour l'émission, de crier : “Vive M. Raffarin !” ? » Réponse de Besancenot, dont la vigueur fait craindre un instant le déclenchement d'une émeute : « Non, mais je peux vous faire la bise... » Présent sur le plateau pendant 6 minutes et 30 secondes, « Olivier » a parlé 1 minute et 5 secondes. Au siège de la LCR, on pavoise. Besancenot reviendra chez Ruquier (11.2.03 et 19.1.05). Sans oublier de se rendre chez Thierry Ardisson (21.9.02).

La farce électorale
En 1969, Alain Krivine se présente à l'élection présidentielle pour dénoncer La Farce électorale (titre de l'ouvrage qu'il publie alors) et la censure gouvernementale des médias. En 2002, il n'est plus question de « farce » : la direction de la LCR affiche son tournant électoraliste en propulsant sur les plateaux le « facteur rouge de Neuilly », lequel s'abstient de critiquer les contremaîtres de l'information. Encore dirigé par ce pauvre Edwy Plenel, Le Monde célèbre la « Génération Besancenot » (11.4.02). Peu après, Arlette Chabot décerne à « Olivier » le prix de la « Révélation politique de l'année » – ex-æquo avec Raffarin et Sarkozy ! Cornaqués par Philippe Corcuff, « théoricien » de la « politique de la caresse » vis-à-vis des médias (1), les chefs de la LCR décident que la notoriété d'« Olivier » doit déborder les rives des émissions politiques et s'appuyer à la fois sur les magazines people et sur les talk-shows.

La publication, en février 2003, de Révolution ! (Flammarion), un abécédaire écrit à plusieurs mains mais signé de Besancenot et orné de sa seule photo, en fournit le prétexte. Prudemment, l'ouvrage débute par le mot « Amour », parce que « mes premières histoires d'amour, c'est dans les grèves lycéennes que je les ai connues », et précise que « tous les journalistes ne sont évidemment pas “des chiens de garde du capital (2)” ». Dans un article titré « Le gendre idéal est un trotskiste », le magazine Elle tire le bilan de la tournée d'autopromotion qui s'ensuit : « On ne peut pas dire qu'il refuse grand-chose aux journalistes, le camarade Olivier. Presque deux mois durant, médiatiquement parlant, il aura tout fait : écrasé quelques larmes chez Ardisson, invité des journalistes de la presse people à une matinée vélo pour suivre sa tournée, tchatché avec Jœy Starr chez Pascale Clark, joué les “Grosses têtes” chez Bouvard, et bien d'autres performances encore, au moins aussi osées que son meilleur coup de l'année, une interview croisée avec le jet-setteur Massimo Garcia » (5.5.03) Sans compter un entretien dans Gala (13.2.03) et un passage chez Daniela Lumbroso. Les téléspectateurs impatients d'entendre le candidat de la LCR évoquer l'emprise des industriels sur la presse, le rôle idéologique des médias dans l'imposition de la pensée de marché ou le statut de nabab des animateurs-producteurs peuvent aller se rhabiller.

Grand angle, grand public
Après la participation d'Olivier Besancenot aux « Grosses têtes », Alain Krivine a plaidé : « Même si Olivier n'aime pas ça, mieux vaut ne pas refuser ces émissions, sinon nous disparaîtrons » (L'Express 24.5.04). Passer aux « Grosses têtes » ou disparaître : bizarrement, cette alternative n'enthousiasme pas bien des militants de la LCR. L'un d'eux – aujourd'hui abonné au Plan B ? – interpelle « Olivier » : « Que vas-tu faire dans ces émissions télé plus ou moins débiles ? Quel intérêt de mettre ta photo en pleine page sur la couverture de ton bouquin ? Ce n'est pas ta tronche qui est à vendre » (Rouge, 13.2.03). À quoi Besancenot et son coach, François Sabado, rétorquent : « Après “Les grosses têtes”, il y a eu un bond dans les ventes du livre. Il faut qu'on ait toujours l'idée grand angle, grand public » (Rouge, 6.3.03).

Également adoptée par Arlette Laguiller et par José Bové, la ligne « grand angle, grand public » repose sur deux postulats. Premièrement, les milieux populaires seraient tellement dépolitisés que, pour rétablir le contact avec eux, les responsables politiques seraient contraints de jouer les vedettes dans des émissions de variétés. Deuxièmement, ces populations (prétendument) dépolitisées se mobiliseraient en faveur de l'extrême gauche en regardant une émission dont le principe repose précisément sur la dépolitisation. Ou en découvrant la contribution décisive à l'éducation populaire révolutionnaire livrée par Besancenot au magazine Rendez-vous (sous-titré « Mode ! Mode ! Mode ! ») : « J'achète mes fringues parce qu'elles me plaisent à moi » (15.2.06).

« Nous sommes conscients des dangers de cette “personnalisation” de la politique, qui a souvent pour conséquence de “dépolitiser” les personnes, admet Alain Krivine. Malheureusement, une petite organisation comme la nôtre n'a pas tellement d'autre choix pour faire passer un message » (Elle, 5.5.03). Pas d'autre choix ? Les partisans du « non » à la Constitution européenne n'ont-ils pas prouvé le contraire ?

Notes:
(1) Philippe Corcuff, « Politique de la caresse », Charlie Hebdo, 29.8.01.
(2) Lire « Trotskisme culturel », PLPL, n° 14, avril 2003.

Le Plan B n°3 (Juillet - septembre 2006)
Ecrit par libertad, à 22:47 dans la rubrique "Actualité".



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