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Lu dans CQFD n°26, septembre 2005.
Ils ont l’air d’avoir inventé la pilule du bonheur. Ils sourient tellement qu’on a l’impression que leurs visages vont se craqueler comme de l’argile sèche. Ils ont à la bouche plein de mots humidifiants : « désir », « plaisir », « satisfaction », « travail »...
Eux, ce sont les responsables du Medef des Bouches-du-Rhône. Le 9
septembre, ils tenaient leur université d’été à la faculté de Luminy,
sur un thème qui ventile l’air du temps : « Le bonheur est-il aussi dans l’entreprise ? »
Deux jours plus tôt, les mêmes faisaient bombance dans un club select
de Marseille pour présenter le programme de leur raout aux médias
locaux, dont un chômeur de CQFD. Ces types ont
tellement l’habitude que les journalistes leur mangent dans la main
qu’ils laissent entrer n’importe qui. Ce qui frappe, au premier coup
d’œil, c’est leur décontraction. La plupart ne portent pas la cravate,
il y en a même un qui a les cheveux longs et la chemise déboutonnée,
kif un guitariste de hard-rock californien. Ça doit être chouette de
bosser pour des mecs aussi cools. Faut dire que le gouvernement venait
d’annoncer une réduction de l’impôt sur les hauts revenus en même temps
que l’expulsion des squatters et mal-logés, ça vous met forcément à
l’aise, même s’il faut « aller plus loin ». Et
puis il y a l’effet Parisot. Du temps de Seillière-Kessler, le patronat
avait le sourcil ombrageux et le col de chemise raide comme un sabre.
Mais depuis que la pimpante Laurence a pris les commandes, le style a
changé. Élégance débraillée, attaché-case et kir à la pêche : un vrai
kit pour stages de relooking à l’Anpe.
Ici, tout le monde adore Parisot. « Elle fait du bien à l’image des patrons », opine un adepte des rayons UV. Sa déclaration dans Le Figaro du 30 août - « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » - suscite en leur cercle des exégèses énamourées. « C’est vrai, s’enthousiasme un des rares cravatés de la bande, la précarité est liée à la nature humaine, normal qu’elle soit aussi dans l’entreprise. Ce qui manque, c’est le courage et l’envie. » Le courage et l’envie, c’est effectivement ce qui a manqué aux 34 667 chômeurs radiés par les Assedic durant le mois de juillet pour rétablir la confiance. Confiance mesurée avec courage et vendue avec envie par l’Ifop, la boîte de Parisot. Mais ce qui impressionne surtout, chez nos décideurs, c’est leur idéalisme. L’avenir leur appartient, et il vaudra cher quand ils le revendront. Le plus romantique, c’est visiblement le président du Medef marseillais lui-même, un certain Stephan Brousse (« Stephan sans “e” et sans accent aigu », précisera l’attachée de presse). « Laurence Parisot a raison, dit-il avec flamme. Dans nos entreprises, c’est vrai qu’on réenchante le monde. Nous avons la foi et la passion pour faire changer le monde. » Changer le monde ? À gauche, ceux qui osent dire ça passent pour des dingues. Mais au banquet des entrepreneurs des Bouches-du-Rhône, les utopies s’énoncent et se reçoivent comme une affaire conclue. Les journalistes qui prennent sagement des notes ne tiquent pas non plus. Après tout, le monde a déjà bien changé grâce aux patrons, chacun comprend qu’ils veuillent finir le boulot. Il y a tant de choses à faire ! Baisser plus encore les impôts des riches et le revenu des pauvres, par exemple, comme le promet Sarkozy. « Le bonheur, s’envole le patron des patrons locaux, est-ce que ce n’est pas le petit peu de bonheur que l’on peut donner aux autres ? » L’assistance hoche la tête, émue. Le contrat nouvelle embauche, c’est deux années de bonheur. Et le bonheur, c’est comme l’amour : indexé sur l’indice de précarité.
Bref coup d’œil sur le programme. Parmi les personnalités conviées à leur machin, on note le nom de Gérard Mordillat. Le réalisateur de Vive la sociale est prévu pour participer à l’atelier « Quel type de dialogue pour recréer la confiance ? » À ce propos, le patron hard-rockeur a une révélation à faire : « Gérard Mordillat est un ancien ouvrier. Eh, personne n’est parfait ! » Rires dans la salle.